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Pour qui sonne le poil

Savez-vous pourquoi l'épilation est à la mode?

Temps de lecture: 6 minutes

C’est une question que toute femme s’est déjà posée en arrachant douloureusement une bande de cire ou en voyant ses poils la narguer quelques jours après les avoir rasés: «Mais pourquoi est-ce que je dois m’épiler?». Et malgré des recherches assidues, la réponse est tristement prévisible: s’épiler, ça ne sert à rien. Enfin, médicalement parlant.

Avoir ou ne pas avoir de poils sur les jambes, sous les aisselles, sur les bras, dans le dos, un peu partout en somme, n’aggrave pas le risque de tomber malade et ne le diminue par forcément non plus. Le seul endroit où la pilosité a une influence sur la santé, c’est le pubis. Une intimité glabre a plus de risques d’attirer des vilaines mycoses et autres désagréments du genre car oui, dans ce contexte, les poils sont nos amis; ils forment une barrière naturelle aux microbes.

Et contrairement aux idées reçues, un poil ne retient pas la transpiration. Si vous sentez mauvais en plein cagnard, c’est parce que votre peau s’est salie depuis votre dernière douche, trois poils en plus ou en moins n’y changent rien. Autrement dit, et malgré les discours hygiénistes ambiants, vos poils ne sont pas sales, ils sont juste des poils. Aussi mal perçus soient-ils aujourd’hui.

Mais alors, qui est cette femme, celle que toutes les autres haïssent, celle qui s’est dit un jour «Tiens si je me faisais un mal de chien en m’arrachant tous les poils de mon corps pour qu’ils repoussent dans le meilleur cas trois semaines plus tard?» Et bien cette femme n’est autre qu’un homme! Dès l’Antiquité, on trouve des textes mentionnant ou conseillant l’épilation.

Pour quoi faire me direz-vous? Pour séduire! Les hommes voulaient des femmes douces, ils les ont eus et très tôt. Déjà avant Jésus-Christ, les vénus font tout pour plaire aux mâles. Pour les aider, le poète Ovide consacre tout un tome de son ouvrage L’Art d’aimer à des techniques de séduction, destinées, il prévient d’entrée, aux plus laides:

«Mais combien peu de femmes peuvent s'enorgueillir de leur beauté ! La plupart d'entre vous n'ont pas reçu du Ciel cette faveur. »

Dans son chapitre intitulé «Autres moyens d’être belles», il lance:

«J'allais presque vous avertir de prendre garde que vos aisselles n'offensent l'odorat, et que vos jambes velues ne se hérissent de poils.»

Presque? Mais le mal est fait jeune homme! L’épilation ne concernera tout de même très longtemps que les classes aisées. De marginale, elle devient de plus en plus fréquente. Et cette expansion daterait probablement du XVIIe siècle. Azadeh Kian, chercheuse et directrice du Cedref (Centre d'enseignement, d'études et de recherches pour les études féministes) résume ainsi l’affaire:

«Les nouvelles normes esthétiques sont très liées à l’avènement de la modernité en Europe. Les genres sont séparés. Les hommes occupent la sphère publique, les femmes la sphère privée. Et ces dernières, considérées comme trop sensibles et dépourvues de raison par certains philosophes, sont tenues de rester à la maison et de s’occuper du foyer.»

La différenciation entre le rôle de l’homme et de la femme se matérialise alors physiquement. Le port du poil est remporté par les mâles, les femelles récoltent la douceur. Les corps féminins sont tenus d’être blancs et lisses, les régimes et les corsets sont de rigueurs. «Seul l’Homme a un corps épanoui à cette époque», résume Azadeh. Et comme dans l’Antiquité, les femmes ne s’épilent pas parce qu’elles en ont besoin, mais parce que c’est un critère de beauté pour plaire à leurs compagnons. 

Autre pays autre histoire. La directrice du Cedref est d’origine iranienne. Elle conte qu’avant le XIXe siècle, l’idéal de beauté féminin est bien différent en Iran de celui qui règne dans le monde occidental :

«Une belle femme était une femme velue. Elle avait un duvet au dessus des lèvres et les sourcils épais. Les visages et les corps gardaient leur apparence naturelle. Les femmes se devaient de se distinguer des jeunes hommes.»

Et la suite de l’histoire est encore plus intéressante. Azadeh poursuit :

«Les hommes avaient des relations amoureuses avec de jeunes hommes. Le mariage et les rapports avec les femmes servaient en général seulement à la reproduction. Les jeunes hommes aux corps fins et lisses étaient des objets de désir.»

Au XIXe siècle, de nouvelles normes s’introduisent en Iran. La distinction entre hommes et femmes se fait plus nette, les femmes sont considérées comme les compagnes de leurs maris. Leurs corps suivent. Elles perdent leur gras et leurs poils. L’hétérosexualité devient la norme.

