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Les garçons bientôt vaccinés contre le cancer du col de l’utérus

Le feu vert vient d’être donné par des experts américains. En sera-t-il de même en France?

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Sans en rêver, les «pro-vaccinaux» ne l’excluaient pas. Les «anti», eux, le redoutaient. Or voici que c’est fait. Ou presque. Un groupe de treize experts réunis au sein d’un comité consultatif des autorités sanitaires américaines a, le 24 octobre, officiellement recommandé l'extension aux jeunes garçons (dès l’âge 11 à 12 ans) de la vaccination généralisée contre plusieurs souches de papillomavirus humains (HPV).

Transmissibles par voie sexuelle, ces virus sont directement impliqués dans la genèse d’une proportion importante de cancers du col de l’utérus. A ce titre, cette vaccination est depuis plusieurs années recommandée à titre préventif chez les jeunes filles dans de nombreux pays développés. Mais pourquoi concerne-t-elle aujourd’hui les garçons? 

«Les recommandations faites aux CDC [Centres fédéraux de contrôle et de prévention des maladies] de protéger également les garçons contre les HPV marque une nouvelle étape dans la bataille du pays contre le cancer», a d’ores et déjà fait savoir le Dr Anne Schuchat, directrice du Centre national américain d'immunisation et des maladies respiratoires.

Comme le souligne l’AFP, elle a rappelé à cette occasion qu'environ 20 millions d'Américains sont aujourd’hui infectés par des HPV associés à différents types de lésions cancéreuses affectant essentiellement le col de l'utérus mais aussi, dans les deux sexes, les différents organes génitaux ainsi que l’anus, la cavité buccale et la gorge.

Protéger les garçons

Le nouvel objectif est désormais de protéger également les garçons contre ces infections virales transmises sexuellement et contre les cancers qui peuvent en résulter.

L’extension de cette vaccination devrait, si elle est réussie, également protéger indirectement la population féminine en réduisant statistiquement le risque de transmission sexuelle des HPV. 

Or pour l’heure, cette vaccination (recommandée chez les jeunes filles avant les premiers rapports sexuels soit dès 11 ou 12 ans) ne rencontre pas une grande adhésion outre-Atlantique.

Elle est d’autre part depuis plusieurs mois au centre d’une polémique particulièrement vive de la campagne présidentielle américaine.

Plusieurs candidats à l'investiture républicaine se sont déclarés radicalement hostiles au financement d’une telle vaccination. Des groupes conservateurs développent différents argumentaires soutenant que loin d’assurer une protection contre des infections sexuellement transmissibles cette immunisation risquait fort au contraire d'encourager  les plus jeunes à des comportements sexuels à risque.

Pour sa part la très conservatrice Michele Bachmann avait été jusqu’à affirmer, sans argument scientifique, que ce vaccin était impliqué dans des cas de retards mentaux; avant de revenir sur ses propos.

Outre-Atlantique la nouvelle recommandation des experts doit encore être entérinée par les Centres fédéraux de contrôle et de prévention des maladies (CDC). Ceci est généralement acquis quelques semaines après l’avis des comités consultatifs.

Sera-ce ici le cas? Au-delà de sa dimension politique, la décision des CDC devrait avoir des conséquences économiques non négligeables. Il existe aujourd’hui deux présentations vaccinales anti-HPV autorisées à la commercialisation à l’échelon international: le Gardasil (de l’association franco-américaine Sanofi-Pasteur –Merck) et le Cervarix, de la multinationale pharmaceutique britannique GlaxoSmithKline.

Depuis près de cinq ans, ces deux vaccins sont proposés pour la vaccination des jeunes filles. Ils sont recommandés par les autorités sanitaires et souvent pris en charge par les organismes de protection sociale.

Toutefois seul le Gardasil, compte tenu de son spectre plus large de protection antivirale, devrait être  indiqué chez les jeunes garçons. «Ces nouvelles recommandations marquent un nouveau pas important pour aider à protéger davantage de personnes contre les HPV liés aux cancers et à d'autres maladies que le Gardasil peut prévenir», a déclaré le Dr Mark Feinberg, responsable scientifique de Merck, souligne toujours l’AFP.

Ils partagent le plaisir, pourquoi pas la responsabilité?

