France

Nicolas Sarkozy, le plus soixante-huitard des présidents

Souvenez-vous: en campagne, il voulait «tourner la page de Mai 68», vouant aux gémonies un héritage laxiste. Encore une promesse de campagne oubliée: Nicolas Sarkozy est le plus soixante-huitard des présidents de la Ve République.

Nicolas Sarkozy en 2007. REUTERS/Charles Platiau
Nicolas Sarkozy en 2007. REUTERS/Charles Platiau

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D’emblée, le slogan de campagne aurait dû alerter. «Ensemble, tout devient possible» résonne étrangement avec: «Soyons réalistes, demandons l’impossible».

Pourtant, Nicolas Sarkozy prétendait vouloir en finir avec Mai-68. Pas rancuniers, les soixante-huitards avaient largement voté pour lui. Avoir 16 ans en 1968, c’est en avoir 55 (et plus) en 2007. Or les «vieux» ont voté Sarkozy. On se souvient aussi de ralliements spectaculaires (Glucksmann, Kouchner...).

Aujourd’hui, on peut le dire: ils avaient bien raison. Car Nicolas Sarkozy a fait entrer Mai-68 à l’Elysée par la grande porte. 

1 - «Vivre sans temps mort et jouir sans entraves»

L’homme pressé

Sarkozy a fait sien un des plus fameux slogans de 1968. Lui qu’on qualifie d’homme pressé, voire agité, vit sans temps mort. François Mitterrand voulait «donner du temps au temps». Au risque évident d’un manque de lisibilité de sa politique, l’hyper-Président donne l’impression de vouloir tout faire, tout embrasser au même instant. 

Epicurisme bling-bling

Ah! Le Fouquet’s, le yacht de Bolloré, la virée avec Carla en Jordanie! La prise en mains de La Lanterne! On pourrait multiplier les exemples. Sarkozy veut tout, tout de suite. Il veut jouir sans entraves. Regardez-le dans les sommets internationaux: il irradie du plaisir d’être là.

La vie est courte: profitons de ses plaisirs.

Certes, l’épicurisme bling-bling a secoué l’opinion publique et nui à l’image du Président et on est assez loin de l’enseignement d’Epicure. Mais, n’est-ce pas symptomatique de la génération de 1968? A cette époque où tout est encore possible –pas de chômage, pas de sida, pas de crise financière–, pourquoi se limiter dans la satisfaction de ses plaisirs? 

2 - Liberté sexuelle, égalité, fraternité

Tranchant avec la pudibonderie hypocrite de ses prédécesseurs, Sarkozy n’a pas craint d’étaler sa vie amoureuse, autorisant par ricochet ses ministres à faire de même. Un changement radical. Dans le droit fil de la liberté (et de la tolérance) sexuelle qui illumina les années 1970. 

Fille-mère et Garde des sceaux

Qu’on l’adore ou qu’on la déteste, Rachida Dati a secoué la place Vendôme. Pour une femme «issue de la diversité», afficher haut et fort sa féminité, son ambition et son indépendance, est un joli pied de nez à ceux qui n’imaginent la beurette qu’en burqa. Un jour, cette célibattante devint une mère célibataire –au siècle dernier on disait fille-mère. Inhabituel, inattendu, dérangeant. Il faut un père à Zohra, songe l’opinion, excédée sans doute de tant de liberté féminine.

Chacun a son idée, et on assiste même à une recherche de paternité en live, donnant l’idée que les membres du gouvernement (mais ce n’est pas exclusif) s’adonnent à la sexualité de groupe, en bons vieux soixante-huitards. 

Du gay off au gay officiel

Il s’appelle Roger Karoutchi et, comme d’autres élus avant lui, a fait son coming out. Mais lui était ministre en exercice. Différence notable. Autre changement majeur: au sommet de l’Etat, on cesse de faire semblant. Nicolas Sarkozy invite Roger et son «compagnon», chez lui, mais aussi dans les dîners officiels. 

