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Comment les rugbymen sont devenus des armoires à glace

En Nouvelle-Zélande comme ailleurs, les gabarits des joueurs de rugby ont évolué de manière accélérée, aussi bien au niveau de la taille que du poids. Grâce à de meilleures techniques d'entraînement.

Le Néo-zélandais Sonny Bill Williams contre les Tonga à Auckland le 9 septembre 2011, REUTERS/Nigel Marple
Le Néo-zélandais Sonny Bill Williams contre les Tonga à Auckland le 9 septembre 2011, REUTERS/Nigel Marple

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Selon l’expression favorite de Fabien Galthié, le capitaine Anglais Mike Tindall est un «frigo américain», comprendre un cube lancé à pleine vitesse dans le mur défensif pour le faire exploser. Tindall (1,87m, 102 kg) n’est pas un pilier ou un troisième ligne, poste où la puissance a toujours été un argument. Il joue trois-quart centre. Et son gabarit de déménageur est désormais la règle au centre du terrain.

A l’image d’un Sonny Bill Williams (110 kg), d’un Ma’a Nonu (106 kg), d’un Aurélien Rougerie (104 kg). Elle est bien loin l’époque des Boniface, des Codorniou, des Gachassin, créateurs aux gabarits légers, qui pesaient aux alentours des 70 kg. Même Philippe Sella, référence absolue du poste à la fin des années 1980, plafonnait à 84 kg, son poids de forme.

L’évolution des mensurations au poste de trois-quart centre est symptomatique de la transformation physique qui s’est opérée dans le rugby depuis vingt ans. En 1987, John Kirwan, l’ailier des All Blacks, était une exception, combinant la vitesse à la puissance (97 kg selon Wikipédia). Désormais, toutes les équipes ont des joueurs de ce type. Même côté français, où Heymans, Médard et Clerc dépassent les 90 kg.

Jeremy Hapeta et Steve Sannard, de l’université de Massey, ont étudié l’évolution des gabarits des All Blacks, depuis la tournée des Originals en 1905 jusqu’à aujourd’hui. Les chiffres sont édifiants. Il y a un siècle, l’homme en noir moyen mesurait 1,75m et pesait 81 kg. Le plus impressionnant d’entre eux, George Nicholson, culminait à 1,87m et pointait à 88 kg sur la balance. Lors de la tournée des Lions britanniques en Nouvelle-Zélande en 2005, les joueurs du squad kiwi affichaient une moyenne d’1,87m et de 102 kg. Même le plus léger d’entre eux, avec ses 84 kg, était toujours 3 kg plus lourd que l’Original de base.

Arrivée des Polynésiens

L’indice de masse corporelle (IMC) permet aussi d’appréhender cette mutation morphologique. Cet indicateur (masse/taille²) illustre l’évolution de la corpulence des joueurs. Dans les années 70, l’IMC du pilier Billy Bush était de 30.09. Trente ans plus tard, son successeur Tony Woodcock émarge à 35.44. Le joueur néo-zélandais moyen, lui, est passé de 25.5 à 27.4. Dans le cas précis du rugby kiwi, la popularité croissante de l’activité au sein des populations polynésiennes doit aussi être prise en compte. Elaine Rush, professeur de nutrition à l’AUT d’Auckland, détaille:

«Les statistiques collectées jusqu’au milieu des années 90 n’incluaient pas les gens du Pacifique ou les Maoris, qui en général ne sont pas plus grands mais pèsent plus lourd. Et les équipes All Blacks d’il y a 50 ans comprenaient moins de Polynésiens.»

«De manière générale, les gens sont plus imposants maintenant, notent Hapeta et Sannard. Particulièrement en raison d’une baisse des maladies infantiles et d’une meilleure nutrition.» Mais le rugby a fait plus qu’accompagner l’évolution de la société. L’avènement du professionnalisme est évidemment le principal facteur. En 1995, alors que le rugby pro vit ses premières heures, la planète découvre un joueur au gabarit hors du commun: le «Big Man» Jonah Lomu (1,96m, 125 kg).

Dix ans plus tard, ce genre d’exception est de moins en moins rare. Les deux professeurs de Massey expliquent:

«Les joueurs n’ont plus besoin de travailler à côté pour vivre. Ils sont payés pour s’entraîner et se reposer. Ils se développent à la salle de musculation, bénéficient des meilleurs programmes de science sportive et de nutrition».

Le rugby pro fabrique des athlètes à force de renforcement musculaire et de lever de fonte, parfois dès l’âge de 15 ans. Ajoutez à cela la personnalisation des programmes d'entraînement, du suivi médical, de la diététique, de la récupération, et il est aisé de comprendre l’évolution des gabarits. Eric Champ,, l’ancien troisième ligne de Toulon et des Bleus, se rappelle:

«Quand j’ai commencé à la fin des années 70, personne ne faisait de musculation. Dix ans plus tard, j’en faisais un peu pour me renforcer, mais il n’y avait rien de systématique ou de planifié».

La fin des années 80 marque le début d’une professionnalisation de fait des rugbymen, d’un premier bond en avant dans la préparation, avec une médiatisation plus importante et la Coupe du monde comme objectif ultime des internationaux. Son ex-coéquipier Franck Mesnel se rappelle lui aussi avoir vu une différence sensible apparaître en 1991, en faveur d’équipes de l’hémisphère sud beaucoup plus affûtées et musculeuses que quatre ans auparavant.

26 kilos de plus

Au sein du paquet d’avants, la courbe suit la même évolution. Wilson Whineray, légende vivante des All Blacks au poste de pilier dans les années 50, émargeait à 94 kg, massif pour l’époque. Son héritier Tony Woodcock en pèse 26 de plus. Jonathan Hugues, de l’université de Massey, explique:

«Les entraîneurs des équipes qui jouent les grands tournois comme les Tri ou les Six nations ont maintenant la possibilité de suivre les courbes de performance physique de leurs joueurs à l’année. Les préparateurs physiques disposent en outre de très bonnes installations et de technologies de pointe. Par exemple, le Pays de Galles utilise un programme mis en place par son équipementier et pratiqué par l’armée américaine. Les coachs peuvent savoir de manière quasi instantanée qui a besoin de repos et qui doit travailler plus dur.»

Des améliorations qui amènent au développement de paquets de mammouths: désormais, tout bon 8 de devant qui se respecte dépasse les 900 kg. On était plus proche des 850 kg il y a dix ans.

Arrive-t-on à la limite du développement physique des joueurs? Va-t-on vers une nouvelle génération de golgoths? «Vous pouvez parier que les maillots des All Blacks seront encore plus larges dans quelques années», jugent Jérémy Hapeta et Steve Sannard. Leur collègue Matthew Barnes tempère cette conclusion:  

«La puissance est primordiale dans tous les sports, mais la vitesse aussi. Le rugby, c’est plus que des mastodontes musculeux qui se rentrent dedans. La clef, c’est le rapport poids-puissance. Les meilleurs joueurs sont ceux qui atteignent le meilleur équilibre.»

Kirwan hier, Sonny Bill Williams aujourd’hui, sont des exemples de gabarits en avance sur leurs époques, combinant vitesse, puissance, et bien sûr une certaine technique qui en font des joueurs au-dessus du lot.

François Mazet et Sylvain Mouillard

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