France

Et si on supprimait le 14 juillet?

Après la polémique lancée par Eva Joly le mois dernier, profitons du second jour férié de l'été pour réfléchir à la meilleure façon de supprimer le premier.

Temps de lecture: 9 minutes

«T’as vu? Eva Joly, elle veut supprimer le 14-Juillet!» Le raccourci, énoncé par la mère d’un ami, témoigne de l’ampleur de la polémique née des propos de la candidate d’EELV à la présidentielle le mois dernier. Mais, au fait, cette phrase peut-elle être prise au pied de la lettre? Est- il possible de supprimer une date dans le calendrier? Et, si oui, qu’a-t-on à y gagner ou à y perdre? Slate a profité du 15 août, autre jour férié de l'été, pour se pencher sur la question.

Le symbole

Ne pas fêter le 14-Juillet? Cela paraît impossible. Pourtant, en France, la commune de Viriat dans l’Ain, ne fête jamais le 14-Juillet. Ou plutôt, elle le fête plus tard:

«Travaux agricoles d'antan obligent, les Viriatis ont décidé, le 11 juillet 1880, par arrêté municipal, de célébrer le 14-Juillet... au mois d'août, une fois la moisson achevée. D'aucuns affirment que l'origine de cet anniversaire décalé serait plutôt à chercher du côté des lenteurs bressanes du temps de la Révolution: les représentants locaux du Tiers-Etat auraient mis quinze jours pour rapporter de Paris à Viriat, par les chemins embourbés, la bonne nouvelle de la prise de la Bastille. Histoires de fenaison ou de Révolution, au XXIe siècle, le calendrier festif de Viriat se distingue toujours par cette "entorse" à la règle nationale.»

C’est donc possible –et légal.

Modification des calendriers

A supposer que la France opte pour un calendrier sans 14 juillet, il faudrait bien sûr repenser les calendriers des postes (rassurez-vous: il y aura toujours les jolis canetons jaunes), les agendas, les éphémérides, mais aussi s’atteler à reprogrammer tous les services informatiques qui en dépendent depuis l’Outlook de base jusqu’aux systèmes bancaires, en passant par toutes les questions de sécurité. Rappelons que, en prévision du passage à l’an 2000, EDF avait prévu «la bagatelle de 600 millions de francs (91 millions d'euros), soit 15 % de son budget informatique annuel» pour la mise en conformité des installations nucléaires.

Adaptation au temps réel

La durée de révolution de la Terre autour du soleil est de 365 et six heures. Tous les quatre ans ou presque [1], notre calendrier comprend un jour supplémentaire qui permet de «récupérer» ces six heures non prises en compte dans les trois autres années. Ce sont les années bissextiles avec leur fameux 29 février.

La suppression du 14 juillet n’empêchera évidemment pas la terre de continuer son petit tour de soleil avec ces six heures en trop… Aussi faudrait-il trouver d’autres jours pour caser le 14 juillet disparu. Une solution s’impose: rendre permanent le 29 février. Toutes les années seraient bissextiles. Cette solution ne permet cependant que de récupérer trois jours puisqu’il y’a déjà un 29 février tous les quatre ans. Cette année-là, il y aurait une autre date à trouver.

Plusieurs hypothèses se présentent :

  • Créer une nouvelle année bissextile avec un 30 février.
  • Remplacer le 14 juillet par un deuxième 1er mai, jour férié également.
  • Créer un 32. Par exemple un 32 août pour prolonger les vacances ou un 32 décembre –avec un prolongement du réveillon de la Saint-Sylvestre (solution plébiscitée par les fabricants de champagne)…
  • Remplacer le 14 juillet par un deuxième jour de l’An, ce qui permettrait de se souhaiter deux fois la bonne année (idem).
  • Toute autre solution de création ou doublonnage d’un jour.

Comment faire ?

Certes, notre calendrier est grégorien [2] mais, la France n’étant pas une théocratie, elle n’a pas à demander l’autorisation du Vatican pour le modifier ou en changer. C’est déjà ça.

