Économie

Les banques n'ont pas besoin de plus de capitaux, mais de mieux gérer les risques

Des exigences de fonds propres plus strictes n'auraient pas empêché les crises financières récentes. Tout le capital du monde ne peut empêcher la panique. Ce qu'il faut, c'est que les banques apprennent leur métier: gérer les risques.

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Tout le monde vous le dira (enfin, mis à part les banquiers et certains de leurs défenseurs): il existe bel et bien un moyen infaillible de rendre le système financier mondial plus sûr —obliger les banques à augmenter leurs réserves de capitaux. Mais considérer comme une panacée les exigences de fonds propres plus strictes, c'est s'exposer à un risque.

Souvenez-vous des crises d'hier (la crise financière de 2008, par exemple) et d'aujourd'hui (la peur de voir un défaut de paiement grec mettre le feu aux poudres et précipiter les faillites de banques, notamment en France). Aurions-nous pu les éviter si les banques avaient disposé de plus de capitaux? J'ai bien peur que non.

Le capitalisme a une aversion pour le capital

Le capitalisme a une aversion pour le capital; curieux paradoxe. Qu'est-ce que le capital, au fond? Une somme d'argent (prenant généralement la forme d'actions ordinaires) qui n'est due à personne, avant tout destinée à absorber les pertes, protégeant par là même ceux à qui on doit de l'argent (les obligataires, par exemple). Un service des plus onéreux: les fournisseurs de capitaux prennent de gros risques, et veulent être payés en conséquence. Les banquiers, qui sont pourtant souvent considérés comme les capitalistes ultimes, ne supportent pas ces pratiques. Ils se sont d'ailleurs indignés des nouvelles normes de fonds propres recommandées à Bâle.

Lors d'un récent comité de la Chambre des représentants consacré aux services financiers, des responsables du secteur ont soutenu que de fortes exigences de fonds propres feraient grimper le coût des emprunts accordés par leurs banques. Mais selon d'éminents économistes (Simon Johnson, ancien économiste en chef du FMI, et Anat R. Admati, professeur à Stanford), ceci est tout simplement faux.

Qu'elles aient tort ou raison, les parties prenantes de ce débat public oublient de dire ce que le capital n'est pas. Ce n'est pas une pile de billets ou de certificats d'actions; c'est un concept de comptabilité, basé sur la différence entre les actifs déclarés par une banque et le passif de celle-ci. Lorsqu'une banque fait une mauvaise évaluation de ses actifs (c'est à dire, de ses prêts), elle fait une mauvaise estimation de son capital.

Le capital n'est pas non plus la liquidité; on confond souvent ces deux termes. La liquidité est la capacité à s'acquitter de ses dettes présentes. Une banque peut être solvable (c'est à dire, avoir un capital très important) et s'effondrer faute de pouvoir rendre leur argent aux clients désirant le retirer. Le risque d'un tel scénario augmente lorsqu'une banque dispose d'actifs rapportant sur le long terme, tout en se finançant avec des créances à court terme.

La vague de panique, à l'origine des faillites bancaires

La plupart —si ce n'est l'ensemble— des faillites bancaires de l'histoire ont été provoquées par une vague de panique: des déposants ou des prêteurs à court terme qui décident de retirer leur argent au même moment parce qu'ils ont des doutes quant à la valeur des actifs de la banque. Une fois cette peur installée, le capital de la banque n'a plus d'importance: elle n'a tout simplement pas, dans l'instant, assez d'argent en espèces. Au moment de leur disparition, Bear Stearns et Lehman Brothers pouvaient sans doute se targuer de disposer de capitaux importants —mais ce capital ne leur a pas épargné la faillite bancaire: les investisseurs n'avaient plus confiance en leurs actifs.

C'est lorsque les investisseurs commencent à douter de la justesse de l'estimation de ses actifs qu'une banque a le plus besoin d'un capital important. Lorsque la situation se dégrade à ce point, le capital ne peut sauver la banque, et ce quel que soit son montant.

Prenez le CIT Group, qui a lui aussi fait faillite pendant la crise. Le gouvernement a injecté 2,3 milliards de dollars dans le capital de l'entreprise pour tenter de la sauver, sans succès: CIT avait le capital, mais il ne pouvait assurer son propre financement. Les créanciers en détresse qui ont alors décidé de sauter sur l'occasion ont gagné une fortune —plus de cinq milliards, selon une source—, tout simplement parce la valeur du CIT Group était encore très élevée. La société est vite sortie de la faillite: le manque de capitaux n'était pas le problème; l'injection de capitaux n'a donc rien résolu.

De façon plus générale, pensez à la façon dont nous avons finalement mis fin à la crise. On estime généralement que c'est le Troubled Asset Relief Fund, ou TARP, qui a résolu le problème en injectant des milliards de dollars dans les capitaux des principales banques. La réalité n'est pas aussi simple. La création du TARP a démontré que le gouvernement voulait soutenir les banques; et c'est ce signal fort (et uniquement ce signal) qui a permis de prévenir une crise de confiance.

