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Les voix dont les Palestiniens (et les Israéliens) ont vraiment besoin

Le ballet diplomatique des dernières semaines et des derniers jours autour du conflit israélo-palestinien le montre une nouvelle fois: les dirigeants des deux pays ne sont pas à la hauteur des enjeux.

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Comme H.L. Mencken aurait pu le remarquer, personne n’a jamais pâti d’avoir sous-estimé les compétences des actuels dirigeants israéliens et palestiniens.  Mais dans la compétition pour le prix du dirigeant le plus nul de la région, c’est Bibi Netanyahu qui fait la course en tête. Après tout, il a réussi ce qui semblait pourtant quasiment impossible en devançant Mahmoud Abbas.

Et ce n’est pas un mince exploit. Au cours du week-end dernier, un observateur éminent et très avisé de la région guidé dans ses analyses par ce que l’on pourrait communément qualifier de penchant pro-palestinien prononcé, a dit d’Abbas qu’il était «désespérément incompétent, corrompu et obsédé essentiellement par la provenance de son prochain dollar». Comme je l’ai souligné, il s’agissait d’un partisan aux prises avec cette épineuse question: pourquoi Abbas présente-t-il sa résolution de création d’un Etat palestinien devant le Conseil de Sécurité de l’ONU où elle essuiera vraisemblablement un veto au lieu de la soumettre à l’Assemblée générale des Nations Unies où il est assuré d’emporter une retentissante victoire une fois les votes comptabilisés ? Bien sûr, cette dernière voie n’accorde qu’un statut d’Etat observateur, mais la première n’accorde rien d’autre que l’occasion de prononcer quelques discours indignés de plus.

Mon ami a envisagé plusieurs raisons. La première était la bêtise. Une seconde, guère plus charitable, voulait qu’Abbas désire occuper le devant de la scène pour un dernier tour de piste en mesure le propulser convenablement dans sa retraite politique. S’il y parvenait en réussissant de surcroît à rallier des soutiens officiels à la cause dans son ensemble et à mettre en lumière les divisions au sein des grandes puissances, encore mieux.

Une initiative pour redéfinir le débat

Se pourrait-il que ce soit aussi parce qu’il savait qu’en remportant une victoire à l’Assemblée générale, l’attention se serait alors portée sur l’inanité de cette victoire obtenue, les choses étant ce qu’elles sont, pour une nation sans frontières sur lesquelles ses plus proches voisins puissent s’accorder?

Toutefois, quels que soient le résultat et les mobiles d’Abbas, il a fait une chose dont son homologue israélien et les sages chefs de la diplomatie du Quartet, dans leur sagesse, ont bien été incapables: il a pris l’initiative et redéfini le débat. Il a tenté de s’évader du cadre des négociations qui n’ont mené nulle part pendant des années et ce faisant il a, pour le moment au moins, conduit tous les autres à s’agiter en tous sens en réaction à son stratagème.

Il a pu faire cela parce qu’il a senti que l’opinion mondiale est désormais très favorable à l’idée d’un Etat palestinien et si profondément déçue, non seulement par l’arrêt du «processus de paix», mais par la politique israélienne, incendiaire et contre-productive, de développement des implantations, que les anciennes règles de conduite sont devenues obsolètes.

Quoi qu’il se passe, il aura mis vivement en évidence le soutien que de nombreuses puissances majeures et émergentes accordent à la création d’un Etat palestinien, la profondeur de ce soutien dans le monde entier, et, en agissant en contradiction flagrante avec les aspirations des tenants traditionnels du processus de paix, il aura montré la frustration croissante et mondiale provoquée par leur inefficacité.

Ceci au moins est à peu près conforme à la réalité. 

On ne peut pas en dire autant de la réponse des Israéliens ou des politiques qui les ont conduits à cette situation. Au cours des deux derniers jours, plusieurs éléments ont favorisé une certaine prise de conscience en Israël. Le premier —et non le moindre— étant la clameur de soutien aux Palestiniens qui s’élève de nombreux pays.

La nouvelle donne américaine

Mais, plus important encore, l’évidence que l’équilibre stratégique se modifie sous les pieds d’Israël et pas à son avantage. Une partie vient de Washington. Oh bien sûr, l’Administration Obama tente activement d’empêcher le vote à l’ONU et de démontrer son soutien à Israël – bien que curieusement, comme le suggère la récente élection au Congrès de New York, les membres du gouvernement pourraient ne se voir attribuer aucun mérite pour leur action par d’électeurs qui ne croient pas qu’Obama soit, au fond de lui, un véritable soutien d’Israël. 