Certes, la suppression d'un jour comme la modification du calendrier sont plutôt rares. Mais c’est déjà arrivé. Exemple: le calendrier républicain, adopté en 1793, qui dura quelque treize années. C’est par le décret du 14 vendémiaire an II (5 octobre 1793) que l’année fut divisée en «douze mois égaux de trente jours chacun, après lesquels suivent cinq jours pour compléter l'année ordinaire, et qui n'appartiennent à aucun mois: ils sont appelés les jours complémentaires».

L’autre exemple à retenir est sans doute le Sénatus-consulte du lundi 9 septembre 1805, signé par Napoléon 1er. Ce texte abrogea le calendrier révolutionnaire et son premier article est d'une grande simplicité: «A compter du 11 nivôse prochain, 1er janvier 1806, le calendrier grégorien sera mis en usage dans tout l'Empire français.» Par analogie, il est probable aujourd'hui qu'une telle décision relèverait donc d'un décret signé du président de la République. Par exemple:

« A compter du 24 messidor prochain… »

Euh, pardon:

«A compter du 13 juillet prochain, le calendrier grégorien de l'Etat français ne comprendra plus de 14 juillet.»

Cependant, compte tenu de l’enjeu symbolique, il n’est pas exclu que le projet serait abondamment discuté. Une réunion de l’Assemblée nationale et du Sénat en Congrès ou une campagne référendaire ne sont pas à exclure. Dans le cas d’un référendum, on peut imaginer une question simple suivie d’un QCM:

«Etes-vous favorable à la suppression du 14 juillet?
- Oui
- Non
Etes-vous favorable au remplacement du 14 juillet par un 29 février, un 1er mai bis, un 32 décembre, etc?»

Dans tous les cas, comme pour les devises, il faudrait probablement des outils de conversion, comme celui-ci. On parlerait en ancien temps comme on parla des anciens francs. Toutefois, sortir du calendrier grégorien poserait de multiples problèmes techniques, voire diplomatiques. Revue de détail des avantages et inconvénients.

Les avantages

La fin des feux d’artifice?

Pas de fête du 14-Juillet sans feu d’artifice. A Paris, il peut coûter plus de 100.000 euros. Mais, comme celui d’Annecy, il est exceptionnel. A Bordeaux, le coût est de l’ordre de 30.000 euros et, dans une petite commune, s’établit souvent à moins de 5.000 euros. Au Syndicat des fabricants d'explosifs, de pyrotechnie et d'artifices, on estime qu’environ 8.000 feux d’artifice sont tirés les 13 et 14 juillet (dont 60% ce dernier jour), avec trois types de feux distincts:

  • les feux de mairie (entre 3 et 8.000 euros), qui représentent plus de 90 % du total
  • les feux de sous-préfecture (8 à 15.000 euros, au maximum 5% du total)
  • les feux de préfecture (15 à 30.000 euros —tout au plus 1% du total).

A partir des valeurs moyennes, le chiffre d’affaire affecté serait de l’ordre de 50 millions d’euros et la suppression de l’équivalent d’un peu moins d’un millier d’emplois. Un chiffre assez faible mais logique. On compte en France quelque 500 personnes dont la mise en œuvre de spectacles pyrotechniques est l’activité principale, et s’y ajoutent des artificiers occasionnels. «Pour les 13 et 14 juillet, il y a plus de 5.000 artificiers occasionnels qui sont employés», explique Henri Miermont, secrétaire général du SFEPA. «Sans doute, les premiers disparaîtraient-ils —ou presque. Pour les autres, ce n’est qu’une toute petite partie de leur activité. L’impact social serait négligeable en termes d’emploi.»

En fait, c’est surtout l’ensemble des organisateurs de spectacles qui seraient touchés: «Dans un feu d’artifice, il y a la pyrotechnie mais de plus en plus les lasers, la musique —avec la coordination nécessaire, la technique...—, c’est donc le monde du spectacle à part entière qui serait touché car les festivités de juillet peuvent représenter les deux tiers de leur activité annuelle.» Autre conséquence, la réduction des importations de poudres venant de... Chine: «Ce n’est pas leur plus gros marché, mais il n’est pas négligeable.»

