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Quel est l'impact économique d'une année sans NBA?

Les grèves et autres lock-out dans le sport américain n'ont pas d'impact significatif sur l'économie des villes concernées, malgré ce que laissent penser certains reportages.

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Vendredi 28 octobre, les dirigeants de la NBA ont annoncé que deux nouvelles semaines de la saison régulière du championnat de basket étaient annulées en raison du désaccord financier entre propriétaires des franchises et joueurs. Ce conflit dure depuis quatre mois. Toute la pré-saison a été annulée de même que les deux premières semaines de la saison régulière 2011-2012 qui devait commencer le 1er novembre. Nous republions un article sur l'impact économique d'une année sans NBA.

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Tandis que prend fin une énième série de négociations infructueuses entre joueurs et propriétaires, les deux premières semaines de la saison NBA sont passé à la trappe, en attendant de savoir si plus de matchs vont être annulés. La perspective d’une saison perdue n’inquiète pas que les fanas du panier. Apparemment, dans les villes qui hébergent les équipes on est aussi aux affres de l’angoisse. À moins d’un mois du début de la saison, à Charlotte, Caroline du Nord on évoque déjà le potentiel impact «dévastateur» de la situation sur le commerce, une perte de 55 millions de dollars pour la ville d’Indianapolis et un désastre assuré pour les bars sportifs de Portland dans l’Oregon.

Rien que de grands classiques de la couverture média des grèves dans le monde du sport, et c’est aisément compréhensible. Tourniquets immobiles et rideaux baissés sur les magasins de souvenirs sont des symboles particulièrement clairs d’une activité économique en berne, et des images faciles à appréhender des conséquences des grèves et lock-out qui surviennent régulièrement dans le sport. Le problème, c’est que rien ne permet d’étayer la thèse défendue dans ces reportages. Les pertes financières pour les villes, la déroute pour le petit commerce — c’est un mythe.

«Le lock-out en NBA n’aura aucun impact économique significatif, c’est une certitude», considère l’économiste Brad Humphreys de l’Université d’Alberta, qui a étudié les effets des grèves dans le monde du sport. En 2001, il a entrepris avec Dennis Coates de l’université du Maryland – Baltimore county une enquête approfondie sur les effets du lock-out responsable de l’annulation de la première moitié de la saison de NBA 1998-1999. Les statistiques économiques n’étant pas encore disponibles pour cette période, Humphreys et Coates se sont reportés sur cinq grèves plus anciennes de la MLB (base-ball, NdT) et de la NFL (football américain, NdT), à commencer par le grave conflit sur les retraites qui désorganisa brièvement l’entraînement de printemps en 1969, puis la grève qui entraîna l’annulation des deux derniers mois de la saison de MLB en 1994, et des World Series de la même année.

Nos deux économistes se sont penchés sur les statistiques de revenu par tête dans les zones métropolitaines hébergeant des équipes sportives en grève (ou en lock-out). Et ils ont constaté qu’en dépit de la suspension des ventes de billets, le revenu moyen dans la ville ne montrait aucune variation. Aucune. «Les grèves dans le monde du base-ball ou du football n’ont jamais eu d’impact significatif sur les économies locales», écrivent-ils dans leur étude. Cerise sur le gâteau, ils se sont penchés sur les villes NBA ayant perdu leur équipe, pour en tirer la même conclusion: foutaise. «Le départ d’une franchise, quel que soit le sport et tout particulièrement en basket-ball, ne s’est jamais traduit par une baisse significative du revenu par tête dans une zone métropolitaine» écrivent encore Humphreys et Coates.

Et la TVA?

Des conclusions qui ont soulevé certaines objections. Humphreys et Coates, ont noté les critiques, ont cherché dans des statistiques annuelles des variations consécutives à des grèves qui, dans certains cas, n’ont duré qu’une ou deux semaines — ce qui revient à tendre l’oreille à un concert de My Bloody Valentine pour entendre un chuchotement.