Mais le signal majeur de cette semaine que Netanyahou ferait bien de prendre en considération provient en fait d’un endroit inattendu: le plan de réduction du déficit annoncé le 19 septembre par le Président américain.

Dans ce plan, Obama promet de grosses «économies» avec le retrait imminent d’Irak et d’Afghanistan. Il est vrai que de mon point de vue, c’est un peu comme si une femme annonçait des «économies» à son mari en acceptant de ne pas acheter une nouvelle Bentley, mais gardons ce sujet pour un autre jour. Le point essentiel, c’est que cette annonce signe la fin de la «guerre contre le terrorisme» que mènent les Etats-Unis et de leur politique étrangère centrée surl'impératif de contenir l’extrémisme islamique. Cela signifie que pour la deuxième fois en vingt ans, l’épouvantail qui a rendu la question israélienne stratégiquement stratégiquement cruciale pour les Etats-Unis est en train d’être relégué à un statut radicalement moindre.

Cela signifie aussi que l’Amérique elle-même envisage de jouer dans la région un rôle considérablement réduit comparé à celui qu’elle y a tenu ces dernières années - un rôle qui sera vraisemblablement encore plus restreint une fois que les faucons du déficit auront fourré leur nez dans les budgets d’aide internationale.

Le rôle du printemps arabe

L’impact de ces changements a été accentué par l’essor récent d’un espoir en l’avènement d’Etats modérés, démocratiques et plus séculiers dans la région. Les récentes déclarations du ministre turc des affaires étrangères Davutoglu pointant tous les avantages qu’il y aurait à développer un partenariat entre la Turquie et l’Egypte tendraient d’ailleurs à délivrer ce message à Israël et à tous ceux qui ont des intérêts dans la région.

Mais tandis que Davutoglu déclarait: «ce ne sera pas un axe contre un autre pays quel qu’il soit», il est peu probable que les Israéliens aient été rassurés pour autant (pas plus que les Iraniens, reste à espérer). La Turquie et l’Egypte seraient susceptibles, en admettant qu’un tel partenariat se développe entre elles et que leurs propres évolutions internes continuent, de devenir bien plus importantes aux yeux des Etats-Unis pour promouvoir leurs intérêts dans la région qu’Israël ne le pourra jamais. 

Ceci devrait mener à des arbitrages et à un changement dans la politique des Etats-Unis quand bien même l’Amérique ne se retirait pas de la région (les choses étant ce qu’elles sont, nonobstant les protestations de l’Administration et du Congrès). Mais si nous nous retirions effectivement, ces grandes puissances régionales auraient plus d’influence et inutile de préciser qu’actuellement les relations d’Israël ne s’améliorent avec aucune d’elles.

Ainsi la situation sur le terrain prend en compte le soulèvement du Printemps Arabe, la reconnaissance croissante du fait que la stabilité au Proche-Orient dépendra finalement plus de l’émergence de modérés que de formes de pouvoir héritées du passé, le prochain retrait des Etats-Unis et la modification de leurs priorités, l’émergence de forces régionales plus enclines à l'interventionnisme (comme les Turcs), le soutien global et massif aux Palestiniens… et pendant ce temps Netanyahou et compagnie s’enferrent dans des politiques comme si nous étions en Juin 1967.

Le changement viendra des urnes

Ils sont parvenus à s’aliéner leurs amis et à faire paraître leurs ennemis, par ailleurs incapables, plus forts. Alors qu’en reconnaissant simplement aux Palestiniens le droit d’avoir un Etat, ils auraient occupé le haut du pavé et joui en retour d’une position plus favorable pour demander l'entière reconnaissance de leur propre droit à exister en tant qu’Etat juif, ils ont opté pour une approche excessive, destructrice et  anachronique qui a mis leur pays plus en danger qu’il ne l’a jamais été depuis environ quatre décennies. Involontairement, Netanyahou s’emploie à faire du chant du cygne d’Abbas le sien.

Bien sûr, il se pourrait que ce ne soit pas une si mauvaise chose étant donné que le monde et les deux pays ont besoin de dirigeants plus en phase avec les nouvelles réalités de la région et conscients que le problème est moins politique qu’économique. Et qu’ils conviennent tous deux qu’il est de leur intérêt de conclure un accord selon lequel le monde aiderait à financer la transformation de la Palestine en ce partenaire économique florissant dont Israël a besoin et devrait vouloir à ses frontières, tandis qu’ils s’emploieraient  pour que cet accord se concrétise.

C’est pourquoi les voix qui comptent vraiment pour la paix entre Israéliens et Palestiniens ne viendront pas aux Nations Unies mais des urnes dans les deux pays… Avec un peu de chance, elles viendront bientôt.

David Rothkopf

Traduit par Florence Boulin

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