Life

Pourquoi n’arrive-t-on pas à repousser les limites de l’âge?

Les dernières doyennes de l'humanité sont toutes mortes à 114 ou 115 ans. L'espérance de vie moyenne augmente, mais pas la limite supérieure de la durée de vie humaine.

Temps de lecture: 4 minutes

Cet article a été publié dans Future Tense, une collaboration entre l’Arizona State University, la New America Foundation et Slate.com.

En juin dernier, Besse Cooper, ancienne institutrice de 114 ans originaire de l'Etat de Géorgie, est devenue la nouvelle doyenne de l’humanité. La Brésilienne Maria Gomes Valentim, à qui elle succédait, était morte à 114 ans.

Tout comme la plus vieille personne avant elle, et celle d’avant. En fait, huit des neuf dernières doyennes de l’humanité avaient 114 ans lorsqu’elles ont hérité de cette distinction.

L'exception Jeanne Calment

Voici le côté morbide: toutes, à deux exception près, avaient encore 114 ans quand elles ont passé l’arme à gauche et le flambeau à la suivante. Les deux autres? Elles sont mortes à 115 ans.

La fête donnée en l’honneur de Besse Cooper quand elle a hérité du titre aurait donc tout aussi bien pu être accompagnée de condoléances. Si l’histoire se répète, elle sera sûrement morte dans l’année.

Le fait qu’il soit difficile de rester le doyen de l’humanité très longtemps n’a rien de surprenant. Après tout, ces gens sont très vieux. Ce qui est surprenant, c’est la constance des chiffres. Seules sept personnes dont les âges ont pu être vérifiés par le Gerontology Research Group ont jamais dépassé les 115 ans.

Et seules deux d’entre elles ont connu le 21e siècle. Jeanne Calment, la Française qui détient le record de longévité, est morte à 122 ans en août 1997; et personne depuis 2000 n’a atteint ne serait-ce que cinq ans de moins qu’elle.

L'espérance de vie augmente

L’inventeur Ray Kurzweil, célèbre pour ses audacieuses prédictions qui parfois se réalisent, estimait en 2005 que dans un délai de 20 ans, les progrès de la médecine permettraient aux humains d’étendre indéfiniment leur espérance de vie. Six ans ont passé, il en reste 14, et sa prophétie ne semble pas plus près de se réaliser. Qu’est-il arrivé à la médecine moderne, qui nous promettait de vivre plus longtemps? Pourquoi nos vies ne s’allongent-elles plus?

En fait, nous vivons plus longtemps —en tout cas, certains d’entre nous. Dans la plupart des pays qui ne sont pas ravagés par le sida, l’espérance de vie augmente progressivement depuis des décennies, et aujourd’hui, un Américain moyen peut espérer vivre jusqu’à 79 ans —soit quatre ans de plus que la moyenne de 1990.

Dans beaucoup de pays développés, la population des très vieux figure parmi les données démographiques qui augmentent le plus rapidement (des études tendent à prouver que ce progrès ralentirait pour certains profils démographiques, cependant).

Mais relever la limite supérieure de la durée de vie humaine s’avère plus épineux qu’augmenter l’espérance de vie moyenne. Cela pourrait bien être un cas de figure où, comme pour les voitures volantes, la vision populaire du progrès technologique se fracasse contre les contraintes de la réalité.

Un nombre stable de supercentenaires

Le décompte mondial des supercentenaires —des personnes de 110 ans et plus— s’est stabilisé autour de 80 ces dernières années. Et l’âge maximum n’a pas bougé. Robert Young, consultant en gérontologie pour le Guinness Book des Records, explique:

«Plus les gens sont nombreux à atteindre l’âge de 110 ans, plus il en meurt à 110 ans.»

Young appelle ce phénomène la «rectangularisation de la courbe de survie.» Pour l’illustrer, il évoque l’exemple du Japon qui en 1990 comptait 3.000 personnes de 100 ans et plus, dont la plus âgée avait 114 ans. Vingt ans plus tard, on estime que le Japon compte 44.000 personnes plus que centenaires —dont le plus vieux a toujours 114 ans.

Pour des raisons qui ne sont pas encore éclaircies, affirme Young, les risques qu’une personne meure entre l’âge de 110 et 113 ans sont d’une sur deux. Mais à 114 ans, la probabilité passe à deux chances sur trois.

Une limite franchissable?

Il reste possible que cette limite sera un jour franchie, à l’instar du record de course d'un mile (1.609 m) en quatre minutes. Steve Austad, ancien dompteur aujourd’hui professeur au centre d’études scientifiques sur la santé de l’Université du Texas, avance que l’apparente pointe de mortalité à 114 ans n’est qu’un artifice statistique.

Les humains les plus vieux de notre époque, nous rappelle-t-il, ont grandi sans les bénéfices des avancées du 20e siècle dans les domaines de la nutrition et de la médecine.

En 2000, il a parié 500 millions de dollars avec son collègue gérontologue S. Jay Olshansky qu’une personne née cette année-là, quelque part dans le monde, atteindrait l’âge de 150 ans.

Olshansky, qui enseigne à Chicago, dans l’Illinois, et qui a écrit sur le paradoxe de la longévité pour Slate à l'automne dernier, n’envisage pas d’être encore là en 2150 pour empocher le fruit de son pari. Même un remède pour soigner le cancer ou les maladies cardiaques contribuerait très peu à étendre la durée maximale de la vie humaine, dit-il, simplement parce que les facteurs de risques qui s’accumulent en 115 ans sont trop nombreux.

Des gènes bizarroïdes

D’après lui, les supercentenaires doivent davantage leur longévité à des gènes bizarroïdes qu’à une santé de fer; Jeanne Calment, morte à 122 ans, avait été fumeuse pendant 96 ans. Olshansky et Austad s’accordent sur un point cependant: une percée technologique, peut-être dans le domaine de la génétique, qui ralentirait le processus de vieillissement pourrait rehausser la limite supérieure de l’espérance de vie.

Une telle découverte est-elle imminente? À ce stade, la question est à peine plus claire qu’un test de Rorschach. Young, le consultant du Guinness Book, compare la quête de la superlongévité aux tentatives des alchimistes du Moyen-âge de changer du plomb en or.

Ils avaient raison de croire que c’était possible, mais tort d’imaginer qu’ils avaient la moindre idée de comment s’y prendre: les scientifiques ont enfin réussi à transmuer les éléments au 20e siècle, mais seulement après avoir au préalable résolu les mystères de la physique nucléaire. L’alchimie avait perdu tout intérêt; il s’agissait alors de savoir comment faire fissionner des atomes d'uranium.

Et peut-être les tentatives de faire vivre des humains jusqu’à 150 ans sont-elles comparables. Il vaut la peine de se souvenir que l’âge ne se réduit pas à un chiffre. Young, qui a côtoyé des dizaines de supercentenaires, affirme que même les humains les plus solides se fragilisent en passant le cap des 110 ans.

Quant à Besse Cooper, la nouvelle tenante du titre, Young assure qu’elle peut encore parler mais que sa vue baisse.

«En termes de qualité de vie, je pense qu’elle peut tenir encore un an. J’en ai vu, je suis désolé de le dire, qui feraient mieux d’être déjà partis.»

Will Oremus

Traduit par Bérengère Viennot

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