Pour certains artificiers français, le salut viendrait peut-être de la distribution de produits à destination du grand public comme dans les pays nordiques, grands consommateurs de feux d’artifices durant l’hiver (Saint-Nicolas). Pour les pouvoirs publics, l’équation semble favorable: réduction des dépenses publiques des collectivités, (très) léger impact sur le déficit de la balance commerciale... Bien sûr, on pourra déplorer la disparition des feux d'artifice, mais cela est à nuancer: compte tenu de l'attrait du feu d'artifice de Paris, nombre de communes franciliennes font déjà leur feu d'artifice la veille.

Un 14-Juillet de Pentecôte?

En ces temps de crise des finances publiques, la suppression d’un jour férié pourrait être mise à profit pour financer un programme spécifique, à l’instar du lundi de Pentecôte. Evidemment, les Français grogneraient un peu (encore un avantage acquis qui disparaît, pfff) mais, à force, ils s’y habitueraient. Fin 2007, il était indiqué que la transformation du lundi de Pentecôte en jour férié-travaillé rapportait à l’Etat 2 milliards d’euros par an environ. Au moment où l’Etat cherche à financer la dépendance, ces deux milliards seraient vraisemblablement bienvenus. Enfin, la France ferait l’économie de son défilé militaire. En 2010, les dépenses, estimées à «quelque 4 millions d’euros», firent déjà l’objet d’une polémique.

Les Fetnat soulagés

Certains Français gagneraient incontestablement à la suppression du 14 juillet. Les natifs du 29 février ne devraient plus attendre quatre ans pour fêter dignement leur anniversaire. Ceux qui s’appellent Fetnat cesseraient progressivement d’être ridicules puisque le calendrier perdrait l’origine de leur prénom. En tout cas, pas plus ridicules que Mégane, Vagina ou Clitorine.

Traditionnellement organisés le 13 juillet, les bals des pompiers verraient leur fréquentation exploser puisqu’il n’y aurait plus d’occasion de faire la fête le lendemain. Et pourquoi pas le 14 août? C'est d'ailleurs ce qui se passe parfois dans le «sud de la France où il y a deux bals de pompiers, l'un le 14 juillet, l'autre en août», explique Lylian Soulier, président de l'amicale des pompiers de Faremoutiers. Dans cette commune, un bal des pompiers a lieu le 14 août: «On a commencé il y a deux ans parce qu'on s'y était pris trop tard pour l'organiser en juillet. Ca a très bien marché car il n'y a presque rien en Seine-et-Marne à ce moment-là.» Au point qu'il y a désormais une dizaine de bals de pompiers en août dans ce département. 

Les inconvénients

Le coût

La suppression d’un jour coûtera cher. Elle imposerait l’adaptation des systèmes informatiques pour éviter les bugs. Le passage à l’an 2000 peut servir d’outil de comparaison. En 1998, le rapport de mission de Gérard Théry remis au gouvernement évaluait le coût à près de 11,5 milliards d’euros, simplement pour l’informatique: «Pour l’ensemble des acteurs français, tous acteurs confondus, grandes et petites entreprises, commerce, artisanat et administration, le coût total d’adaptation des systèmes d’information devrait être supérieur à 75 milliards de francs.»

Le dispositif nécessiterait ensuite d’importantes tâches administratives: circulaires d’application pour les préfets, information des entreprises (notamment les DRH), etc. Rappel: en 1793, il fallut un décret complémentaire pour fixer «l'époque à laquelle les opérations des différentes Administrations seront réglées suivant le Calendrier républicain». Si le 14 juillet était remplacé par un jour non férié, il faudrait donc plusieurs années avant d’en faire une opération profitable aux finances publiques.

Les victimes du 14 disparu

Les militaires seraient évidemment un petit peu les dindons de la farce. Les vendeurs de pétards et artificiers se mettraient probablement en grève. Les natifs du 14 juillet ne pourraient plus fêter leur anniversaire. Il faudrait sans doute supporter leurs jérémiades pendant une bonne centaine d’années. Des nouveau-nés une année sur quatre (du 32 décembre par exemple) seraient insatisfaits. Il n’est pas exclu que des nostalgiques organisent des défilés ou des bals symboliques. Bonne fille, la République les tolérera.

