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Zapatero ramène les indignés à la réalité

Le Premier Ministre espagnol a annoncé des élections anticipées pour le 20 novembre. L’occasion pour les indignés, réunis à nouveau à Madrid le week-end dernier, de mettre en place une évolution nécessaire de leur mouvement.

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Ils étaient partis, les voilà revenus. Un mois après leur départ de la madrilène Plaza del Sol, la capitale espagnole a accueilli ce week-end plus de 30.000 personnes venues de toute l’Espagne pour manifester leur mécontentement. Un mouvement citoyen qui a le mérite d’éveiller les consciences et de pointer du doigt les dérives du système mais qui court le risque de tomber dans une routine répétitive et stérile.

D’autant plus que la récente décision de José Luis Rodríguez Zapatero de convoquer des élections législatives anticipées le 20 novembre prochain en Espagne les renvoie à leurs contradictions. Loin d’être une concession accordée aux «indignados» réunis à Madrid ce week-end, l’annonce du Premier Ministre espagnol est une stratégie politique visant plutôt à aider Alfredo Pérez Rubalcaba, désigné comme le candidat socialiste à l’élection il y a quelques jours. C'est également une réponse à l’agressivité croissante des marchés financiers que les analystes attribuaient, entre autres, à l’impossibilité du gouvernement de mettre en place des reformes profondes à cause du spectre des prochaines élections.

Principe de réalité

Pour autant cette nouvelle conjoncture politico-sociale va surement permettre à la Spanish Revolution de jouer un plus grand rôle dans le débat politique en Espagne. Reste à savoir si le mouvement en est capable. Car le message des indignés n’a jamais été très clair: ne pas voter? Voter blanc? «Au-delà d'un changement de parti au pouvoir ou de tendance politique, on peut tenter de changer de système», expliquait Olmo Gálvez, membre de Democracia Real Ya, il y a quelques mois. Mais comment changer réellement le système sans casser avec lui de manière virulente? Voilà la contradiction que n'arrivent pas à surmonter, encore aujourd’hui, les indignés. La majorité d’entre eux (et leurs dirigeants) ne prônent pas une vraie révolution mais, en même temps, ne veulent pas non plus collaborer avec un parti politique «classique» et refusent aussi d’en créer un.

Une relation paradoxale et conflictuelle au système démocratique qui avait alimenté la débâcle des socialistes aux élections locales en mai dernier et qui promet de dégager la voie pour une victoire de la droite aux élections du 20 Novembre. La Spanish Revolution a été une formidable prise de conscience sociale et politique dans un pays peu habitué aux revendications de ce type, mais la décision de Zapatero oblige le mouvement à affronter sa transition vers l’âge adulte faute de disparaitre ou de lasser l’opinion.

 Victoire médiatique et symbolique

Car il est indiscutable que les indignés ont d’ores et déjà remporté la guerre de l’image et de l’opinion. Malgré les dérives violentes qui ont eu lieu à Barcelone, la Spanish Revolution est devenue un symbole et un modèle de contestation au niveau international. Leur Commission du Respect et leur organisation en quasi micronation en ont fait un mouvement presque festif, une «indignation polie» qui attire plutôt la bienveillance et la compréhension. Le mouvement est cautionné aussi bien par des figures intellectuelles, comme le «père fondateur» Stéphane Hessel, que par des stars comme Penelope Cruz. Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’Economie, s’est même invité aux débats de ce week-end au parc du Retiro.

Un état d’esprit critique et une pression sociale qui ont déjà remporté quelques succès ces dernières semaines. Francisco Camps, président de la Communauté Valencienne et l’un des grands barons du PP (Parti Conservateur Espagnol), a été obligé de démissionner à cause d’une affaire de corruption connue sous le nom de «Caso Gürtel». Une évidence démocratique qui n’allait pas de soi il n’y a pas si longtemps en Espagne où les affaires de corruption étaient (et sont) monnaie courante chez les hommes politiques. Les «indignados» ont changé cela en insistant sur une nécessité bien réelle de transparence politique. En forçant la démission de Camps, le leader du Partido Popular Mariano Rajoy a en quelque sorte légitimé la voix de la contestation en essayant de se débarrasser d’un obstacle possible à sa victoire lors des élections. Il ne savait pas que Zapatero les avancerait quelques jours plus tard. 

