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Est-ce que les scientifiques croient qu'un jour les morts reviendront à la vie pour dévorer le cerveau des vivants? Probablement pas, mais n’allez pas penser pour autant que les zombies studies sont une simple blague de geeks.
Ce domaine d’étude s’est ouvert en 1983, avec une thèse controversée sur l'origine des zombies haïtiens de l'anthropologue Wade Davis, et qui s’organise de plus en plus sérieusement depuis la fin des années 2000.
En 2009, le Dr. Steven C. Schlozman participe au Science on Screen du Coolidge Corner Theatre. Le principe du programme est simple: un expert scientifique commente le film de son choix. Schlozman opte pour le grand classique de Romero, Night of the Living Dead, et propose d'utiliser les outils les plus avancés de la neurobiologie pour disséquer le cerveau d'un zombie (qu'il préfère lent, con et maladroit).
L'intervention devient virale et Schlozman est érigé en une sorte de gourou de la neurobiologie appliquée au morts-vivants. Il identifie même l'agent pathogène responsable du zombisme, l'Ataxic Neurodegenerative Satiety Deficiency Syndrome. Un billet est consacré à ses recherches sur le blog scientifique/science-fiction Io9, et il continue de pousser l'expérience au point que personne ne se souvient plus vraiment quelles sont ses véritables fonctions au sein de la communauté scientifique.
Puis en mars dernier, il finit par publier son bouquin, The Zombie Autopsies: Secret Notebooks from the Apocalypse. Il est déjà question d'une adaptation cinématographique de ce livre réalisée par Romero en personne.
En 2011, c'est le jeune neuroscientifique Bradley Voytek qui décide de se prêter au jeu des zombies studies. Lors de la Nerd Nite de Los Angeles, il tente de répondre à la question métaphysique suivante: qu'est ce qui fait qu'un zombie est un zombie?
La réception des fans et de la communauté scientifique est bonne. En juin dernier, Wired publie une infographie où Voytek et son collègue Verstynen nous révèlent que les zombies souffrent du Consciousness Deficit Hypoactivity Disorder caractérisé par:
«La perte de tout comportement rationnel remplacé par une agressivité à la fois délirante et impulsive, une attention axée uniquement autour de stimulus, une incapacité à coordonner les fonctions du langage et un appétit insatiable pour la chair humaine.»
On n’avait pas attendu les têtes d’ampoule pour apprendre à exploiter les faiblesses du cerveau zombie (en courant vite par exemple) pour survivre.
On va tous mourir
Mais le jeu devient un peu plus sérieux avec Daniel W. Drezner, professeur en relations internationales et blogueur pour Foreign Policy. En 2009, il tombe sur le modèle mathématique d'une épidémie zombie réalisée par une bande de chercheurs canadiens sous l'égide du professeur Robert Smith? (le point d'interrogation est un signe distinctif, pas une faute de frappe). Après dix-huit pages de formules, les conclusions sont alarmistes: on va tous mourir.
Sans une intervention rapide, brutale, et renouvelée, chaque humain sera zombifié ou mort au bout des sept premiers jours suivant l'introduction d'un zombie dans une ville de 500.000 habitants [PDF]. Drezner, frustré, décide d'insuffler une dimension politique aux zombie studies dans son blog.
Il entame ensuite la rédaction d'un livre, Theories of International Politics and Zombies, dans lequel il part d'un postulat simple: si une épidémie de zombies survient, le problème sera forcément d'ordre international. Quelles seront les réponses politiques apportées par les gouvernements et les institutions internationales? Que prédisent les différentes théories des relations internationales?
Avec le premier rapport hautement anxiogène des frères Madore, la science des zombies entre dans une nouvelle ère. Les lois de Madore sont un ensemble de formules mathématiques et de physique s'appliquant principalement au phénomène du rassemblement chez les zombies. Le cœur de l'étude réside dans une réinterprétation brillante de la théorie du Trou Noir, le Zombie Black Hole, où plusieurs super cellules de mort-vivants forment un ensemble ultra dense et particulièrement dangereux.
