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Rugby: le Sud est-il mieux préparé?

Les équipes de l'hémisphère sud ont la réputation, en Europe, d'être mieux préparées physiquement.

Des membres de l'équipe de Roumanie de rugby récupèrent dans de la glace après un entraînement, REUTERS/Bogdan Cristel
Des membres de l'équipe de Roumanie de rugby récupèrent dans de la glace après un entraînement, REUTERS/Bogdan Cristel

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Lorsque la France et les autres équipes européennes auront été éliminées sans gloire par leurs rivaux de l’hémisphère sud, vous entendrez les entraîneurs et les commentateurs se plaindre de la différence physique entre les deux parties du globe (et nous aussi). Réalité ou excuse bidon? Voici quelques éléments de réponse.

Il y a dix ans, au début des années Laporte et dans un professionnalisme encore hésitant, jouer contre une équipe de l’hémisphère sud ressemblait souvent à un découpage en règle. Les joueurs français avaient l’impression de passer leur temps à se lancer dans un mur de briques.

C’était exactement le constat de la Coupe du monde 1999 après la finale perdue contre l’Australie. Depuis, l’existence d’un «fossé» en terme de préparation physique entre les deux hémisphères est une hypothèse avancée après chaque raclée administrée des mains australiennes, néo-zélandaises ou sud-africaines. Mais est-ce vraiment le cas? Ou est-ce juste une excuse bien utile à ressortir?

«Je crois que la préparation est très similaire entre les deux hémisphères, coupe de suite Matthew Barnes, responsable du laboratoire scientifique «Sport and Exercise» à l’université de Massey. Avant, on travaillait sa condition aux champs ou à la mine. Maintenant, les connaissances scientifiques utilisées pour bâtir les programmes d’entraînement sont communes.»

Tout le monde ferait donc la même chose, et personne n’inventerait rien. La preuve, le préparateur physique des Bleus, Julien Deloire, a obtenu sa maîtrise en «Ingénierie de l’entraînement sportif» à l’université de Dunedin, en Nouvelle-Zélande, avant de devenir pendant deux saisons le «fitness coach» de la province des Otago Highlanders, qui évolue alors en Super 12, le championnat de provinces de l’hémisphère sud. Comme les joueurs, les entraîneurs appartiennent désormais à un marché global. Les compétences s’échangent, s’influencent... En France, le club de Clermont-Ferrand a changé de dimension en attirant Vern Cotter, technicien néo-zélandais réputé.

Créatine

Autre marotte de nos petits Bleus, l’allusion aux gabarits impressionnants des joueurs du Sud, et à leur «techniques» de préparation si particulières. La créatine, grand méchant loup il y a dix ans, a longtemps servi à expliquer notre supposé retard morphologique sur des anglo-saxons bourrés de produits. C’est bien connu, le rugby français, lui, n’alignait que des esthètes... par exemple une belle paire Damien Traille/Brian Liebenberg.

Ce préjugé du vaincu est battu en brèche par Jeremy Hapeta. Selon cet ancien rugbyman, professeur à l’université de Massey, le supposé gouffre entre les deux hémisphères s’est largement comblé. Il a étudié la morphologie des groupes des Blacks et des Lions britanniques lors de la tournée de 2005. Résultat, les néo-zélandais affichaient un poids moyen de 102,5 kg (102 kg pour les Brits) et 187 cm sous la toise (contre 186,5 cm). Une différence tout à fait marginale. Celui qui a même passé une saison en Fédérale 1 française (3e division), à Nafarroa, tort le coup à une autre idée reçue:

«On ne fait pas autant de préparation physique en Nouvelle-Zélande que chez vous! J’ai plus couru en un an en France que durant toute ma carrière. Le rugby kiwi se concentre plus sur la prise de décision. Les joueurs s’entraînent à faire des choix plus intelligents, et plus précis.»

Pour les Bleus, la ligne directrice pour le Mondial néo-zélandais a été tracée il y a deux ans et demi. Ces huit semaines de préparation physique et rugbystique, c’est un luxe auquel la sélection nationale est très peu habituée. Les nations de l’hémisphère sud vivent quasiment quatre mois en commun chaque année, du début des Tri Nations à la fin de la tournée automnale. En Europe, les coachs galèrent pour récupérer leurs joueurs 15 jours avant le début du Tournoi des 6 nations... avant de les rendre pour une semaine à leurs clubs respectifs en plein coeur de la compétition! Puis de les récupérer, parfois blessés, parfois désorientés, pour le match suivant. Pas très pratique pour homogénéiser les conditions physiques et travailler les repères...

Répétition des matchs

Y a-t-il donc une vérité absolue en terme de préparation d’une Coupe du monde? Non, à en croire Julien Deloire, interviewé il y a quelques semaines par Libération:

«Il y aura peu d’enseignements à en tirer tant la disparité est grande entre les équipes. L’hémisphère Sud joue encore en compétition [les Tri Nations, ndlr] à quinze jours de la Coupe du monde, sa préparation est basée sur beaucoup de matchs. Les Anglais, eux, ont commencé en mai.»

Et les Bleus en juillet après une longue saison de Top 14...

