Économie

La France du déclin tranquille

Jean Peyrelevade, ancien conseiller du gouvernement de Pierre Mauroy et ancien président du Crédit Lyonnais, livre un constat sans appel: «Nous sommes en train de consommer les derniers restes d'une prospérité passée.»

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Comment se dessine l'avenir du pays? Une longue décennie de croissance anémique, de chômage persistant, d'horizon bouché pour les jeunes. Une «japonisation». Les élections verront, à Paris comme à Tokyo, les gouvernements valser les uns après les autres, sans que cela ne change jamais rien au lent délitement. Le déclin, dans un climat débilitant de débats dérisoires sur la TVA du parc Astérix ou sur l'heure à laquelle DSK est arrivé chez lui place des Vosges.

Aux yeux d'une majorité de Français et de la classe politique, rien ne paraît encore si grave. La richesse acquise, immense, permet de subsister encore une bonne décennie en ne changeant qu'à la marge. La classe politique croit faire son devoir, elle s'estime même courageuse de faire ce qu'elle peut «vu l'état angoissé de l'opinion». Tout s'abîme, mais tout survit.

D'où l'idée entendue qu'il faut souhaiter une franche récession. Le réveil salutaire viendrait d'un recul du PIB, d'une flambée du chômage, d'une dégringolade du pouvoir d'achat. Enfin les yeux des hommes et des femmes politiques s'ouvriraient sur la réalité. La France au fond du trou, l'heure serait enfin venue de mettre en oeuvre les politiques de redressement.

Le mensonge des délocalisations

Espérons que nous l'éviterons. Il n'y a rien de pire que les politiques du pire. Le populisme qui rôde verrait ses rangs se garnir. C'est aux partis de gouvernement, PS et UMP, de voir la vérité.

Jean Peyrelevade, ancien conseiller du gouvernement de Pierre Mauroy et ancien président du Crédit Lyonnais, la résume dans son dernier livre:

«La France se berce d'illusions [...] son déclin économique n'est malheureusement pas une vue de l'esprit. C'est la réalité brute, dure, incontestable, des faits et des chiffres [...] nous sommes en train de consommer les derniers restes d'une prospérité passée.»

Le mal a trois racines: la dette, la perte de compétitivité et l'Europe.

Des trois, c'est la compétitivité qu'il place en tête, c'est inédit et c'est salutaire. Le principal motif d'inquiétude est là, en effet: que produirons-nous dans vingt ans? La France s'est désindustrialisée plus vite que les autres pays européens, son commerce extérieur est sur une pente alarmante.

Dans une plaidoirie pour l'industrie, Jean Peyrelevade tord le cou à pas mal d'idées fausses (venues de l'extrême gauche) dont celle des «délocalisations». Des 500.000 emplois directs perdus par l'industrie depuis dix ans, une part «infime» a été déplacée en Chine ou ailleurs. L'essentiel a purement et simplement disparu. Des secteurs entiers sont morts sous les coups de la concurrence internationale et la France a été incapable d'en reconstruire dans les filières nouvelles. Pourquoi?

Parce que la recherche-développement est insuffisante et trop concentrée dans les grands groupes. Parce que l'entreprise reste mal aimée, en particulier l'industrielle. A cause du coût du travail, gonflé depuis les 35 heures. D'impôts et de charges trop lourds: 17% du PIB en France, «soit 6 points de plus que la moyenne européenne». Et, «last but not least», à cause de marges trop faibles qui briment la capacité d'investissement et interdisent d'aller investir à l'exportation.

Réinventer la protection sociale

L'inquiétant dans ce chapitre est de voir combien les idées toutes faites sur l'économie vont à contresens de ce qu'il faudrait. Les entreprises gagneraient trop d'argent? C'est le contraire qui est vrai. Le capital capte trop de valeur ajoutée aux dépens du travail? Faux. Le coût du travail n'est pour rien dans la compétitivité? Bien sûr que si.

Les deux autres volets du livre, dette et Europe, sont moins originaux. On regrettera en particulier que Jean Peyrelevade, qui fait de la dette un «parasite», ne dise mot de la radicale remise en cause de l'Etat providence qu'il faut mettre en place. Il faut réduire les dépenses, mais cela ne suffit pas: il faut réinventer la protection sociale, en fonction des maux d'aujourd'hui (la précarité des emplois) et à destination des nouveaux plus démunis (les femmes seules avec des enfants et les jeunes, par exemple).

Entre la réduction de la dette et le besoin de réarmer l'industrie, il faut déplacer 10 points de PIB en cinq ans vers l'Etat (dette) et vers l'entreprise (par une TVA sociale). Jean Peyrelevade énonce sans fard la conséquence:

«Cela signifie, inutile de la cacher [...], une faible progression de pouvoir d'achat des Français.»

Le prochain président de la République sera celui ou celle de la baisse du pouvoir d'achat.

Eric Le Boucher

Chronique également parue dans Les Echos

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