Monde

Les Britanniques ont toujours été des brutes

Et pourtant l’Angleterre n’a pas encore sombré dans le chaos et le désespoir.

Temps de lecture: 4 minutes

Je me suis rendu compte que la société britannique n’était pas encore près de sombrer dans un cauchemar hobbesien de prédation mutuelle et de désespérance lorsque deux petits indices se sont imposés à moi.

Le premier est la photographie joliment encadrée d’un quartier de Londres méchamment roussi, prise le matin suivant une nuit d’émeutes et de vandalisme. À l’exception des policiers armés jusqu’au dents, les seules formes humaines sont une forêt d’avant-bras aux manches retroussées, brandissant longs balais et brosses à récurer industrielles.

La journée de travail ordinaire a à peine commencé, mais les activités de déblayage et de nettoyage organisées bénévolement par les habitants sont déjà bien avancées. Évidemment, me suis-je dit. Infligez une catastrophe physique à une ville britannique, n’importe laquelle, mais surtout à Londres, et ses habitants comprendront d’emblée sans aucune formation préalable qu’ils ont été castés pour un rôle dans un remake de Britain Beats the Blitz.

Vous avez peut-être déjà vu le deuxième indice. Dans le cas contraire, hâtez-vous d’aller sur YouTube pour regarder la vidéo de Pauline Pearce. Madame Pearce est d’origine antillaise et habite le district londonien de Hackney. Elle souffre d’un handicap physique, et lors d’une des premières nuits d’émeutes, elle s’est retrouvée défiée et menacée dans la rue par des groupes de jeunes hooligans et autres apprentis monte-en-l’air.

Superbe figure maternelle dure à cuire

Dès le lendemain, tout le quartier avait eu vent de la formidable harangue qu’elle avait délivrée sur place et des tombereaux de honte qu’elle avait déversés sur la tête des délinquants. On l’arrêtait dans la rue pour l’inviter à revisiter les grands moments de son discours. Dans la série indignation sans mélange et génial humour de rue, le résultat est difficile à battre.

Interviewée le lendemain, madame Pearce a pris fermement position sur la question des droits de propriété, exigeant de savoir pourquoi, quand on travaillait et économisait pour s’acheter une voiture, quelqu’un devrait avoir l’audace de venir vous la brûler. Elle a ensuite montré du doigt l’autre côté de la rue et demandé comment les casseurs savaient qu’il n’y avait pas des bébés dormant près des fenêtres embrasées suite à leurs incendies criminels.

C’était un spectacle impressionnant et, rappelons-le, les Britanniques n’aiment rien tant que de voir une figure maternelle dure à cuire dire tout le mal qu’elle en pense à une bande de feignants. Après tout, toutes les ressources de la civilisation ne sont-elles peut-être pas totalement épuisées.

Et pourtant, la raison pour laquelle tant de Britanniques apprécient également de maltraiter et d’estropier des étrangers, de détruire ou d’endommager des bâtiments notables (probablement sans savoir qu’ils le sont) et de prétendre venir en aide à des touristes étrangers blessés pour mieux dévaliser le contenu de leur sac à dos reste une question ouverte.

La violence n'est pas non-anglaise

Il existe deux approches parfaitement inutiles de cet état de fait, la première étant basée sur la théorie —encore très répandue dans la presse américaine— qu’il y a quelque chose d’intrinsèquement non-anglais dans la violence gratuite.

La seconde approche verse dans l’excès inverse et consiste à dire mais relisez donc votre Dickens et votre Mayhew et votre Engels: dans le Londres d’il y a quelques générations, c’était la loi de la rue qui prévalait et celle des classes aussi. La vie ne valait pas grand-chose, mais la justice coûtait cher; personne ne traitait les enfants avec plus de cruauté que les Anglais; et aucun paisible citoyen n’était à l’abri d’un voleur de grand chemin, d’un détrousseur ou d’un pickpocket.

Cette théorie «rien de nouveau sous le soleil» est trop insensible et ne parvient pas réellement à expliquer quoi que ce soit. Mais la théorie alternative qui impute toute la «nouvelle» violence aux «anciens» vices; nommément l’égoïsme, la cupidité, le déclin des valeurs familiales et de la religion, etc, n’y arrive pas non plus.

