France

Les cimetières des sites politiques

Hors période électorale, les politiques ne sont pas très actifs sur le web.

Temps de lecture: 4 minutes

Lyne Cohen-Solal n’a vraiment pas de chance. L’adversaire socialiste de Jean Tiberi dans le Ve arrondissement de Paris a non seulement encore perdu l’année dernière aux municipales, mais son site Internet vient d'être détourné par un Russe qui l’a transformé en site porno.

Etrange cybersquat! Les internautes qui tapent «Lyne Cohen-Solal» dans Google ne sont pas très nombreux. Pour gagner du trafic, ce n’est donc pas une idée très judicieuse. Mais plus surprenant, l’adjointe socialiste à la mairie de Paris n’a pas jugé bon d’enlever l'adresse de ce site dans les informations de son profil Facebook. Peut-être ne le sait-elle même pas. Pourtant, il y a un mois, j’avais envoyé un e-mail à sa directrice de cabinet pour la prévenir du détournement. Courriel resté sans réponse.

Cet exemple est symptomatique du rapport qu'entretiennent les politiques avec le Net. En période de campagne électorale, ils sont très actifs et presque tous ont un site et/ou un blog. Mais, une fois l’élection terminée, la plupart de ces sites ferment jusqu'à la prochaine campagne (française bien entendu, l'Européenne ne semble pas trop les mobiliser). Certes les plus connus sont toujours là. NSTV (Nicolas Sarkozy TV) devenu PRTV (pour Président de la République TV) est une grosse machine qui a inspiré (sic) Barack Obama selon François de La Brosse, conseiller de Nicolas Sarkozy. Ségolène Royal publie ses «excuses» sur Désirs d’avenir et Jean-Luc Mélenchon ne mâche pas ses mots sur son blog. «Il y a de très bons blogueurs politiques comme le sénateur Alain Lambert ou Benoît Hamon, DSK, Jean-Pierre Raffarin, estime Luc Mandret, blogueur et militant du MoDem. Certes, il y a toujours la langue de bois mais c'est leur charme. Ils sont obligés d'être formatés car ils savent que rien ne leur sera pardonné. Un membre de l'UMP ne critiquera jamais fortement son gouvernement sur son blog par exemple».

Ces têtes d'affiche, en campagne permanente, ont naturellement trouvé avec l'Internet un moyen de communication tout aussi permanent. Mais pour tous les autres? Pour les députés peu connus, les maires, les conseillers, les gagnants ou les perdants qui n’ont qu’une visibilité locale? Il serait logique qu’ils continuent d’être actifs sur Internet pour défendre leurs idées et points de vue, débarrassés de plus de la langue de bois des campagnes.

J’ai pris à titre d’exemple les candidats de l’année dernière aux élections municipales à Paris. Je suis allé à la recherche des anciens ou nouveaux sites des 80 têtes de listes Modem, Les Verts, PS et UMP. Dans cette ville, le spectre politique est très large. Il y a des inconnus, des moyennement connus (comme Lyne Cohen Solal, Anne Hidalgo, Jean Peyrlevade, Daniel Vaillant, actuellement en cours de maintenance) et des très connus (comme Bertrand Delanoë, Marielle de Sarnez, Rachida Dati...).

Le résultat est édifiant. Sur toutes les 80 personnes contrôlées, toutes avaient un site Internet en mars 2008 (site perso, blog ou au pire une page dédiée dans le site du parti). Un an après, seuls 22 sont encore plus ou moins actifs sur leur site/blog, réparti à peu près équitabement entre les quatre partis. Beaucoup ont encore un site mais il n’a pas été mis à jour depuis plusieurs mois. Les autres ne communiquent plus du tout ou alors ils sont bien cachés.

Si Lyne Cohen-Solal avec son détournement porno est un cas à part qui s’approche du site parking ump.org, elle n’est pas la seule à avoir perdu son nom, faute de renouveler l’abonnement (mais apparemment elle peut le racheter pour 216 dollars). Les sites des Verts sont devenus des sites parking. Celui du socialiste Jean-Yves Mano est même un site parking en chinois.

Triste balade. Surtout des bouts de la route, des pages sans retour comme celles des socialistes, qui ont parfois émigrés vers d’autres adresses sans le dire. Dans le monde de l’actualisation permanente, il est toujours un peu étrange de tomber sur une home page qui vont dit «Merci» pour la campagne 2008 ou qui se réjouit de la victoire de Barack Obama (ils sont plusieurs politiques à avoir repris le clavier pour saluer l’élection du président américain).

Certes, il y a parfois des bonnes surprises, comme la très active Corinne Lepage ou le blog de Jean Peyrelevade, 69 ans pourtant, vice-président du Modem. Avec un long papier par semaine environ, il essaye de décrypter l’actualité économique en clamant que «la langue de bois n’est pas son fort». D'autres continuent de s'essayer à la communication locale comme Dominique Bertinotti, la maire PS du 4ème arrondissement. Sur son blog, elle salue ainsi «l'audace» de la réhabilitation d'un immeuble rue de Turenne ou commente une exposition sur le quotidien des SDF.

Quid des «stars» de la ville? Françoise de Panafieu ne s'exprime plus, c'était prévisible. Bertand Delanoë et Rachida Dati sont aussi inactifs depuis la fin de l'année 2008. Le maire de Paris n'a sans doute toujours pas digéré la défaite du congrès de Reims mais la ministre de la Justice et maire du 7e arrondissement aurait toutes les raisons d'être actives sur Internet puisqu'elle est deuxième sur la liste UMP pour les Européennes. Le Net — comme l'Europe— ne doit pas l'intéresser.

Pourquoi arrêter de parler après une élection alors que tout commence? Pour Autheuil, «les politiques sont encore dans la logique 'médias' où un blog, c'est le nom 'hype' pour un site où ils font campagne de manière classique, uniquement descendante et statique. Ils ne voient pas, pour la plupart, toutes les potentialités des blogs et l'intérêt pour eux de s'y plonger». Même après la leçon Obama.

Les blogs et sites Internet, après tout, c'est sans doute dépassé. Les réseaux sociaux comme Facebook, où ils étaient déjà assez présents l'année dernière, ou Twitter, où les politiques font timidement leurs premiers pas, c'est encore mieux. Michel Barnier et NKM sont les plus actifs sur la plate-forme de micro-blogging. La secrétaire d'Etat à l'Economie numérique a même annoncé sa grossesse en avant-première sur Facebook et Twitter. Mais ils sont en campagne ou obligé d'être connecté. C'est généralement après la nomination a un poste important que les politiques coupent le cordon. Benoît Hamon, présenté comme ultraconnecté et précurseur, n'a posté que 9 twits sur son compte depuis sa nomination au poste de porte-parole du PS.

Quentin Girard

Photo Flickr Andrew Mason

Le portfolio Vuvox ne regroupe évidemment que quelques exemples et pas tous les sites.

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