Du coup, cinq ans plus tard, Robert Baade, Robert Baumann et Victor Matheson ont tenté une autre approche. Le trio d’économistes s’est concentré sur l’état de Floride et sur les variations des rentrées de «sale tax», équivalent de la TVA, au cours de chaque grève de MLB, NFL, NBA et NHL, à partir de 1982. Baade, professeur au Lake Forest College, qui a consacré près de trente ans à étudier les retombées économiques du sport professionnel, explique avoir retenu la Floride du fait que les statistiques sur la TVA y sont publiées mois par mois. Comme il l’explique, déduire les conséquences économiques sur une ville entière de l’absence d’une équipe sportive revient à «chercher une aiguille dans une botte de foin. Mais si l’on se concentre sur les recettes de TVA, on réduit déjà la taille de la botte de foin».

La nouvelle étude confirme les résultats de la première: lorsque le championnat est interrompu, la TVA tombe dans les caisses ville au même rythme. À Miami, l’absence du Heat au cours du lock-out de la NBA de 1998-1999 a révélé une corrélation extrêmement faible de 0,00987 avec le montant des recettes de TVA. Le lock-out des Florida Panthers de 2004-2005 a eu un effet encore plus subtil, de 0,00739. Dans un nombre de cas équivalent, l’effet était inverse: le lock-out de 1994-1995 montre une corrélation négative de 0,00353 avec les recettes de TVA. Pour le coup, il semble qu’on ait plus dépensé à Miami quand les Panthers sont restés au vestiaire.

«Si l’on prend comme hypothèse que le sport professionnel apporte un effet positif sur l’économie d’une région, on devrait pouvoir observer un lien de cause à effet entre l’extension des franchises et la construction de nouveaux stades, et un autre lien entre baisse des recettes taxables et mouvements de grève», raisonnent les trois économistes. Or, «aucun effet statistiquement significatif sur les ventes n’a pu être constaté lors de l’interruption des rencontres sportives, suite à une grève ou un lock-out».

Voilà qui paraît aller à l’encontre du bon sens — comment la fermeture d’une entreprise importante pourrait ne pas affecter l’économie locale? Mais les économistes ont une réponse, et même deux.

Effet de substitution

La première tient dans un phénomène bien connu, baptisé effet de substitution. Lorsque les gens décident de dépenser une certaine somme dans une activité de loisir, ils renoncent en contrepartie à dépenser cet argent ailleurs. Chaque ticket de basket-ball qu’on achète c’est un billet de cinéma qu’on n’achète pas, ou un dîner qu’on ne fait pas au restaurant. Si la saison de NBA ne démarre pas à l’heure, on trouvera à Charlotte, à Indianapolis ou à Portland un autre moyen de dépenser son argent: basket universitaire, cinéma, restaurants.

À cet égard, les dépenses sportives doivent être considérées comme cannibalisant une partie de l’économie locale, de préférence à une activité économique supplémentaire. Au cours de la grève du base-ball de 1994, la Canadian Broadcasting Corporation a étudié auprès des entreprises de Toronto la façon dont la disparition soudaine des Blue Jays, alors vainqueurs des World Series, avait affecté le commerce local. Elle avait constaté que certains s’en tiraient très bien, merci, la location de vidéo enregistrant par exemple un boom spectaculaire. Comme l’avait lancé le propriétaire d’un cabaret comique de Toronto, «dans l’intérêt de l’industrie du spectacle de Toronto nous pensons qu’il serait bénéfique que les joueurs de hockeys restent eux aussi au vestiaire pour la totalité de la saison».

Et de fait, certains signes suggèrent que la suspension des matches pour cause de conflit social bénéficie à l’économie locale. Humphreys et Coates ont ainsi constaté que le revenu par tête augmentait lorsque les rencontres sont suspendues, bien que ce ne soit que de quelques fractions de point: 0,38% lors des grèves de base-ball, et 0,17% dans le cas du football américain.

