Économie

L'égalité, une idée à reconstruire

Ce socle fondateur a été mis à mal par la première mondialisation du XIXe siècle et il l'est à nouveau par celle-ci.

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Deux idées tirées du livre majeur du philosophe historien Pierre Rosanvallon à l'adresse de tous les politiques qui sont tentés, à gauche comme à droite, par des solutions démagogiques autour du protectionnisme et de l'impôt.

Dans La Société des égaux, Pierre Rosanvallon explique que le principe d'égalité, socle fondateur en France comme aux Etats-Unis, a été mis à mal par la première mondialisation du XIXe siècle et qu'il l'est à nouveau par celle-ci. L'égalité avait été entièrement reconstruite après-guerre, il faut faire de même aujourd'hui. L'auteur trace des pistes, j'y reviens.

Mais auparavant, soulignons deux idées. La première vient des leçons de l'histoire sur le libre-échange. Les mêmes débats ont eu lieu au siècle de la révolution industrielle que ceux lancés aujourd'hui aux extrémités de l'éventail politique sur l'ouverture des frontières.

Pierre Rosanvallon retrace le cheminement de ces idées depuis leurs premières formulations en 1840 jusqu'au début concret de la fermeture des frontières à partir de 1880 avec la suspension du traité franco-anglais et son point culminant: l'adoption du tarif Méline en 1892.

Les dangers du protectionnisme

Pour l'essentiel, retenons que l'idée d'égalité née en 1789 autour des «êtres tous semblables» avait été détruite par l'arrivée des usines et du prolétariat. Les protectionnistes proposent de la rebâtir sous la forme de «l'égalité glorieuse du drapeau tricolore». Ils détournent l'accusation contre le capitalisme vers le rejet de la «concurrence cosmopolite». La protection pensée à l'échelle du village ou de la région devient nationale. L'égalité se forge autour de «l'appartenance à une communauté de protection et de distanciation».

Avec le recul de l'histoire, on sait où tout cela a conduit. Avis à droite à tous ceux qui discourent sur l'«identité». Avis aussi à gauche aux «démondialisateurs». Car Pierre Rosanvallon rappelle que la gauche a été un moment tentée.

Le débat oppose Jules Guesde et Jean Jaurès, ce dernier l'emportant finalement au nom de l'internationalisme prolétarien. Le protectionnisme sera dénoncé comme une illusion trompeuse.

«La protection n'est pas favorable au salarié», conclut le congrès socialiste d'Amsterdam en 1904. Rosanvallon rappelle aussi que Karl Marx dira que les droits protecteurs ont pour fonction de «saigner à blanc le peuple» et conclura:

«Je vote pour le libre-échange

Tous ceux qui pensent que les Le Pen, Mélenchon et Montebourg servent le peuple feraient bien de réviser leur histoire et de lire Le Capital...

Deuxième idée: l'impôt. Le sujet est plus sérieux. On voit bien que la «chasse aux riches» est ouverte dans le monde.

Réhabilitons l'impôt

Les années libérales ont conduit à une distorsion des revenus qui nous renvoie, précisément, au XIXe siècle. Comme les Etats endettés vont puiser partout où ils peuvent, il devient inévitable qu'ils se tournent vers les riches.

Mais au-delà, l'objectif est de corriger ce que Thierry Pech nomme «la désocialisation des riches, leur déliaison radicale avec le sort commun». «La solidarité sociale a fonctionné comme un instrument d'émancipation et de diffusion de la confiance», explique l'auteur du Temps des riches. Mais la solidarité est menacée parce qu'«un individualisme sans attache a accrédité l'illusion d'une autoréalisation de chacun». Faux! Il est temps de réhabiliter l'impôt comme outil de cette solidarité et de la confiance.

Mais attention: «Augmenter les impôts sans refaire le sens commun, c'est impossible», dit Pierre Rosanvallon. Taxer les riches sera loin de suffire à reconstruire le sentiment d'égalité.

Depuis vingt ans, l'essor d'un capitalisme d'innovation à la place du capitalisme d'organisation a effrité l'idée même d'égalité au profit d'une société du mérite et de la chance. L'impôt délégitimé ne pourra faire son travail de solidarité que dans un deuxième temps, quand aura été reconstruite l'idée d'égalité sur des bases modernes.

Rosanvallon avance trois axes:

  • la société des semblables doit laisser place à la société des «singularités»
  • la «réciprocité» doit s'imposer contre la défiance envers «ceux qui ont tous les avantages»
  • la «communalité» contre le pays mosaïque de ghettos

C'est encore vague? Sans doute. Cela montre l'immense travail intellectuel et politique qu'il faut engager pour refonder l'égalité républicaine.

Eric Le Boucher

Chronique également parue dans Les Echos

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