L’année dernière, j’ai débattu avec mon frère Peter au Pew Forum on Religion & Public Life (ses contributions à la discussion actuelle, qui figurent parmi les plus pertinentes proposées par la droite britannique, sont visibles sur son blog sur le Mail on Sunday de Londres). En abordant ces questions, Peter a commencé par citer quelques statistiques criminelles récentes et par des récits d’incidents criminels à se faire dresser les cheveux sur la tête. En fait, il m’a mis au défi de dire si j’aurais cru de telles histoires, ou si j’aurais pensé qu’elles puissent se produire un jour, dans l’Angleterre plus innocente de notre enfance.

La violence sous-entendue

Sans avoir trop facilement recours à l’argument Dickens/Mayhew/Engels cité plus haut, j’en ai déduit que cela m’était possible. À l’époque, les crimes violents étaient en permanence évoqués par sous-entendus —et les noms des «mauvais» quartiers dans les villes respectables n’étaient pareillement que chuchotés— par les gens qui éprouvaient une vraie peur du quart-monde et particulièrement de sa violente progéniture.

Dans les villes encore plus notoirement «dangereuses» comme Glasgow, Liverpool et Belfast, on entendait parler de façon crédible de rues entières, de quartiers ou de résidences où il ne valait mieux pas s’aventurer (ces mêmes zones associées aux fléaux urbains, comme je me suis hâté de le rappeler au public lors de notre débat, étaient aussi généralement animées par des valeurs traditionnelles, religieuses et familiales très solidement ancrées, qui s’exprimaient souvent par un genre de guerre entre catholiques et protestants qui allait représenter plus tard une véritable gageure pour l’État britannique).

Et puis il faut souligner qu’il y a eu plusieurs terreurs successives suscitées par une jeunesse «sauvage». Au milieu des années 1960, des affrontements de rue et de plage entre Mods et Rockers pétrifièrent les magistrats respectables et figés qui rivalisaient entre eux dans la dureté de leurs condamnations des fans des Who. Et c’est la plus pure des paniques qui, au début des années 1970, a fait efficacement interdire la version d’Anthony Burgess de l’Orange mécanique de Stanley Kubrick.

Plus récemment, on peut noter le loisir toxique qui est aussi la plus répugnante des exportations de la Grande-Bretagne: la mobilisation d’énormes escouades d’immondes soûlards à des matchs de foot. Ces derniers temps cependant, l’introduction de la vidéosurveillance de masse a permis d’atteindre un extraordinaire degré de contrôle des foules même à ce niveau.

Le seul phénomène nouveau

Alors quoi de neuf sous le soleil côté mauvaises nouvelles? Des amis à moi ont tendance à montrer du doigt les lois qui ne sont jamais appliquées, les brutes qui se baladent librement en ricanant, le gaspillage du temps de la police pour des futilités politiquement correctes et le «rabaissement» général de la définition d’un comportement inacceptable.

Mais le seul phénomène vraiment nouveau, qui n’ait pas d’équivalent historique, c’est l’émergence de bandes et même de «communautés» à petite échelle estimant qu’elles ne doivent aucune loyauté civique, politique ou dans de nombreux cas religieuse à l’État ou à ses institutions.

Ces groupes et ces zones géographiques se vouent mutuellement la même haine qu’elles ressentent à l’encontre de la société au sens large: on a assisté à des violences explicites, par exemple, entre factions musulmanes afro-caribéennes et asiatiques. C’est clairement le genre d’eaux nauséabondes et polluées dans lesquelles les jihadistes et les groupes prônant la suprématie de la race blanche peuvent aller pêcher des adeptes.

Je vous rappelle que tout cela représentait déjà un danger extrêmement clair et présent longtemps avant que l’expression fourre-tout «les coupes [budgétaires]» ne soit utilisée à tort et à travers pour tous les torts et tous les travers.

Christopher Hitchens

Traduit par Bérengère Viennot

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