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Marc Lièvremont n'était pas Aimé

Marc Lièvremont est passé tout près de gagner la Coupe du monde après avoir été violemment critiqué dans les médias, comme Aimé Jacquet en 1998. Pourtant, les journalistes sportifs n'ont fait que leur travail cette fois-ci.

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Si l’équipe de France de rugby avait remporté la Coupe du monde de rugby, le journaliste sportif  aurait su à quoi s’attendre: sa corporation aurait été moquée et probablement traînée dans une boue de commentaires charriée par bien des sites.

De manière inévitable, Marc Lièvremont aurait été comparé à Aimé Jacquet et aurait donné à son tour écho à la prétendue incompétence des journalistes sportifs, si critiques avec le sélectionneur abandonné de tous après l’Italie-France de mars dernier («Lièvremont doit-il partir?» avait titré L’Equipe sur la largeur de sa Une) et regardé avec de gros yeux noirs après le Tonga-France de cette Coupe du monde.

A partir des quarts de finale et du succès contre l’Angleterre, le sélectionneur ne s’est d’ailleurs pas privé de prendre sa revanche sur tous les Cassandre qui l’avaient épinglé, à commencer par les anciens joueurs promus consultants devenus tellement envahissants pendant un mois et demi. «Pourquoi cette dernière conférence de presse?», lui a-t-il été demandé, lundi 24 octobre, au lendemain de cette finale crève-cœur.

«J’ai peur que vous (les journalistes) me manquiez et je voulais profiter de ces derniers moments, a-t-il répondu avec ironie. Ça a été la semaine des dernières donc c’est ma dernière conférence de presse. Je peux vous assurer que vous n’allez pas beaucoup m’entendre ni beaucoup me voir dans les semaines à venir.  Avec les nombreux consultants qui ont argumenté en permanence pour dire à quel point cette équipe de France était minable, je vais vous laisser expliquer comment elle a réussi à faire trembler les All Blacks sur leurs terres pendant 80 minutes.» Amertume évidente et compréhensible…

Pas le nouvel Aimé Jacquet

Mais même vainqueur, Marc Lièvremont n’aurait pas été le nouvel Aimé Jacquet qui a vu lui-même des similitudes dans leurs trajectoires. Faire un parallèle entre 1998 et 2011 aurait correspondu à comparer des pommes et des oranges ou plutôt des prunes et des marrons. En effet, contrairement à Aimé Jacquet, Marc Lièvremont, certes malmené, n’a subi aucune attaque ad hominem, s’en prenant à sa personne comme cela avait été le cas il y a 13 ans dans les colonnes de L’Equipe où, sous la plume de Jérôme Bureau, son directeur de la rédaction d’alors, Aimé Jacquet avait été rabaissé et regardé de très haut.

Car si Aimé Jacquet avait proféré les paroles qui avaient été les siennes au micro des reporters quelques secondes après la délivrance du France-Brésil du Stade de France, c’était bien et surtout avec le souvenir de cette blessure personnelle et moins à cause du fait que pendant de longs mois sa stratégie avait été mise en doute, sans oublier les soupirs liés aux tristounettes prestations de l’équipe de France à la veille du grand rendez-vous.

Les années ont passé et un certain malaise continue cependant de perdurer. Il est même renforcé au terme de cette coupe du monde de rugby. En France, depuis 1998, le journalisme sportif arbore une cicatrice pas complètement refermée et sur laquelle il est souvent commode d’appuyer, à tort ou à raison, à l’image de la polémique née de la fameuse Une et des révélations de L’Equipe en juin 2010  et mal digérées par nombre de lecteurs.

Son procès en incompétence et en malfaisance demeure instruit dans un domaine, le sport, rempli de supporters fanatiques, qui ont souvent le sentiment d’en savoir plus que les commentateurs qui ont la chance de pouvoir écrire ou parler sur le sujet. Les attaques incessantes dont a fait l’objet Christian Jeanpierre, le commentateur de TF1, tout au long de cette coupe du monde ont cristallisé cette virulence si ce n’est cette violence.

Le quotidien L’Equipe, qui est en position de quasi monopole sur son secteur, est aussi souvent au cœur de la cible des aficionados, pratiquants ou non, puisque, dans bien des cas, c’est le seul journal auquel ils peuvent se référer sérieusement en matière de sport.

Reste aussi dans l’esprit de nos champions (et d’une partie du public) l’idée et la confusion que le journaliste sportif devrait être leur supporter n°1 chargé d’envoyer les bonnes nouvelles et de délivrer les satisfécits urbi et orbi. Et que les commentateurs auraient dû, peut-être, continuer à battre la mesure pour continuer de nous faire croire en l’espérance au lieu de s’appesantir sur les causes de la débâcle contre les Tonguiens ou de faire la fine bouche sur le succès tiré par les cheveux contre le Pays de Galles puisqu’en sport, c’est bien connu, seule la victoire (et la qualification) compte.

Tout cela est évidemment excessif pour de ne pas dire puéril. Les joueurs de l’équipe de France ont eu tort de se fermer comme des huîtres car à l’exception de quelques rares débordements, la presse a fait correctement son métier en faisant vivre un débat somme tout légitime sur la stratégie de cette équipe de France qui pouvait poser question (sinon de quoi aurait-il fallu parler?). Face à une presse anglo-saxonne, et notamment britannique, Marc Lièvremont sait très bien qu’il aurait eu plus à souffrir et à subir.

Les journalistes ont leur part de responsabilité

Mais les medias sportifs ne doivent pas échapper non plus à la critique notamment en ce qui concerne leur volonté obsédée de réclamer du beau jeu comme un dû ou de traiter le sport en permanence par le vecteur de la grandiloquence et par le biais de mots comme «exploit» ou «héros» employés à tort et à travers à longueur d’année et auxquels finissent par croire ceux auxquels ils s’adressent. Des mots banalisés et vidés de leur sens, mais qui montent vraiment à la tête de certains qui ne les méritent pas et qui vous le font payer plus tard en ne passant plus les portes.

Pour des motifs en partie publicitaires, les rubriques sportives (et culturelles) sont les seules à verser encore dans un angélisme quasi délirant fait d’incantations («c’est extraordinaire», «faites-nous rêver», «le rêve bleu», «inoubliable», «magique»…) qui ne sont plus de saison dans le monde d’aujourd’hui où le sportif doit être aussi remis à sa juste place. Il n’y a aucune raison pour qu’il soit jugé de manière méprisante -et cela n’a pas été le cas en Nouvelle-Zélande- ou porté aux nues comme s’il allait réussir, comme un super Zorro, à nous faire oublier, par exemple, la crise économique.

Si la France était devenue championne du monde dimanche 23 octobre, cela aurait été évidemment «fabuleux», «sensationnel», «incroyable», «historique», mais ces qualificatifs n’auraient pas eu plus de sens que les «lamentables», «inqualifiables», «indignes» qui auraient été collés sur le dos des joueurs du XV de France s’ils étaient restés au pied des quarts de finale. Après tout, il s’en est fallu de peu.

Dans cet esprit, on espère que Marc Lièvremont saura raison garder et ne pas se noyer éternellement dans une aigreur qui ne lui ressemblerait pas. L’essentiel, pour lui, est d’avoir eu (presque) raison envers et contre tous. Le journalisme sportif doit, lui, méditer cette nouvelle leçon qui, ne lui en déplaise, lui a été administrée. Pour lui aussi, au-delà des manchettes trop vendeuses, la prudence reste la mère de toutes les vertus…

Yannick Cochennec

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