Même la récupération comprend plusieurs écoles: «Vers 2007-2008, les Sud-Africains ont lancé la mode des bains glacés après les matchs, cinq minutes dans une eau à 5°C, rapporte Julien Deloire. Les Néo-Zélandais alternaient bains très chauds et très froids, les Australiens utilisaient des vêtements de contention. Nous préconisons un mélange de ces méthodes, autour d’une hydrothérapie contrastée avec un mélange pas trop chaud, ni trop froid.» La bonne vieille méthode des thermes romains en fait.

Temps de jeu effectif

L’augmentation du temps de jeu effectif (un match dure 80 minutes, auxquelles il faut soustraire tous les arrêts de jeu, avant les touches, mêlées, etc.) bouleverse aussi les priorités d’entraînement: de 30 minutes de temps de jeu effectif il y a quelques années, il n’est pas rare de dépasser 40 minutes sur certains matchs.

«Le rugby actuel se fonde sur des séquences de plus en plus longues, détaillait Julien Deloire à Libé. Certaines peuvent frôler les deux minutes, cela arrive dix à douze fois par match. Le développement musculaire demeure important, mais le joueur doit être capable de traîner sa carcasse sur la distance aussi souvent que nécessaire. Il faut un compromis.»

Dans le temps, on aurait dit qu’il faut manger des diagonales de terrain pour acquérir du «coffre». Désormais, on travaille l’endurance mais de manière plus spécifique, à plus haute intensité. Les joueurs sont devenus des ouvriers extrêmement spécialisés. Un pilier, sensé apporter du soutien sur les regroupements, va donc être entraîné à être très explosif sur 5 mètres, avant d’imposer sa puissance d’impact au déblayage. Un ailier, lui, devra être capable d'accélérer, certes, mais surtout de maintenir sa vitesse maximale sur 60, 70, 80 mètres, et de changer radicalement de trajectoire en pleine course.

S’il y a un domaine qui s’est énormément amélioré dans le rugby pro depuis 15 ans, c’est bien la défense. Les systèmes sont de plus en plus hermétiques. Désormais, pour marquer des essais, il faut multiplier les temps de jeu, imposer à la défense de longues phases de défi, susceptibles de menacer sa réorganisation. Autant d’objectifs qui demandent une grande capacité de déplacement et replacement. Dans ce domaine, le retard des joueurs du Nord est encore palpable. En Top 14, par exemple, les matches sont encore loin de proposer le même rythme que ceux du Super 15 dans l’hémisphère sud. Le temps de jeu effectif y est sensiblement inférieur (entre 28 et 32 minutes), alors qu’il frôle les 36-40 minutes aux antipodes.

Organisation des compétitions

La Coupe d’Europe se rapproche plus du niveau international, mais ce n’est, au mieux, que 9 matchs dans la saison. Plus qu’à un problème de compétences (les championnats européens sont les plus riches et ont tous les moyens d’attirer des techniciens reconnus), ce retard est dû à l’organisation particulièrement éprouvante des compétitions nordistes. Les saisons durent neuf mois, et peuvent potentiellement proposer plus d’une quarantaine de rencontres à un international. Un rythme encore à peu près raisonnable dans le foot, mais carrément démentiel au rugby, si traumatisant pour les corps.

Du coup, dès qu’on arrive en période de tests matchs internationaux, les nations européennes ont du mal à franchir le pas. Les Blacks ou les Wallabies sont habitués à maintenir un haut volume de jeu pendant toute une rencontre. Les Français ou Britanniques, eux, n’assument ce défi que par séquences. Résultat, quand les joueurs européens sont placés au-delà de leur zone de confort, il n’est pas rare qu’ils explosent. Illustration parfaite lors du dernier France-Australie, en novembre 2010. Les Bleus tiennent le coup en première période, infligeant même un essai de pénalité aux Wallabies. Mais au retour des vestiaires, les vagues or et verte incessantes, favorisées par des libérations rapides, déferlent sur la défense française. Bilan, une mémorable rouste (16-59).

A mettre au crédit des compétitions du Sud, un format où la pression est moins forte, puisqu’il n’y a pas de relégations et que les ressources financières ne sont pas directement liées aux classements (elles sont en partie gérées par les fédérations, et redistribuées). Elles encouragent le jeu et permettent une plus grande répartition des meilleurs joueurs. On ne peut pas décemment demander à l’équipe la plus faible du Top 14 de multiplier les passes alors qu’elle a le couteau sous la gorge et que la moindre bêtise peut se solder par un retour dans une Pro D2 bien moins médiatique et rémunératrice. L’an dernier, La Rochelle a tâché de s’en sortir par l’offensive, ce qui est louable, mais son manque de profondeur d’effectif et de réalisme lui ont été fatal. Agen, plus pragmatique, a arraché son maintien.

En courant beaucoup moins, mais en sollicitant plus le mental. Côté face, la tradition de promotion-relégation et de phases finales du rugby européen lui est profitable lors des matchs à pression. Ce qui explique la capacité à s’arracher, de temps à autres, pour taper les Blacks ou les Wallabies, comme l’ont fait la France et l’Angleterre il y a quatre ans avec des équipes inférieures. Car au rugby, courir longtemps, c’est bien, mais rentrer dans la tronche du mec d’en face pour le mettre sur les fesses, c’est parfois mieux. Et ça, les All Blacks l’ont bien compris aussi.

François Mazet et Sylvain Mouillard

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