Monde

Quand l'homme retournera-t-il sur la Lune?

De futurs explorateurs spatiaux, des scientifiques et quelques cinglés se sont rassemblés au colloque intitulé «100 ans pour voyager dans l’espace» du Darpa (Département de la recherche et du développement de l’armée américaine) pour tenter de faire décoller le voyage interstellaire.

Temps de lecture: 8 minutes

Cet article est issu de Future Tense (Temps Futur), une collaboration entre l’Université d’Etat de l’Arizona, la fondation Nouvelle Amérique et Slate. Future Tense explore la façon dont les technologies émergentes affectent la société, la politique et la culture. Pour en savoir plus, visitez le blog de Futur Tense et sa page d’accueil. Vous pouvez aussi suivre Futur Tense sur Twitter.

La vitesse maximale jamais atteinte par un humain est de 39 897 km/h. Les trois hommes d’Apollo 10 ont atteint cette vitesse lors de leur voyage de retour de la lune en 1969.

La vitesse la plus élevée à laquelle un objet fabriqué par l’homme ait voyagé hors du système solaire est de 63.000 km/h –vitesse atteinte par la sonde spatiale Voyager 1 lancée en 1977.

David Neyland veut battre ces records poussiéreux et vieux de plusieurs décennies. Neyland est un homme de grande taille, avec la barbe touffue d’un pionnier prophète et le ton mesuré d’un bureaucrate moyen. Il est ces deux choses à la fois. Directeur du bureau technologique tactique de l’agence de recherche militaire Darpa, il a réuni plus de 1.000 personnes à un congrès qui s’est tenu au Hilton d’Orlando le premier week-end d’octobre dans le but d’élaborer des stratégies pour la prochaine grande ère du voyage dans l’espace. La mission du colloque public intitulé «100 ans pour voyager dans l’espace»: mettre en œuvre des actions pendant un siècle pour envoyer un vaisseau spatial sur une autre étoile.

Neyland a ouvert la conférence au public, composé aussi bien de fans de science-fiction et de passionnés de l’espace que de scientifiques professionnels. Docteurs ou pas, tous avaient en commun d’être frustrés par le manque d’avancée dans l’espace. Comme un farceur de l’audience le fit noter, ce colloque aurait dû se tenir au Hilton de la lune. Le sentiment était fort que depuis plus de 40 ans que Neil Armstrong a posé le pied sur la lune, rien n’a été fait.

Le colloque était considérable, avec des exposés traitant du «Moteur à fusion aneutronique modulaire pour une mission vers Alpha du Centaure» comme de «Partir humblement… Briser les anciens modèles de colonisation». Le plat de résistance de la conférence était constitué de science dure: la physique et l’ingénierie de la propulsion.

Le dessert, qui a attiré le public en masse, était fait d’interventions sur l’espace et la religion («Jésus est-il aussi mort pour les Klingons?») et de débats avec des écrivains de science-fiction.

Bienvenue au «Woodstock du voyage dans l'espace»

Mais beaucoup de ceux qui étaient venus pour le dessert se sont retrouvés à suivre le plat de résistance. L’un des noyaux durs de la conférence («Temps-distance: physiques exotiques») était si populaire qu’on a dû le déplacer dans la plus grande salle. Le modérateur, John Cramer, un professeur de physique de l’Université de Washington vêtu d’une chemise écossaise et d’une veste de sport, a déclaré: «Je prédis pour les temps à venir que ce congrès sera considéré comme le Woodstock du voyage dans l’espace.» Il a comparé les physiciens exotiques aux «groupes de punk, ces mecs qui ont brisé les règles afin de tirer leur coup plus vite».

Il y a beaucoup de paramètres compliqués pour que le voyage interstellaire soit possible, mais le problème fondamental est qu’il faut aller plus vite. La combustion de carburant - sur laquelle presque chaque engin spatial s’est appuyé jusqu’ici pour se propulser – nécessite des voyages qui dureraient des dizaines de milliers d’années. Les fusées nucléaires de différents types – fission, fusion – seraient plus rapides mais ont leurs inconvénients. Les fusées à fission sont, en principe, techniquement réalisables aujourd’hui, mais les lancer serait politiquement impossible à cause du risque de contamination radioactive, au cas où une explosion se produirait au décollage.

L’option suivante, ce sont les voiles solaires qui ne sont pas si différentes des voiles traditionnelles, si ce n’est qu’au lieu de vent, celles-ci ont besoin de la pression de la lumière qui rebondit à leur surface. Elles ont le grand avantage de ne pas avoir à transporter de propergol (ce dont les fusées nucléaires, comme les fusées normales, ne pourraient se passer). Une variante des voiles solaires, dont les plus simples utilisent la lumière du soleil, réfléchirait à la place un rayon –laser ou micro-onde– émis depuis la terre, ce qui aurait l’avantage de pouvoir le focaliser très précisément.