«Roger Karoutchi a ainsi raconté comment celui qui était alors ministre de l'Intérieur l'avait invité à passer un week-end chez lui au Pyla un été: "tu cesses de faire l'andouille. Tu viens naturellement avec ton compagnon", lui avait alors lancé Nicolas Sarkozy. "Ce jour-là, j'étais un peu scotché", a confessé le ministre. Depuis lors, "à chaque déjeuner, à chaque dîner auquel il m'invite", il "me fait des drames si j'envisage de venir seul". Et "le 14 juillet 2008, j'étais un peu scotché de voir le président de la République présenter mon compagnon à tous les chefs d'Etat et de gouvernement étrangers" invités à Paris pour l'occasion et "dire très tranquillement: 'c'est le compagnon de Roger'”.»

Une telle avancée républicaine, ça a des allure de gay-pride. Même si les faits sont Têtu, le journal militant préfère relayer l’éviction du gouvernement de Roger, considérant que son coming-out l’a desservi…

Et Frédéric Mitterrand? Malgré la campagne déclenchée par la ressortie d’extraits de son livre, La Mauvaise Vie, il est toujours membre du gouvernement… 

Faites l’amour pas la guerre

Revenons à Nicolas. Sa lune de miel avec Carla a durablement indisposé les Français. Etre Président et amoureux? Impossible. C’est pourtant ce qui arrive.

On a alors l’impression qu’il se fiche de tout ce qui n’est pas l’objet de sa passion. Il fait l’amour, pas la guerre (économique, sociale...). Au mépris des convenances. «Une petite amie n'est pas considérée comme une épouse», lui dit-on. Mais croyez-vous que des problèmes de protocole embarrassent un soixante-huitard? Se mariera-t-il à l’église? Même pas. Parfois, on avait l’impression que seul comptait son bien-être. Hélas pour lui, les Français refusent de voir Alexandre le bienheureux à l’Elysée. 

Nous sommes tous des enfants de Mai-68

La liberté sexuelle de Mai-68 se traduit –quelques décennies plus tard– par l’avènement de la famille recomposée. Foin des tartuferies mitterrandiennes! A l’Elysée, aussi, on se décompose-recompose sous l’œil attendri des sociologues.

Essayons de comprendre ce qui attend Giulia lors des fêtes de famille. Elle devrait y croiser:

- Aurélien: demi-frère né de l’union de Carla Bruni et Raphaël Enthoven,

- Pierre et Jean, deux demi-frères du premier mariage de Nicolas avec Marie-Dominique Culioli,

- Louis, demi-frère né du deuxième mariage de Nicolas avec Cécilia Ciganer-Albéniz.

Voilà pour le service minimum. Mais, chez les soixante-huitards, on aime bien recomposer le plus possible. Pourquoi ne pas imaginer une fratrie qui s’étendrait aux «quasis»?

- En l’occurrence, Judith et Jeanne-Marie, nées du mariage de Cécilia avec Jacques Martin (mariage célébré par Nicolas Sarkozy, bien sûr),

- Et Sacha, fils de Raphaël Enthoven et de Chloé Lambert.

Des quasi-demis, quelle mêlée!

Giulia a ainsi 4 demi-frères, deux quasi-sœurs et un quasi-frère. Sans oublier un (demi) neveu plus âgé qu’elle: Solal Nicolas Marc-André, né du mariage de Jean et Jessica Sarkozy. Compliqué? En fait, c’est simplement la situation normale d’une communauté cévenole des années 1970.

Un arbre généalogique pour essayer d’y voir clair.


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Giulia, tu viens d’entrer dans une famille présidentielle inédite: 3 divorces, 2 séparations, des enfants partout, des pensions alimentaires, on n’imagine même pas. Mariée à la Première dame la plus libérée de l’Histoire de France, Nicolas Sarkozy n’ignore rien des rites de fraternité conjugale post-68: les ex ou supposés ex de Carla sont les bienvenus à l’Elysée, il les fait même bosser à l’occasion. Trop cool, il porte Aurélien sur ses épaules. On attend encore la photo de Danièle Mitterrand avec Mazarine sur ses genoux.

Aurélien, le fils de Carla Bruni. REUTERS/Muhammad Hamed

Le fils de Carla Bruni, Aurélien, sur les épaules de Nicolas Sarkozy en visite dans les ruines de Petra, en Jordanie, le 5 janvier 2008. REUTERS/Muhammad Hamed

Face à tant de professionnalisme soixante-huitard, on hésite à recommander au couple élyséen la lecture de cet article de Psychologies.com: réussir sa famille recomposée (gérer une chambre trop petite, comment devenir belle-mère ou beau-père). En fait, ils auraient pu l’écrire… 

3 - L’imagination au pouvoir

«Cass’toi pauv’ con!» 