Ce sont les autres mesures du gouvernement qui ont vraiment fait bouger les choses, et notamment l'action de la de la FDIC, qui a assuré une garantie globalisée de l'ensemble des dettes du secteur bancaire.

Le défaut de paiement de la Grèce, scénario pessimiste

Aujourd'hui, le scénario le plus pessimiste demeure celui d'un défaut de paiement de la Grèce, qui pourrait se répercuter sur tout le système financier (à la façon de l'effondrement de Lehman Brothers). Les pays très endettés (Irlande, Portugal, Espagne...) subiraient alors encore plus de pressions. Les banques européennes qui détiennent la dette de ces pays en seraient directement affectées (à la fin du mois de juin, Moody's envisageait d'abaisser la note de trois banques françaises liées à la dette grecque).

La panique pourrait dès lors s'étendre aux États-Unis, et ce de plusieurs façons, comme par l'intermédiaire de notre secteur du marché monétaire (qui représente 2700 milliards de dollars); la dette européenne constitue une bonne partie de ses actifs (44,3%, selon une récente étude de Fitch Ratings). Si la menace d'un abaissement de la note de cette dette commence à poindre, les organismes de placement monétaires devront vendre, car ils n'ont pas le droit de détenir de dettes trop mal notées.

Le problème de la Grèce (et de l'Irlande, et du Portugal, et de l'Espagne) demeure l'importance de leur dette. Mais si le scénario le plus pessimiste finit par se réaliser, le principal problème des banques européennes sera tout autre: trois ans après l'effondrement financier de 2008, leurs sources de financement ne sont toujours pas stables. (L'Investment Company Institute, qui est l'association professionnelle du secteur des fonds mutuels, assure que tout est sous contrôle.

Les acteurs du marché sont loin d'être aussi catégoriques. Lors d'une discussion sur la question du capital, l'une de mes sources a résumé la situation en ces termes: «les technocrates chantent pendant que Rome brûle»).

La pondération des risques laisse à désirer

Des exigences de fonds propres plus élevées n'auraient pas permis d'empêcher ces crises, bien au contraire: elles auraient même pu les aggraver. La pondération des risques des actifs appliquée par les régulateurs a pour effet d'encourager les banques à détenir plus d'actifs sensés être à faible risque. Voilà pourquoi toutes les banques possédaient un grand nombre de titres adossés à des hypothèques: ces derniers étant jugés à «faible risque», elles n'avaient pas à détenir beaucoup de fonds propres.

La dette souveraine de la Grèce (entre autres pays) était également sensée représenter un faible risque; voilà pourquoi les banques en détenaient un tel pourcentage. La crise a suffi à démontrer que la pondération des risques laissait à désirer. Cette dernière était standardisée; elle incitait donc les banques à perpétuer leurs comportements à risque. Si vous êtes d'accord pour dire que les crises surviennent lorsqu'un trop grand nombre de banques commettent la même série d'erreurs stupides, vous conviendrez qu'une absence d'exigences internationales de fonds propres vaut mieux qu'une série d'exigences erronées.

Certains diront que si les banques disposaient de plus de fonds propres, elles auraient plus à perdre; et qu'elles prendraient donc moins de risques. Une réflexion bancale, à mon sens; car au final, les fonds propres demeurent l'argent des autres. Si l'on souhaite défendre les exigences de fonds propres plus strictes, mieux vaut employer un autre argument. On pourrait dire, par exemple, que s'il y avait plus de capitaux et moins de dettes dans le système, les déposants et les prêteurs à court terme auraient potentiellement moins tendance à créer de paniques bancaires. Mais dans le monde titanesque, trouble et tortueux de la finance mondiale, je ne saurais dire s'il existe un montant assez élevé (tout en permettant au système de fonctionner normalement) pour garantir une tranquillité de tous les instants.

Dans un monde idéal

Dans un monde idéal, nous ne nous contenterions pas d'obliger les banques à disposer de plus de fonds propres. Nous exigerions la transparence en matière d'évaluation des actifs, pour que les personnes extérieures aux banques puissent se faire une idée de leur valeur en consultant leurs bilans. Nous forcerions les banques à ne plus s'appuyer que sur des financements à court terme, et ce pour parer aux crises de liquidité. Et nous ferions tout ce qui est en notre pouvoir pour que les régulateurs prennent la mesure des risques inhérents à chacune des institutions financières qu'ils avaient régulées avant la crise.

Mais aucune de ces mesures ne sera mise en place. Étant donné la situation, peut-être nous faudra-t-il en définitive nous résigner; nous contenter d'exigences de fonds propres plus élevées. Pour autant, n'oublions jamais qu'il ne s'agit là que d'une solution imparfaite. Et qu'une méconnaissance des détails peut parfois mener le monde de la finance au bord de la catastrophe.

Bethany McLean

Traduit par Jean-Clément Nau

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