Après des années de palabres, une sonde japonaise lancée l’an dernier est devenue la première à utiliser des voiles solaires pour sa propulsion, ralliant Venus en à peine plus de six mois. James Benford, un entrepreneur qui a créé la compagnie Microwave Sciences, a fait une des interventions les plus suivies du colloque, abordant l’économie des voiles guidées par micro-ondes. Puisque les fours micro-ondes ne coûtent pas chers, a-t-il dit, on pourrait en regrouper des milliers dans un réseau afin de pousser les voiles. C’était un bon exemple de ce qui est finalement le plus logique: il est plus probable que des avancées liées à la vie sur terre rendent les choses réalisables dans l’espace plutôt que de voir la glace des astronautes s’emparer des estomacs du pays.

Ces deux voies beaucoup plus évidentes que sont les voiles solaires et les fusées nucléaires sont des méthodes qui, si l’on dépense beaucoup d’argent et de temps à les développer, pourraient sans aucun doute fonctionner raisonnablement bien. Mais aucune des deux ne sera jamais si efficace que cela. Les étoiles sont juste trop loin. Ce dont nous avons besoin, c’est de quelque chose de radicalement différent, un changement  de modèle. C’est pourquoi je suis retourné à la présentation de Cramer sur les physiques exotiques.

Propulser un engin spatial sans carburant?

D’habitude, les grands festivals musicaux se montent sur des artistes très connus. Mais la session de physiques exotiques s’est ouverte avec une rock star du monde des passionnés de l’espace: Marc Millis. Millis est connu pour avoir persuadé la NASA de diriger un projet de courte durée (de 1996 à 2002) qui s’appelait «programme de physique avancée des propulseurs». Au cours de l’entretien avec lui qui a suivi son intervention, nous avons été interrompus trois fois par des participants désireux d’obtenir son autographe. Il dirige actuellement son propre groupe de recherches, la Fondation Tau Zéro, qui vivote de donations. Il est aussi l’auteur du livre spécialisé sur la question: Les frontières de la science de la propulsion qui comporte des sections entières sur le moyen de dissuader les cinglés.

Attentif à ne pas trop en promettre, Millis essaie de penser à des moyens de propulser un engin spatial sans carburant. «Il faut trouver quelque chose de complètement différent», affirme-t-il.  «Pourquoi ne pas retourner aux fondamentaux de la physique et essayer de trouver des solutions autour de cela?». L’une de ses idées est d’essayer de pousser contre l’univers. «Vous allez dans un sens et l’univers se déplace dans l’autre. Si vous commencez à penser à ça, votre tête se met à tourner. Vous poussez l’univers en vous appuyant sur quoi exactement?», a-t-il demandé.

Au cours du week-end, il y avait une césure assez nette entre les membres du public curieux de l’espace, avides de visions futures à la Star Trek, et les scientifiques absorbés par la réalité pure et dure. Millis a été suivi par Harold «Sonny» White, du Centre spatial Johnson de la Nasa. Tandis qu’il abordait le champ des équations de la relativité générale, il était excité comme quelqu’un qui aurait décrit une feinte de footballeur.

Quand il a enchaîné sur la métrique de Chung-Freese, la femme qui se trouvait à côté de moi, une matrone aux cheveux teintés de roux, s’est tournée vers son compagnon et lui a demandé: «Est-ce que ça tu comprends?». Il avait une moustache très fournie et des baskets, et, si l’air intello peut être d’une quelconque indication, il avait bien l’air de ce qu’il devait. Il gribouilla sa réponse sur un bout de papier, «Non». C’est bien d’enthousiasmer le public, mais le meilleur moyen d’y parvenir reste tout de même de faire des choses excitantes, pas de s’en tenir à une stratégie explicite de communication avec le public qui laisse les membres non initiés de l’assistance perplexes dans les salles de conférence d’Orlando.

White conçoit actuellement une expérience pour tester s’il peut démontrer un effet de petite distorsion de la gravité dans son laboratoire. «Il s’agit de physique hautement spéculative. Qui pourrait n’avoir aucune base dans la réalité physique», a-t-il averti. «Personne ne s’excite. C’est toujours très très dur». C’était la différence entre les gars sérieux et les cinglés – les gars sérieux avaient des idées folles, aussi; seulement ils ne perdaient pas de vue que leurs idées étaient probablement fausses. «On veut s’attaquer aux défis qui mettent nos pairs mal à l’aise», a ajouté Millis.

