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Rugby: pourquoi les entraîneurs kiwis s'exportent si bien

Sur quatre demi-finalistes, trois équipes seront menées par des entraîneurs néo-zélandais. La preuve d’un savoir-faire et d’une marque «All Blacks» qui s’exporte.

L'entraîneur néo-zélandais de l'Australie Robbie Deans, REUTERS/Mick Tsikas
L'entraîneur néo-zélandais de l'Australie Robbie Deans, REUTERS/Mick Tsikas

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Marc Lièvremont est une incongruité au niveau des demi-finales. Non seulement car il est le dernier moustachu en course pour le trophée Webb Ellis, mais surtout parce qu’il est le seul entraîneur du dernier carré à ne pas être néo-zélandais. Outre Graham Henry, le sélectionneur des All Blacks, Robbie Deans avec l’Australie et Warren Gatland avec le Pays de Galles sont encore en course. Le pays du long nuage blanc a donc 75% de chances d’avoir au moins un champion du monde. Au début de la compétition, ils étaient six head coaches kiwis sur la ligne de départ, avec Kieran Crowley (Canada), John Kirwan (Japon) et Isitolo Maka (Tonga). Sans oublier une palanquée d’adjoints, conseillers techniques, préparateurs physiques etc.

Pourquoi les techniciens néo-zélandais ont-ils tant de succès à l’étranger? «Parce que comme les joueurs, ce sont les meilleurs», analyse sans aucune modestie Michael Brown, journaliste au New Zealand Herald. «Le terrain est très propice ici, les gens mangent, vivent, dorment rugby.» La Nouvelle-Zélande terre de l’ovale-roi. L’image n’est plus aussi vraie qu’au temps de l’amateurisme, mais  la passion des kiwis reste très forte, surtout lorsqu’on en vient à parler des All Blacks, véritable monument historique et interculturel.

Dans le rugby, chacun veut son Néo-Zélandais, avec la mention «All Black» dessus. C’est une marque de qualité. «Les coaches sont très bien formés ici. On a des entraîneurs de haut calibre», se félicite Wayne Smith, entraîneur-adjoint de la sélection à la fougère argentée, et ancien head coach de l’équipe entre 1999 et 2001.

Grâce aux lois de l’économie rugbystique mondialisée, la demande internationale rencontre l’offre en main d’oeuvre qualifiée. Car la Nouvelle-Zélande est un minuscule pays: 4,4 millions d’habitants, et un tissu économique faible par rapport à l’Europe ou au Japon. Pour un entraîneur, seuls quelques postes ont donc un intérêt, à la fois sportif et financier: ceux du staff des All Blacks, de l’équipe des -20 ans, et des cinq franchises néo-zélandaises du Super 15, le championnat de l’hémisphère sud. En dessous, la paye est faible, et le niveau de la compétition domestique, le NPC, stagne. Les provinces néo-zélandaises sont en effet privées de leurs internationaux lors de la compétition, qui se déroule en même temps que les Tri Nations.

Pour le frisson et pour le chèque

Un terrain d’expression limité qui pousse bon nombre de coaches à s’expatrier pour le frisson et le chèque, à l’exemple de Vern Cotter, le gourou de Clermont. Avant lui, Wayne Smith a entraîné en Angleterre, à Northampton. Les deux autres membres du triumvirat qui dirige les All Blacks depuis 2004 ont aussi une solide expérience en Europe. Steve Hansen a dirigé le Pays de Galles au Mondial 2003. Il avait remplacé Graham Henry à la tête des diables rouges. «Beaucoup d’entraîneurs ont des aspirations internationales. Henry et Hansen ont montré en allant au Pays de Galles que c’était possible de partir, et de revenir, pour devenir coach des Blacks», explique Michael Brown.

Entraîneur de la province d’Auckland et des Blues, Graham Henry domine le rugby de club de l’hémisphère sud au milieu des années 90. Devancé dans la course à la magistrature suprême, il choisit l’exil au Pays de Galles en 1998. Il devient le sélectionneur le mieux payé du monde pour l’époque, et relève une équipe en plein creux générationnel, ce qui lui vaut le surnom de «Grand rédempteur» à Cardiff. Il devient aussi le premier étranger à diriger les Lions britanniques lors de leur tournée australienne de 2001. Auréolé de succès sur la scène internationale, il rentre en Nouvelle-Zélande dans la foulée, gagne un nouveau trophée de Super 12 avec les Auckland Blues, ce qui le rend incontournable pour le poste de sélectionneur après l’élimination des All Blacks en demi-finale du Mondial 2003. Il embarque avec lui Wayne Smith et Steve Hansen, dans un trio rompu aux joutes des test matchs.

Pas étonnant, donc, que parmi les noms circulant pour constituer le futur staff des All Blacks, plusieurs expatriés figurent en bonne place. Vern Cotter le Clermontois, son ancien adjoint en Auvergne et champion d’Europe avec les Irlandais du Leinster Joe Schmidt, ou encore les sélectionneurs du Canada Kieran Crowley et du Japon John Kirwan. Les deux derniers ayant l’avantage d’être des champions du monde 1987. Un autre nom revient avec insistance, celui de Warren Gatland.

