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Papier contre Écran

Les journaux traditionnels ont encore plusieurs avantages face à leurs versions en ligne.

Temps de lecture: 4 minutes

Il y a un peu plus de cinq ans, j'ai publiquement déclaré avoir résilié mon abonnement au New York Times. Je n'avais alors aucun problème avec le Times en lui-même, sa ligne éditoriale ou sa façon de traiter le Moyen-Orient, les minorités ethniques, la religion et le sexe (entre autres sujets sensibles pouvant amener certains lecteurs à se désabonner).

Si je ne voulais plus de la version papier, c'était avant tout parce qu'avec son élégante nouvelle mouture, le site du New York Times était devenu un meilleur vecteur d'information que le quotidien papier en tant que tel.

Autre argument en faveur de la version Internet: le site était gratuit (la version papier me coûtait alors 621,40 dollars par an). Mais d'une manière générale, j'estimais que le nouvel habillage du site était mieux adapté à mon mode de vie, à mon travail.

Nostalgie du New York Times papier

Je demeure à ce jour un grand amateur du NYTimes.com, et apprécie tout particulièrement le Times Reader, application Adobe AIR pour Mac, Windows et Linux permettant de consulter le quotidien hors-ligne (il suffit pour ce faire de synchroniser les données avec votre ordinateur).

Et pourtant, moins d'un an après ma résiliation, j'avais rendu les armes: la version papier New York Times m'était à nouveau livrée chaque jour. J'aimerais pouvoir faire porter le chapeau à ma femme: elle avait beaucoup souffert de cette décision pour le moins radicale, et me pressait de renouveler notre abonnement.

Mais pour être tout à fait honnête, le Times me manquait: son emballage bleu, qui m'attendait chaque matin sur la pelouse de mon jardin; le joli papier glacé du magazine de l'édition dominicale. Si j'avais pu convaincre mon livreur de déposer, à l'aube, un ordinateur équipé du Times Reader sur mon gazon, le tout emballé dans l'habituel sac bleu, peut-être aurais-je pu survivre sans mon quotidien.

Un moins bon souvenir des articles

Mais non. A dire vrai, c'était les articles qui me manquaient le plus. Je passais beaucoup de temps sur le site du quotidien et sur le Times Reader, mais j'ai rapidement pris conscience que je me souvenais moins bien des informations lues sur Internet. La version électronique avait mis à mal mes capacités de mémoire.

Je me suis également rendu compte que j'évitais désormais toute une série d'articles intéressants, et ce par pure inadvertance. Si le "News Quiz" de Slate.com avait fait sa réapparition à l'époque, j'aurais sans doute perdu jour après jour.  

Ces quelques observations anecdotiques relatives à la supériorité du papier ont été récemment confortées par une étude universitaire présentée à la conférence annuelle de l'Association for Education in Journalism and Mass Communication.

Cette étude ("Medium Matters: Newsreaders' Recall and Engagement With Online and Print Newspapers", format PDF) a été réalisée par Arthur D. Santana, Randall Livingsone et Yoon Cho, de l'Université de l'Oregon.

Plus de souvenirs sur le papier qu'en ligne

Les chercheurs ont confronté un groupe de lecteurs de la version papier du New York Times à un autre, uniquement composé de lecteurs du NYTimes.com. Les deux groupes avaient vingt minutes pour parcourir les articles du quotidien; une fois ce délai écoulé, on leur demandait de répondre à un petit questionnaire.

Les chercheurs ont alors constaté que les lecteurs de la version papier «se souvenait de beaucoup plus d'articles que les lecteurs de la version en ligne»; qu'ils «se souvenait de beaucoup plus de sujets que les lecteurs de la version en ligne», et qu'ils se souvenaient «mieux des éléments principaux des articles». Les deux groupes sont arrivés à égalité dans une seule catégorie: ils avaient gardé autant de gros titres en mémoire.

Le nombre des lecteurs était certes limité (quarante-cinq seulement), mais l'étude confirme mon parti-pris en faveur du papier –du moins, pour ce qui est du New York Times.