En dépit des mises en garde d’Humphreys quant au niveau très faible de cet effet, inférieur au seuil de signifiance statistique, il considère néanmoins avec Baade que le phénomène de fuite pourrait expliquer la raison pour laquelle les économies locales bénéficient éventuellement d’une l’interruption du championnat. La magie des dépenses de consommation, c’est qu’elles entraînent d’autres dépenses de consommation: achetez une boîte de thon chez l’épicier du coin, et le propriétaire va consacrer une partie de votre argent à payer ses employés, qui à leur tour vont les dépenser en épicerie, et ainsi de suite. Le cycle se poursuit jusqu’à ce que quelqu’un mette l’argent sur son compte en banque, ou achète quelque chose qui provient de l’extérieur de l’état ou du pays, ce qui revient à une «fuite» hors de l’économie locale.

L'argent du sport n'est pas redistribué localement

Dans un événement sportif, cependant, le cycle est raccourci, car une part disproportionnée des revenus qui en sont tirés part dans les poches d’un nombre réduit de gens: le propriétaire de l’équipe et les joueurs encaissent généralement l’essentiel de chaque dollar dépensé lors d’un match. Lorsque le propriétaire de l’épicerie du coin va dîner au restaurant, en fin de compte il met de l’argent dans les poches des serveurs qui par la suite vont venir dans son magasin acheter du lait et des légumes. Lorsque LeBron James touche son salaire, en revanche, il est peu probable qu’il va faire le dépenser pour faire ses courses au G20 du coin. On peut penser qu’au final, l’argent que vous avez investi dans votre abonnement à la saison des Heat profitera au moins autant à l’économie des Bahamas qu’à celle de la Floride du sud.

À en croire la théorie de la fuite, un lock-out prolongé de la NBA pourrait avoir des effets bénéfiques sur les économies locales. «Les gens continuent de dépenser leur argent», explique Baade, «mais probablement plus dans des activités de divertissement détenues ou gérées à l’échelon local». Baade a noté qu’un certain nombre d’études tendent à démontrer un léger impact positif des équipes secondaires sur l’activité économique locale. Si votre ville est assez petite et n’offre que peu d’autres attractions, les visiteurs potentiels resteront peut-être chez eux en l’absence de match. Ce qui pourrait indiquer que les petites villes NBA comme Oklahoma City ou Sacramento ont plus à perdre d’un lock-out.

Et pourtant, ces villes qui n’hébergent qu’une seule équipe ont un avantage par rapport à leurs consœurs plus grandes. À New York, un fan frustré des Knicks peut aller voir un match des Rangers. Son budget divertissement sera pourtant englouti dans les caisses de la même entreprise propriétaire, et dans les poches d’autres joueurs dépensant leur salaire ailleurs qu’en ville. À Sacramento, il est plus probable qu’on ira faire un bowling. D’où moins de fuites, ce qui compense les effets négatifs de l’absence de touristes.

La distance au stade

C’est dans les villes où les nouveaux stades sont financés par une taxe spécifique sur les commerces du stade et des alentours que l’impact est le plus important, car ces municipalités devront affronter à court terme des difficultés de remboursement (Sacramento, qui envisage de construire un nouveau stade pour les Kings, en partie financé par une taxe sur les billets et autres recettes liées aux matchs, ferait bien de s’en émouvoir). En fin de compte, il s’agit principalement d’un problème de comptabilité: lorsque les caisses de la ville sont alimentées par des recettes de TVA provenant d’autres activités que liées à la NBA, elle est en mesure de faire face à un manque à gagner ponctuel.

En dépit de ces nouvelles plutôt optimistes, il est des commerces qui ont du souci à se faire. «Il ne fait aucun doute pour moi qu’il y aura toujours un bar ou un restaurant situé à proximité du [Verizon Center] à Washington D.C. qui va perdre des clients», indique Humphreys.

Si vous vous occupez d’un bar non-sportif de l’autre côté de la ville, en revanche, faites des provisions de spiritueux. Les lock-out sont sans doute mauvais pour les affaires lorsqu’on est installé aux alentours d’un stade de la NBA, mais pour quiconque donne aux fans l’occasion de faire quelque chose pendant les longues soirées d’hiver, le boom économique est à la portée. Et si ce n’est pas suffisant pour dérider les fans déprimés, qu’on se le dise: quoi qu’il y ait sur Netflix, ce sera toujours plus divertissant qu’un match des Timberwolves.

Neil deMause

Traduit par David Korn

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