Waren Gatland

A la tête du Pays de Galles depuis fin 2007, Gatland a un profil particulier puisqu’il a fait ses gammes en Europe. Entraîneur du Connacht en Irlande, puis du XV du trèfle, qu’il a remis sur pieds entre 1998 et 2001, il fut expulsé de Dublin par son adjoint Eddie O’Sullivan suite à un complot à faire rougir de jalousie les Borgia. Il rebondit avec les London Wasps qu’il mène à trois titres de champion d’Angleterre, une coupe anglo-galloise, un challenge européen et une H-Cup... rien que ça. En 2006, il décide de rentrer au pays (un titre de NPC avec Waikato) pour briguer à son tour le poste suprême, comme Henry avant lui. Échec, et retour par la case Europe. Le Pays de Galles, cette fois: un grand chelem en 2008 dès son premier tournoi des VI nations, et une demi-finale de Coupe du monde (en attendant mieux) avec le meilleur squad gallois depuis les années 70.

Celui qui a lancé O’Driscoll et O’Gara chez les verts donne sa chance à une nouvelle génération de diables rouges, symbolisée par le capitaine Sam Warburton, 22 ans, et l’ailier George North, 19 ans, tous deux déjà indiscutables. Des joueurs qui prouvent que la valeur n’attend pas le nombre des années. «Les coaches néo-zélandais n’hésitent pas à donner leur chance aux jeunes et à imposer des charges de travail élevées», explique Wayne Smith. Gatland apporte rigueur et professionalisme à une équipe déjà talentueuse et nourrie à la doctrine du jeu de mouvement traditionnel des Gallois.

Comme Smith, surnommé «le professeur» en raison de ses milliers d’idées de tableau noir sur le jeu, Warren Gatland est un coach dans l’âme. All Black à la fin des années 80, il n’hésitait déjà pas à proposer des nouvelles techniques d'entraînement, inspirées d’autres sports, football australien et football gaélique notamment. Sur le blog Nice Rugby, Julien Schramm le décrit comme «un homme passionné de rugby et de jeu. Un entraîneur intransigeant sur les valeurs et sur la préparation physique. Un faiseur d’aventures. Car s’il est un technicien hors du commun, il sait que ce sont les hommes qui font avant tout les équipes et la réussite.»

Rigueur

Soucieuse de conserver son grand organisateur, la fédération galloise lui a offert un pont d’or avant la compétition pour prolonger son contrat jusqu’en 2015. Et hors de question, pour l’instant, de le laisser repartir au pays.

Qu’apportent donc les entraîneurs néo-zélandais? «Ils ont l’ambition de faire évoluer le jeu, juge Tony Marsh, ancien trois-quart centre du XV de France, de retour dans son pays natal. Quand il y a une nouvelle règle, ils regardent tout de suite comment ils peuvent en profiter, ils innovent. Ils apportent aussi énormément de rigueur dans tous les domaines.»

Le jeu des All Blacks n’est pas excessivement sophistiqué. La force des hommes en noir, c’est avant tout de pouvoir répéter des choses simples à grande vitesse. Le format des compétitions néo-zélandaises favorise aussi la mise en place d’un certain type de rugby. Il y a peu ou pas de pression à la relégation: du coup, les entraîneurs ont le temps de développer un jeu plus offensif. Le NPC, même s’il attire moins de stars, reste un terrain favorable pour donner leur chance aux jeunes joueurs. «Certains de mes entraîneurs en Europe copiaient d’autres équipes, sauf que celles-ci avaient déjà évolué, se souvient Tony Marsh. La force du rugby néo-zélandais, c’est le dialogue entre les coaches et les joueurs cadres.»

Deans passé chez l'ennemi

Avec Henry et Gatland, Robbie Deans est le troisième kiwi des demi-finales du Mondial. L’ancien joueur de Grenoble a lui aussi été prolongé par la fédé australienne. En 2008, il a franchi le «fossé», comme on appelle la mer de Tasmanie, après avoir échoué à remplacer Graham Henry à la tête des All Blacks, piteusement éliminés de la Coupe du monde par la France quelques mois plus tôt. Les deux hommes entretiennent d’ailleurs une relation cordiale mais sans plus. Une position de coach du grand rival qui en fait une cible privilégiée en Nouvelle-Zélande, où l’on accuse «Dingo» Deans d’être passé à l’ennemi. On craint aussi ce stratège hors pair qui a longtemps écrasé le Super 12-15 à la tête des Crusaders, où il a appris à connaître sur le bout des doigts quelques cadres des All Blacks, dont Richie McCaw le capitaine.

En Australie, ses récents résultats (victoire dans les Tri Nations cet été) lui ont offert une certaine légitimité malgré les appels d’anciennes stars, comme David Campese, à réinstaller un local sur le banc. Quant aux Néo-Zélandais, pourraient-ils avoir un entraîneur étranger? «Je ne suis pas sûr que le public accepterait d’en voir un nommé à la tête des All Blacks», répond Michael Brown. «Ce n’est pas la même chose qu’en Australie, où il n’y a pas la même culture du rugby à XV. Là-bas, il y a tellement d’autres sports, comme le football australien ou le XIII. Ce qui leur importe avant tout, c’est la victoire, donc ça ne leur pose pas de problème de prendre un coach kiwi si ça les fait gagner. Alors que nous, on est beaucoup plus dans l’histoire et la tradition.» Pas sûr que la victoire leur importera si peu si les All Blacks se font sortir par une équipe menée par un kiwi.

François Mazet et Sylvain Mouillard

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