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La femme moderne selon les magazines féminins

Nymphomane, superficielle, ultra-consommatrice, la femme vantée par la presse féminine fait peur à voir.

La une de Marie Claire de Mars 2011
La une de Marie Claire de Mars 2011

Temps de lecture: 5 minutes

Pour un garçon, partir en vacances avec une fille implique deux choses: 1) supporter ses interminables séances de bronzage et 2) en profiter pour feuilleter les magazines féminins qui traînent sur le coin de sa serviette.

Une lecture appréciée de la plupart des mâles, quoiqu'ils en disent: sous prétexte de se moquer de leurs traditionnels psycho-tests, c'est l'occasion de se rincer l'œil en douce (tous les mecs savent qu'il y a bien plus de demoiselles à poil dans Elle que dans n'importe quel FHM).

Mais ça permet aussi de se mettre activement à la place d'une fille pendant quelques minutes. Et, là, franchement, quand on voit le nombre d'injonctions ultra-culpabilisantes auxquelles la gent féminine est soumise à longueur de pages, on la plaint.

Ah, on nous murmure à l'oreillette que la presse féminine est simplement «frivole» et «pas prise de tête».

Peut-être, sauf que si on étudie le portrait-robot de la femme moderne parfaite tel qu'il est matraqué par Glamour, Be, Madame Figaro, Grazia, Cosmopolitan ou 20 Ans, on est globalement plutôt content d'être né avec un chromosome Y et de ne pas avoir à subir la comparaison incessante avec les superwomen présentées à chaque page. Si on résume:

La vie de la femme moderne n'est qu'un long orgasme 

Eh oui, les filles, pour pouvoir vous regarder fièrement dans la glace à la fin de l'été, vous avez intérêt à coucher. Et pas qu'un peu: «Jouissez, c'est un ordre» semble être le leitmotiv des magazines de l'été.

En vrac: «Où faire l’amour? 15 situations à vos risques et périls» (20 ans), «L’extase en 7 positions (revisitées) du Kama Sutra» et «Les mots qui (les) font bander» (Biba), «J’aime faire l’amour à plusieurs» (Marie Claire) ou encore, pour les moins de 15 ans, «J’ai des fantasmes, c’est normal?» (Lolita!).

Be est encore plus explicite avec son test: «Êtes-vous une winneuse ou une loseuse sexuelle?». Enfin, un magazine est entièrement consacré à la question: Sensuelle, c’est 100 pages de sexe tous les mois, avec cet été «69 conseils pour booster votre sexualité». Le message est clair: il va falloir être sexuellement hyper performante et libérée pour ne pas passer pour une oie blanche. 

Dans les années 60 et 70, la presse féminine, très imprégnée du Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, était en première ligne du combat pour l'émancipation sexuelle des femmes.

Orgasme, pilule, homosexualité, relations extra-conjugales: pour la première fois, ces sujets tabous étaient abordés par Elle et Marie-Claire. C'était l'époque où les féminins décomplexaient leurs lectrice: aujourd'hui, c'est l'inverse.

Fini le temps où ces magazines invitaient les femmes à ne plus avoir honte de leur corps et de leur sexualité, désormais le sexe, débridé si possible, hétéro-centré toujours, est obligatoire. Et la compétition est rude, car il y a toujours plus jeune, plus séduisante et plus mince que soi dans les parages: toutes les deux pages, une photo de mannequin en bikini est là pour vous le rappeler. 

La femme moderne n’a qu’une obsession: séduire

Vous êtes grosse et moche? C'est que vous y mettez vraiment de la mauvaise volonté, vu tous les conseils beauté dont on vous abreuve. Depuis les «20 tentations slim, saines et sun» de Madame Figaro –un article publicitaire spécial minceur vantant les mérites de différents maillots de bain, d'un gâteau aux fleurs (?), d'un illuminateur pour le corps (??) et d'un raffermisseur électronique (???)– au dossier de Grazia «Bien coiffée même à la plage!», en passant par les «10 conseils séduction pour mettre tous les hommes à vos pieds» de Marie-Claire, vous avez le choix dans les armes.

Parmi les missions que s'est assignées la presse féminine, celle d'aider les femmes à se conformer aux désirs masculins semble être la principale.