Incontestablement, la phrase l’a desservi. Elle doit être pourtant citée dans son contexte. Sarkozy tente de serrer la main à un visiteur du Salon de l’agriculture. Lequel décline: «Ah non, touche-moi pas, tu m’salis.» La réplique du chef de l’Etat fuse aussitôt: «Cass’toi pauv’ con!»

L’échange est direct, vulgaire peut-être. Mais il est symptomatique d’une autorité niée. On tutoie le chef de l’Etat, qui tutoie en retour. Il fit de même au Guilvinec, insulté par des pêcheurs: «Si tu crois qu’c’est en m’insultant...»  Il bafouille puis: «Viens, viens, viens...»

Le tutoiement est un héritage du «Citoyen» égalitariste de la Révolution française. En Président, Sarkozy aurait dû voussoyer et être vouvoyé. Etre «au-dessus», à la manière gaulliste, et non pas sur un pied d’égalité. Pour mémoire: les De Gaulle se donnaient du «vous» même à la maison. 

Provoc’: Bigard au Vatican

L’esprit de Mai-68 est irrévérencieux. Le quinquennat de Sarkozy comprend un pied de nez d’autant plus extraordinaire que personne ne l’a perçu comme tel. Car Bigard au Vatican, c’est le truc juste impensable. «Comment on dit bite en latin?», s’interroge le JDD. Connaissez-vous quelqu’un de plus vulgaire que Bigard? Moi pas.

Et c’est justement ce type-là que Sarkozy choisit d’emmener en visite officielle au Vatican. La Fille aînée de l’Eglise chez son papa le pape avec l’auteur immortel de: «Les hémorroïdes gagnent du terrain. Les chercheurs se grattent la tête

Essayons d’imaginer comment ça a pu se passer. Bigard passe par hasard à l’Elysée, Nicolas Sarkozy doit partir au Vatican, propose de l’emmener et Bigard accepte sans avoir le temps de changer de slip.

La France laïque n’a de cesse de brocarder le «chanoine de Latran». Elle a raté l’essentiel. Qu’elle imagine un seul instant le cabinet de Benoît XVI en train d’expliquer à Sa Sainteté que, «oui euh… le président de la République française est accompagné d’un... comment dire? d’un caricaturiste, enfin, un amuseur public, enfin, un homme du spectacle, vous voyez...» Et Benoît XVI: «Est-il drôle? Pouvez-vous me montrer ses œuvres? Des photos?» «Euh… Oui, Votre Sainteté»

Cohn-Bendit qui défie de son sourire ironique un CRS, c’est de la gnognotte à côté de ce je-m’en-foutisme magistral. 

4 - Il est interdit d’interdire

Réformes avortées, commissions diverses, lois retravaillées, contestées et vidées de leur substance... Sarkozy aime organiser des AG où aucune décision n’est prise (1). Mieux: tout ce qui est décidé peut être remis en cause le lendemain.  Pierre Cahuc et André Zylberberg parlent des Réformes ratées du président Sarkozy (Flammarion 2009), prenant comme exemple emblématique les taxis, réforme immanquable et pourtant manquée. Il a suffi d’une ou deux opérations escargots

En fait, en digne héritier de Mai-68, ce Président a un réel problème d’autorité. Il tarde à remercier Eric Woerth, est d’une invraisemblable tolérance avec Rama Yade qui, en ministre adolescente, teste ses limites chaque jour. Comme l’expliquait Michel Schneider (Big Mother, Odile Jacob, 2002), la crise d’autorité de l’Etat fait dériver le pouvoir de ses fonctions paternelles vers un système de valeurs maternelles. Avec de plus en plus de difficultés à prendre les décisions difficiles. C’est tellement plus simple de «jouir sans entraves»...

Et, avec la naissance de sa fille, il n’est pas exclu que le Président du Kärcher révèle enfin sa nature profonde: peace and love.

Jean-Marc Proust

Infographie: Fred Hasselot

(1) On notera cependant, deux réformes réussies et souvent citées en exemple celle des Universités et le «Grenelle» de l’environnement. Universités? Grenelle? Tiens donc. Retourner à l'article

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