Un problème de hiérarchisation

L'étude examine  plusieurs théories pouvant expliquer la supériorité de l'imprimé. D'une, les journaux en ligne ont tendance à ne pas assez hiérarchiser les articles en fonction de leur importance, ce qui nuit à l'une des fonctions de la presse: l'agenda-setting [concept selon lequel la hiérarchisation de l'information d'un média a une grande influence sur son audience].

Les chercheurs écrivent ainsi:

«Les lecteurs de la presse en ligne ont tendance à retenir moins d'informations que les lecteurs des journaux imprimés lorsque les articles traitent d'évènements nationaux, internationaux ou politiques, et ce en raison de l'absence de marqueurs signalisant leur importance. En règle générale, ces articles ne sont pas placés (ou mis en valeur) de manière à être lus en priorité - contrairement à ceux de la presse papier, où la hiérarchisation est constante.»

Selon l'étude, rien ne laisse penser que les «formes d'information dynamiques en ligne» (en gros, le multimédia) permettent de rendre les articles plus mémorisables.

Le problème des pubs

L'étude cite d'autre chercheurs ayant travaillé sur le sujet, selon lesquels la mise en page des sites d'information –qui ont pour habitude d'insérer des publicités entre deux paragraphes, ou de fractionner les articles de manière à obliger le lecteur à cliquer pour lire la suite– pourraient nuire à la qualité de la lecture.

Il est plus facile d'aller jusqu'au terme d'un article imprimé, même si l'on doit passer d'une page à l'autre. Le papier facilite la concentration –et s'il vous est arrivé de consulter un article frappé d'une agaçante publicité sur un site d'information, vous savez de quoi je parle.

Par ailleurs –et pour paraphraser quelque peu l'étude– nos habitudes et notre culture font que les journaux traditionnels inspirent un respect différent au lecteur; sa façon de lire n'est pas la même; l'attention qu'il porte aux articles non plus.

L'avantage des journaux traditionnels

J'ai été particulièrement influencé par Bill Hill et son essai «The Magic of Reading», paru en 1999, qui traite du futur de la lecture sur écrans (Microsoft Reader requis); néanmoins, il me faut bien reconnaître que les journaux traditionnels disposent de quelques avantages supplémentaires.

Grâce au savoir-faire des typographes (qui ont plus d'un tour dans leur sac: les polices de caractère, les approches,  les longueurs de ligne, les interlignes, le format des pages, les marges...), la version papier des journaux demeure plus agréable pour nos yeux (et nos cerveaux) que leurs équivalents en ligne.

Voilà quinze ans que je travaille pour des sites d'information en ligne; et pourtant, j'ai toujours autant de mal à achever la lecture d'un article de plus de mille mot sur un écran d'ordinateur. Je préfère acheter un exemplaire du journal ou du magazine correspondant; le cas échéant, je l'imprime.

Mais attention: je ne suis pas technophobe. Après tout, les versions papier n'ont pas de fonction recherche! Il est par ailleurs impossible d'avoir accès à l'ensemble des quotidiens le jour de leur publication; je suis donc heureux d'avoir accès à ces deux modes de lecture.

J'ai testé l'iPad; mon expérience fut mitigée. S'il est particulièrement agréable d'avoir accès immédiat et constant à 25 numéros du New Yorker ainsi qu'à des bibliothèques entières, je me tourne toujours vers les versions imprimées pour un confort de lecture optimal.

Les auteurs de l'étude concluent que l'engagement des lecteurs va évoluer au fur et à mesure qu'ils délaisseront les journaux pour se tourner vers les sites d'informations en ligne.

Si vous êtes journaliste, rédacteur en chef ou éditeur, je vous conseille donc vivement de jeter un coup d'œil à  ce travail de recherche. En format PDF, le document fait trente pages –mais pas d'inquiétude: vous pouvez toujours l'imprimer.

Jack Shafer

Traduit par Jean-Clément Nau

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