Voici, en résumé, quelques raisons historiques pour répondre à notre question. Et ce qu’on comprend, c’est que peu importe le continent, une femme s’est toujours épilée pour plaire à son mec. Quelque chose d’encore plus vrai aujourd’hui, avec l’épilation intégrale du pubis.

Dans les années 1970, les Monts de Vénus sont bien garnis. Les toisons assumées sont la norme. Mais peu à peu, ceux-ci se découvrent, pour laisser place à un sexe complètement nu. Stéphane Rose, journaliste et écrivain, a eu ses premiers émois sexuels dans ces années où les maillots foisonnants étaient le comble du sexy. Au fil des expériences amoureuses, il se rend compte que les sexes de ses partenaires sont de plus en plus nus et s’interroge.

De ses réponses, il fera un livre: Défense du poil, contre la dictature de l’épilation intime. Loin d’être un amoureux des « hairy pussies » il se bat seulement contre l’uniformisation. Il explique:

«Les femmes avaient de belles chattes bien touffues dans les films pornos des années 70, puis se sont épilées le maillot dans les années 80, ont adopté le ticket de métro dans les années 90 et l'intégrale dans les années 2000. Les hommes, qui veulent dans leur lit ce qu'ils voient dans les pornos, ont naturellement fait pression sur leurs copines pour qu'elles s'épilent... »

Et parfois, ceux-ci n’ont pas vraiment besoin de demander. C’est triste à dire, mais un maillot en phase de repousse peut tuer une libido. Combien de femmes s’interdisent une quelconque vie sexuelle lorsque leur maillot n’est pas net? En gros, on peut résumer le calendrier comme ceci. Je m’épile le 1er du mois, je peux m’envoyer en l’air jusqu’au 15. Du 15 au 25, mes poils sont trop courts pour être épilés mais bien visibles, j’ai des rougeurs et des poils incarnés (et c’est vraiment laid). Je prends rendez-vous chez mon esthéticienne, qui, si elle n’est pas très sympa, me mettra carrément à quatre pattes sans culotte pour m’épiler intégralement. Je ne ferai rien le premier soir parce que mes lèvres seront rouges et gonflées. Mais dès le lendemain j’aurais quand même le droit à 15 jours de débauche… et ainsi de suite.

Laura, ancienne esthéticienne, se souvient : «Il y a deux ans, j’ai épilé intégralement une fille de 12 ans. Elle allait avoir sa première fois, et voulait être complètement nette pour son copain.» L’épilation intégrale est entrée dans les mœurs, si bien que les amateurs de poils ou les femmes qui refusent de se dépiler sont pris pour des marginaux. Et pour ça, on peut remercier les pornos. «Dans la pornographie, l’épilation est une conséquence parmi d’autres d’un projet global : voir plus, voir mieux, lit-on dans la Défense du poil. Conséquence: dans sa quête éperdue d’obscénité, la pornographie a réussi la prouesse de départir le poil de la fonction d’identifiant sexuel qu’il a toujours eu jusqu’alors. »

En plus d’être un identifiant sexuel, le poil devient un signe de résistance. Un point de vue que développe Stéphane Rose:

«On mange et on boit des choses de plus en plus ternes, on regarde des films, on écoute des musiques qui ne transgressent plus rien. Au moindre propos qui déroge au politiquement correct qui gouverne l'époque, une association vous tombe dessus et vous traîne devant les tribunaux. L'humain nouveau semble s'accomplir dans le lisse et l'ennui. Il ne veut d'aucune aspérité, qu'elle soit physique (le poil) ou intellectuelle. Il se mue doucement mais sûrement en ectoplasme consumériste dépourvu de conscience. »

Ce qui nous amène à un dernier point. A qui profite le poil? On ne l’a pas encore mentionné mais la dépilation, même non définitive, coûte un bras. Après un rapide calcul*, une femme dépense au minimum 10.000 euros par vie en épilation, si elle s’épile seule et qu’elle n’achète que des premiers prix. Le marché mondial de l’épilation, c’était 1,8 milliard d’euros en 2008 selon le Wall Street Journal**.

Alors est-il temps d’entrer en résistance? Certaines féministes ne s’épilent pas revendiquant qu’elles n’ont pas à se distinguer des hommes. Avant d’en arriver là, mesdames, posez-vous la bonne question. Pas «pourquoi est-ce je dois m’épiler» mais plutôt «pour qui?». Pour moi ou pour la société?

Léa Barbat

* Calculons le coût de l'épilation:

Prix moyen d’une cire, bande comprise : 20 euros.

Une femme pas très poilue en utilise un pot par mois (jambes, maillot, aisselles): 20 x 12 = 240.

Si elle commence à s’épiler à 12 ans et arrête environ à 60, cela fait 48 ans d’épilation: 240 x 48 = 11.520 euros

Pour les moins poilues, arrondissons à 10 000, même si le chiffre est sûrement beaucoup plus élevé.

** Chiffre tiré du livre La Défense du poil

Photo de une: The Shopping Sherpa CC Flickr licence 2.0 by

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