Heureusement, David et Bob nous expliquent comment diviser une cellule afin d'en éviter la constitution. Leur travail reste plutôt confidentiel mais les Madore ne se découragent pas et publient deux autres articles en juillet en en septembre 2011. Dans le premier: comment, d'un point de vue scientifique, les morts-vivants sont-ils capables d'identifier leur proie? Cette question est fondamentale et pour ceux qui pensaient qu'il suffisait de se recouvrir des tripes d'un zombie pour passer inaperçu, c'est raté. Le dernier article des Madore, plus compliqué, s’interroge sur la source de l'incroyable énergie des zombies et avance même une théorie sur le meilleur moment pour les attaquer ou les éviter.
Ou lorsque la science des zombies commence à servir l'action.
Démonstrations réelles sur œuvres fictives
Il s'agit de démonstrations scientifiques dont les axiomes reposent sur corpus d’œuvres fictives (principalement Night of the Living Dead, les bouquins de Max Brooks, et 28 Days Later). Les gros sites du type Cracked ou Io9 relaient régulièrement les résultats des études, mais la publication est indépendante. Theories of International Politics and Zombies sort en 2011 chez Princeton University Press et le papier de Smith? paraît chez Nova Science Publishers dans un livre sur les maladies infectieuses.
Ces recherches ne sont pas financées mais donnent lieu à des débats embryonnaires au sein de la communauté scientifique. En août, Tim Verstynen et Brad Voytek sont interviewés dans Neurology Today, un périodique pointu en matière de recherche en neurologie. Dans toutes les disciplines, les groupes de travail et les conventions se multiplient. Un véritable think tank est fondé en 2007. Les«vrais» scientifiques y sont de plus en plus représentés dans l'advisory board.
Le cas Madore (dont on ne sait presque rien, nous ne sommes même pas certains que Bob existe) est particulièrement intéressant, puisque les deux frères souhaitent créer et promouvoir une école de physique appliquée aux zombies, la Necropology. Leur objectif est d'attirer l'attention de la communauté scientifique sur les questions de physiologie du zombie, de générer des échanges de points de vue et de pousser la recherche zombie.
Croyants, métaphoriques et prudents
Comme les autres fans d’histoires de morts-vivants, les scientifiques ès zombies font partie d’une des trois catégories –probablement plus souvent la 2e ou la 3e– qu’on retrouve le plus souvent sur les forums des sites spécialisés:
- 1) Les croyants. Ils sont ultra minoritaires et savent que personne ne les écoute vraiment. Leur devise: la question n'est pas de savoir si l'apocalypse zombie va se produire, mais quand.
- 2) Ceux pour qui la
figure du zombie est une métaphore. Zombie Squad ou Zombie Operations Command ne sont pas des sites de believers. Ce
sont des sites survivalistes où on apprend comment faire face à une catastrophe
d'origine naturelle ou humaine, et survivre dans un monde post-apocayptique. À
un newbie, dans la section Zombie biology de Zombie Squad:
«Je sais que tu es nouveau mais nous ne croyons pas vraiment en tous ces trucs, mec. C'est un site de préparation aux catastrophes et nous utilisons les zombies pour dire catastrophes. Le nom du site trompe souvent les gens. Surtout avec ce slogan.»
Leur devise: être prêt à faire face à l'apocalypse zombie, c'est être prêt à faire face à n'importe quelle catastrophe.
- 3) Les prudents. Ils ne croient pas au mort vivant per se (undead zombie) mais estiment qu'en l'état actuel de la science, il est impossible de prévoir ce qui peut arriver. Un enchaînement de circonstances (révolution dans les sciences du vivant, innovations technologiques, conflit interétatique, terrorisme, etc.) pourrait conduire à l'émergence d'une armée d'infestés (viral zombie). Parmi eux, des conspirationnistes (idée d'un virus top-secret), des paranos de l'accident radioactif ou du terrorisme biologique, ou de simples étudiants en sciences adeptes de la conjecture académique. Leurs devises: on ne sait jamais, better safe than sorry.
Tous se demandent comment survivre à une zombocalypse.
L'intérêt des scientifiques croît avec celui du public et avec l'omniprésence de la figure du zombie dans la culture populaire. La plupart d'entre eux sont des fans qui se lancent dans la science des zombies pour le lulz. Mais pas seulement.