Le casse-tête européen

Si l’exemple de la France était suivi (ce qui est probable, le monde entier envie nos idées), l’organisation des sommets internationaux deviendrait extrêmement complexe. Imaginons en effet un sommet européen qui aurait lieu le 4 juin, un mois où ce type de sommets se tient régulièrement. La Lituanie, ayant supprimé le 16 février, serait déjà au 5 juin. Il en serait de même pour l’Estonie (24 février), l’Irlande (17 mars), la Grèce (25 mars), les Pays-Bas (30 avril), la Pologne (3 mai)… Pour le Danemark, dont la fête nationale tombe précisément le 5 juin, cette date serait inconnue. D’autant plus que ce pays, comme la Grèce, la Hongrie, l’Italie ou la Pologne, a… deux fêtes nationales. Dans le cas du Danemark et de l’Italie, ces fêtes nationales tombent au premier semestre (respectivement 16 avril et 5 juin, 25 avril et 2 juin), ce qui transforme le 4 juin en 6 juin… Tout s’arrange alors? Organisons un sommet le 6 juin! Hélas, il manquerait alors la Suède, qui aurait légitimement supprimé cette date de son agenda. Il n’y aurait plus qu’à organiser le Sommet du 4 juin le 7, c’est-à-dire le 7, le 8 ou le 9 selon les pays.

Si des Etats-membres optaient pour la solution de remplacement du 29 février permanent —hypothèse la plus favorable mais pas forcément la plus certaine—, la situation n’est pas éclaircie pour autant.

(Cliquez ici pour ouvrir le calendrier dans un Google Doc)

Saluons ici la flexibilité du Royaume-Uni, qui célèbre l’anniversaire officiel de la Reine les premier, deuxième ou troisième samedi de juin. Eux au moins n’embêtent personne.

Les Etats européens devant trouver un accord, l’harmonisation de ces calendriers pourrait aisément mobiliser une nouvelle DG (direction générale) à la Commission européenne avec la nomination d’un commissaire à plein temps. La France, qui inventa le ministère du Temps libre, réclamerait logiquement ce poste. Les règles de circulation commerciale et financière devraient être largement revues. Sans doute, les Bourses européennes adopteraient-elles leur propre calendrier indépendant de celui des Etats. Et les banques pourraient jongler à loisir avec les dates de valeur…

Un casse-tête religieux?

Si l'Assomption reste traditionnellement calée le 15 août, il faudra cependant recalculer quelques fêtes. Il serait ennuyeux que le lundi de Pâques tombe un mardi. Quant au ramadan, s’il commençait à des jours différents selon l’Etat de l’Union européenne dans lequel on vit, ce serait sans doute un –petit– problème. Mais ça occuperait les prêtres et imams.

Astrologie

L’impact en un seul mot : un dés-astre.

Et le Tour de France?

Traditionnellement, l'étape du 14 juillet est particulièrement disputée, les Français rêvant de briller le jour de la fête nationale... Le décalage de cette étape offrirait cependant au Tour de France un suspense extraordinaire. Une étape de montagne décisive pourrait ainsi avoir lieu le 29 février ou le 15 août. En ce cas, l'arrivée sur les Champs-Elysées, sans rien perdre de son prestige, ne marquerait pas la fin de la course. Pour les vacanciers qui, il faut bien le dire, s'ennuient après la fin du Tour, il y aurait des semaines supplémentaires de discussions, pronostics... Les sponsors et les parieurs seraient ravis.

La suppression du 14 juillet aurait sans doute bien d’autres conséquences. A toi, lecteur de Slate, de nous les indiquer.

Jean-Marc Proust


[1] Pas toujours. Explication de Wikipedia: «Sont bissextiles les années soit divisibles par 4 mais non divisibles par 100, soit divisibles par 400. Donc, inversement, ne sont pas bissextiles les années soit non divisibles par 4, soit divisibles par 100, mais pas par 400. Ainsi, 2011 n'est pas bissextile.» La durée de rotation est de 365,2425 jours très précisément. Revenir à l'article.

[2] Le pape Grégoire XIII (1572-1585) l’adopta pour mettre fin aux dérives du calendrier julien, voulu par Jules César, mais qui avait 10 jours de retard. Revenir à l'article.

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