Point de salut hors de la validation par le regard de l'homme: pour ce faire, dépenser des fortunes en maquillage et en soins de beauté (= «astuces bien-être») apparaît comme la solution miracle.

C'était bien la peine d'inventer le féminisme. D'ailleurs certains articles, comme celui qui présente le «test du porte-monnaie» dans Glamour, enjoignent les lectrices à évacuer fissa les prétendants un peu trop progressistes au niveau de l'égalité des sexes.

La femme moderne est heureuse grâce à sa carte bleue

La plupart des problèmes rencontrés par les lectrices se résolvent par la consommation. Déprimée? Anxieuse? Névrosée? Un bon coup de mascara et une bonne séance de spa, et tout reviendra dans l'ordre.

La presse féminine excelle dans l'art de créer des complexes pour mieux permettre aux annonceurs, omniprésents dans ce type de presse, de leur apporter la solution miracle. Sur un numéro de Marie-Claire, par exemple, la pub (mode et cosmétique quasi-exclusivement) représente pas loin de 40% du contenu. Une étude TNS Sofres disponible sur le site du groupe Marie-Claire nous indique d'ailleurs que 80% des acheteuses en produits cosmétiques étaient des lectrices de la presse féminine haut de gamme.

Exemple tiré de Elle: dans l’article «Un été zéro complexe», après avoir soigneusement rappelé aux lectrices tous les complexes dont elle peuvent souffrir (j’ai de grosses fesses, je suis trop petite...) et leur avoir expliqué qu'elles étaient OBLIGÉES d'en avoir car « tout le monde a des complexes, y compris Scarlett Johansson ou Angelina Jolie», le magazine leur offre le remède: un vernis à ongles pour maquiller des pieds laids, un maillot de bain girly pour celles qui n’ont pas assez de seins ou un moulant pour celles qui en ont trop (215 euros seulement). Avec à chaque item, un lien vers un site de vente.

La femme moderne se connaît elle-même: merci les psycho-tests

Dans Elle ou Cosmopolitan, les différences culturelles, économiques, sociales entre les Françaises n'existent pas. Les ouvrières, les stars, les patronnes, les chômeuses appartiennent toutes au même bloc monolithique: La Femme.

Quand Sophie Marceau ou Cindy Crawford sont interviewées, ce sont des femmes comme les autres, avec leurs petits soucis dans lesquels les lectrices sont censées se reconnaître. On en oublierait presque qu'il s'agit d'icônes publicitaires surmédiatisées.

Extrait de l'interview de Louise Bourgoin dans le Madame Figaro de juillet :

«– Votre vie a-t-elle radicalement changé ?

Non, j'ai toujours les mêmes amis d'enfance, je prends le métro, je sors très peu, je rentre régulièrement en Bretagne. Je suis si normale... c'est d'un sinistre ! Mon cas consterne Fabrice Luchini.»

Ouf, nous qui pensions que Louise Bourgoin avait pris la grosse tête depuis sa carrière d'actrice. En fin de compte, le seul critère de distinction valable entre les femmes n'est pas leur niveau de revenu ni leur catégorie socio-professionnelle mais leur profil psychologique.

Ça tombe bien, toute une batterie de psycho-tests permet de savoir qui vous êtes vraiment, juste en cochant quelques ronds, triangles et carrés: «Quelle séductrice es-tu?» (Lolita), «Calculez votre QI Mode-People» (Be) ou encore «Quelle croqueuse de pain êtes-vous?» (Cosmopolitan). Vous serez bien avancées quand vous saurez quelle croqueuse de pain vous êtes, au fond.  

Après des heures de lecture approfondie, le lecteur mâle est frappé par l'uniformité des différents titres. Tous ces journaux parlent des mêmes choses, de la même manière. A une exception près: Causette, le mensuel, dont le slogan est «plus féminine du cerveau que du capiton», est l’antithèse des féminins classiques.

Il contredit point par point tout ce qui définit la femme d’aujourd’hui selon Biba ou Glamour. Causette ne pousse pas à la consommation, les filles en photo sont plus vivantes que glacées, plus natures que photoshopées. Et ne sont pas offertes: celle en couverture du numéro de l’été, tout sourire, est en train de se retrousser les manches en Rosie the Riveter des temps modernes. Pour en découdre avec La Femme Elle?

Pierre Ancery et Clément Guillet

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