Les zombies studies, mieux que Dora l'exploratrice
La première vertu des zombies studies réside dans leur incroyable capacité à sensibiliser et à préparer le public à de véritables situations d'urgence. L'exemple du blog ouvert en mai dernier par les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) aux États-Unis est particulièrement éclairant:
«Il y a toutes sortes de situations d'urgence auxquelles nous pouvons nous préparer. Prenez l'apocalypse zombie, par exemple. C'est exact, j'ai dit a-p-o-c-a-l-y-p-s-e-z-o-m-b-i-e. Ça vous fait peut-être marrer maintenant, mais lorsque cela se produira vous serez heureux d'avoir lu ça, et hey, peut-être même que vous aurez appris un ou deux trucs sur comment se préparer à une urgence réelle.»
C'est la méthode Dora l'exploratrice: apprendre les bons réflexes tout en s'amusant. Prévoir un kit et un plan d'urgence peut vous sauver la vie qu'il s'agisse de zombies ou d'un tremblement de terre. C'est le mantra survivaliste.
Sans la moindre recommandation sur l'usage d'armes, le CDC est parvenu à faire lire à un tas de petits gamins obèses le plan d'une véritable agence gouvernementale. La campagne est rapidement devenue un trending topic sur Twitter, a multiplié par cent la fréquentation du site du CDC et a même fait planter les serveurs avant de disparaître.
Même chose dans les universités. Pour un prof, jouer au zombologue permet de rendre sa discipline plus sexy et d'attirer de nouveaux étudiants vers des matières souvent perçues comme rébarbatives. Dans son blog, Voytek explique:
«C'est un excellent moyen de parler de trucs vraiment compliqués tout en suscitant l'intérêt du public. Si vous commencez à expliquer comment l'imagerie cérébrale et la recherche dans le domaine des lésions permettent de comprendre les façons dont les différentes régions du cerveau interagissent pour donner lieu à un... zzzzZZZZZZzzz. N'est ce pas? Je veux dire, je me soucie beaucoup de ce genre de choses, mais si vous expliquez plutôt comment les régions cérébrales peuvent interagir pour faire naître un ZOMBIE, soudain les gens normaux aussi sont intéressés.»
Et le scientifique, dans un langage enfin déchiffrable, réalise son fantasme: montrer aux gens normaux qu'il existe, partager avec les néophytes les résultats de ses (très sérieuses) recherches.
Un excellent outil pédagogique
Parce que le zombie est un excellent outil pédagogique. Des types comme Drezner et Schlozman ne se contentent pas de se faire un peu de fric avec leur bouquin, ils utilisent régulièrement la figure du mort-vivant dans leurs cours pour capter l'attention de leurs étudiants et les aider à mieux comprendre des paradigmes et des modèles souvent complexes.
Schlozman explique par exemple que cela les pousse à innover et à s'adapter à de nouvelles situations. Smith? souligne que les modélisations mathématiques de la propagation des maladies infectieuses se limitent souvent à une facette d'une situation à la fois, alors que la modélisation d'une épidémie de zombies implique plusieurs variables. C'est un bon entraînement lorsqu'on cherche la formule susceptible de contenir la propagation du virus du Sida et qu'on veut gagner un prix Nobel.
Étudier le zombisme, c'est être prêt à appréhender des phénomènes peu connus, complexes ou délicats:
«Les morts-vivants sont un excellent moyen d'explorer de véritables problématiques médicales: pourquoi certaines maladies malignes détruisent le cerveau, comment une épidémie globale engendre le chaos et la terreur, et que doit-on faire des gens infestés par une maladie mortelle incurable hautement contagieuse.»
Pour Drezner:
«Certains feront valoir que, comme les chances de voir un jour les morts sortir de leur tombe et se nourrir sur les vivants sont faibles, cet exercice présente peu d'intérêt. C'est méconnaître la manière dont la politique internationale change, et le besoin de la recherche en relations internationales de changer avec elle... Les goules révèlent des préoccupations saillantes concernant le système international. Les zombies sont la menace parfaite du XXIe siècle: ils ne sont pas compris par les analystes sérieux, ils possèdent des capacités protéiformes, et représentent un défi très très important pour les États.»
Oui, tacler tous ces glandeurs de théoriciens et ces croulants de la science, c'est aussi ça la science des zombies. Une véritable cure épistémologique. Une remise en question cruelle de théories parfois trop rigides et une réflexion profonde sur le langage scientifique, la production et la transmission des connaissances.
Julia Coulibaly