En France, ce vaccin est administré en trois injections successives pour un prix unitaire de près de 125€. Il est remboursé à 65% par la Sécurité sociale pour toutes les jeunes filles de 14 ans et en rattrapage pour celles de 15 à 23 ans qui n’ont jamais eu de relations sexuelles (ou au plus tard dans l’année suivant le début de leur vie sexuelle.) La plupart des mutuelles complètent entièrement la prise en charge.

Vacciner les garçons contre les HPV? La question avait été soulevée ici-même il y a deux ans par William Saletan. Ce journaliste et blogueur sur Slate.com analysait alors les résultats d’une étude américaine «coût-efficacité» qui venait alors d’être publiée   dans le British Medical Journal.

Ce travail concluait que la priorité, en matière de santé publique, était d’obtenir une bonne couverture vaccinale chez les filles préadolescentes, la question de la vaccination des garçons n’arrivant qu’en deuxième intention. «Inclure les garçons dans le programme de vaccination dépasse le cadre de ce qu'on peut qualifier de bon rapport qualité-prix», résumaient les auteurs. Will Saletan, lui, le résumait ainsi:

«En d'autres termes, les garçons n'ont pas besoin de se faire vacciner pour les mêmes raisons qu'ils n'ont pas besoin de faire leur vaisselle, leur lessive, d'acheter de pilules de contraceptions, ou de penser aux autres de manière générale: les filles le font pour eux (…) Certes, le HPV touche plus les filles que les garçons, mais on peut en dire autant de la grossesse. Il y a quand même un homme dans l'équation. Les garçons partagent bien le plaisir, pourquoi ne devraient-ils pas partager la responsabilité?»

Il observait aussi que les auteurs de l'article du British Medical Journal admettaient qu'ils n'avaient étudié que les couples hétérosexuels et qu'ils n'ont donc pas pris en compte la transmission du HPV entre hommes ayant des relations homosexuelles. Or ces derniers présentent un risque supérieur de cancer anal et pourraient donc tirer plus de bénéfices d'une vaccination contre le HPV.

En France, la commercialisation et la prise en charge de cette vaccination ont été plus tardives que dans plusieurs pays développé comparables.

Cette décision a été prise par les autorités gouvernementales sur la base d’un avis daté de mars 2007 du comité technique des vaccinations et du Conseil supérieur d’hygiène publique de France (section des maladies transmissibles).

Tous les spécialistes soulignent que cette prévention vaccinale ne remet en aucune façon la nécessité, chez les jeunes filles vaccinées, de participer ultérieurement aux campagnes de dépistage par frottis cervico-vaginal.

Cet examen est aujourd’hui recommandé tous les trois ans chez toutes les femmes entre 25 et  65 ans. Vaccination ou pas, cet objectif est toutefois loin d’être atteint.

Ce vaccin fait d’autre part l’objet de différentes polémiques. Ces dernières ne portent pas, comme aux Etats-Unis, sur des questions relatives à la morale et aux comportements sexuels. Elles concernent pour l’essentiel l’innocuité à terme de ce nouveau vaccin, une situation déjà retrouvée avec le vaccin contre l’hépatite virale de type B, affection elle aussi sexuellement transmissible.   

Depuis les autorisations de commercialisation, de nouvelles données ont été publiées dans la presse médicale internationale, comme dans The New England Journal of Medicine. Elles tendent à démontrer que cette vaccination permettait de prévenir chez les hommes l’apparition d’infection dues aux HPV et à leurs conséquences pathologiques touchant les sphères génitales et orales.

«Pour notre part nous allons prendre en compte les nouvelles données disponibles et travailler la question de l’intérêt éventuel des nouvelles indications –masculines– de ce vaccin, a déclaré à Slate.fr Daniel Lévy-Bruhl spécialiste d’épidémiologie médicale (département des maladies infectieuses, Institut national français de veille sanitaire). La question est complexe et de très nombreux paramètres doivent être pris en compte au travers de modèles mathématiques “dynamiques”. L’une des interrogations porte ici sur l’adhésion que pourrait rencontrer une telle recommandation vaccinale. En toute hypothèse, aucune conclusion ne devrait être formulée en 2012 et la décision finale sera prise par les responsables gouvernementaux.»

Question complémentaire pour les états-majors des futurs candidats: ce sujet multiforme de santé publique sera-t-il, comme aux Etats-Unis, abordé lors de la campagne présidentielle?

Jean-Yves Nau

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