Certains intervenants étaient dans la Lune

Millis, White, et leurs collègues font de grands efforts pour trouver un compromis; ils savent qu’ils doivent être à la fois audacieux et méthodiques. Mais d’autres intervenants de cette conférence ne se sont pas donnés autant de mal.

Dimanche matin, les types de Sol Seed («Porter la vie même dans la galaxie») ont distribué des prospectus alignant quatre objectifs ambitieux, quoique divergents. Le premier est de créer un «éco-village à Portland», quand le quatrième prétend «contribuer au destin de la vie: se répandre au-delà de la Terre pour prendre racine au milieu des étoiles!» Étonnamment, cela dit, un seul type divagua au sujet des Ovnis. («Je ne parle pas des gens dingues. Je parle de solides preuves militaires, CIA, DIA»). Il quitta cependant la pièce calmement lorsque les intervenants refusèrent de lui répondre.

Et puis il y avait tous ceux qui n’étaient pas fous, mais pas bien utiles non plus. Un intervenant déclara vaguement que ce serait bien d’être capable de communiquer plus vite que la lumière. Il était captivé par ses propres diapositives, sur lesquelles on pouvait lire: «Ce problème apparaît insoluble». Vers la fin, il mentionna la potentielle application militaire de son inexistante technologie: cela fonctionnerait sous l’eau. Ce qui revenait un peu à déclarer que si on est immortel, ne pas avoir à se préoccuper d’attendre pour obtenir une table dans un restaurant Applebee constituerait un des indéniables avantages.

Ken Olum de l’Université Tufts avait de loin la plus grosse barbe que j’aie vue à la conférence, et il y en avait. Sa barbe lui entourait l’ensemble de la tête d’un grand U, ce qui lui faisait une sorte d’auréole à l’envers. Il avait exactement l’air que j’imaginais qu’un alchimiste aurait. Mais il n’aurait pas apprécié la comparaison.

«Nous ne devrions pas être des alchimistes», déclara-t-il au public. «Ils poursuivaient un objectif et c’est à cet objectif qu’ils pensaient. Rapidement ils ne firent plus rien d’utile. Les chimistes les ont remplacés et ils avaient le désir d’apprendre le monde tel qu’il est, et pas celui d’accomplir quelque chose en particulier».

A propos de désirs peu judicieux, une table ronde d’écrivains de science-fiction s’engagea peu après dans un long débat absurde sur la sociologie des colonies spatiales: il avait la teneur et le poids d’un débat public nuancé et policé, si ce n’est que les dilemmes dont il était question étaient imaginaires. Michael Waltemathe, un jeune universitaire allemand en cravate rose, parla de religion et de colonisation spatiale. Apollo 14, dit-il au public, avait porté 100 microfiches de la Bible sur la surface de la lune avant de les ramener à bord. Cela le conduit à se demander combien d’évêques une colonie spatiale aurait besoin d’emporter avec elle pour maintenir la succession apostolique. «Vu que je suis protestant», dit-il, «je devrais les emmener tous». C’était le problème avec cette conférence qui tentait délibérément de cultiver les rêveurs: ils commençaient à organiser le mariage avant même d’avoir demandé à la fille de sortir avec eux. 

Alors que la conférence s’approchait de sa fin, James Benford prononça une note d’optimisme assortie d’une pointe de nostalgie:

«On nous a demandé comment construire des vaisseaux spatiaux. Si nous n’en sommes pas capables, le reste des questions est sans intérêt. La réponse, je pense, est que nous pouvons.»

Aucun n’espère plus d’argent supplémentaire de la part du DARPA ou même de la NASA, mais tous sont convaincus que le changement se profile. A l’extérieur de la session principale, je suis resté avec Millis. Il m’a montré un article récent qu’il a rédigé pour le Journal de la Société interplanétaire britannique (JBIS). Il y présentait trois types de fusées: une fusée de la NASA, la Spaceship One de Galactic Virgin, et la fusée Falcon de SpaceX. «Echec», s’exclama-t-il en me désignant du doigt la fusée de la NASA. «Nous sommes à l’aube d’un changement sociologique», me dit-il.

L’espace est sur le point de s’ouvrir à l’industrie privée d’une façon fondamentalement nouvelle. Si l’industrie est à la hauteur des espoirs des participants rassemblés à la conférence d’Orlando, peut-être que les humains les plus rapides de l’histoire voyageront bientôt vers quelque chose plutôt que de revenir sur la Terre, comme l’équipage d’Apollo 10.

Konstantin Kakaes

Traduit par Florence Boulin

cover
-
/
cover

Liste de lecture