 Conséquences politiques de l’indignation

Que les manifestants le veuillent ou non, le message du 15-M est politique, avec tout ce que cela implique de paradoxes et de contradictions. Les élections anticipées montrent la faiblesse du gouvernement Zapatero et confortent l’avance de la droite dans les sondages. Seul un scandale de corruption, amplifié par les échos des manifestants, peut éviter ce dénouement, a dû penser Rajoy. D’où la décision pragmatique de forcer la démission de Camps pour une affaire qui dure depuis plusieurs mois déjà et que Rajoy a toujours feint d’ignorer.

D’autant que les scandales de corruption touchent indistinctement et sans trop de différences le PP et le PSOE (Parti Socialiste Espagnol). On ne compte plus le nombre de Caso ERE, Caso Faisan, Caso Gürtel, Caso Brugal, Caso Rinlo (parmi bien d’autres) dans lesquels sont impliqués les hommes politiques espagnols. La Spanish Revolution a réussi à replacer ces illégalités présumées au cœur du débat démocratique. Et les hommes politiques en tirent les conséquences…ou font semblant de le faire (en vue des élections). Alberto Núñez Feijóo, président de la Xunta de Galice (l’autre grand bastion traditionnellement conservateur), explique ainsi qu’il faut «prendre note des membres des différents partis qui sont imputés» tout en gardant dans son gouvernement et son administration neuf personnes imputées par la justice. Une ambiance qui ne fait qu’accentuer la méfiance envers le monde politique en général (un phénomène qui se répète dans de nombreux pays occidentaux) et qui nourrit le sentiment qu’ «à la différence d'autres pays, entre le PP et le PSOE, il n'y a pas de grande différence, au moins sur le plan économique» comme disait l’indignée Mai Sanchez au début des manifestations.

Le remède, pire que le mal?

Un dégoût et un éloignement du politique qui semblent logiques mais qui paraissent incapables de régler les apories dans lesquelles le mouvement est plongé: refuser le système, sans en sortir, et faire le jeu de la droite? Accepter de reformer les institutions au risque de trahir ses idéaux? Radicaliser la révolte et perdre une partie de son large soutien populaire? Autant de questions que les élections en Espagne rendent de plus en plus pressantes.

Le seul consensus à minima est une reforme du système électoral et la lutte contre la corruption politique. Deux propositions qui peuvent, et pour la seconde doit, s’intégrer parfaitement dans la démocratie espagnole contemporaine. Les indignés ont très bien rempli leur rôle d’observateurs sociaux et de contre-pouvoir nécessaire. Mais, comme leur a si justement rappelé Joseph Stiglitz il y a quelques jours, «on ne peut changer les mauvaises idées par l’absence d’idées, il faut chercher les bonnes». Mise à part quelques oppositions musclées à des expulsions par la police, les indignés n’ont pas fait preuve de trop de créativité dans ce domaine. Paradoxalement, ils semblent se trouver dans la même position que certains leaders politiques européens face aux banques: ils ne peuvent pas vraiment se passer d’un système qu’ils veulent punir pour ses erreurs.

Fuite en avant

Après leur premier Forum Social du Mouvement 15-M, les manifestants ont annoncé qu’ils allaient remettre un document revendicatif au Parlement expliquant les problèmes concrets que les différentes marches ont rencontré sur leur chemin vers Madrid, où ils ont tous convergé samedi dernier.

Pendant que les indignados continuent de glaner et d’imaginer des solutions réalistes et concrètes, les dirigeants du mouvement ont décidé d’organiser une nouvelle journée de manifestations qui se déroulera vraisemblablement le 15 octobre prochain au niveau international (baptisée 15.0 #WorldRevolution). Une date qui (sans le savoir) peut jouer un rôle important dans le dénouement électoral espagnol un mois plus tard. Un groupe d’indignés est même parti à pied vers Bruxelles pour exprimer, à ce moment là, son mécontentement à l’Union Européenne sans trop de nouvelles idées ni de propositions claires. La révolution devra attendre. Maintenant que Zapatero a fixé une date pour les élections, la Spanish Revolution semble  être dos au mur. L’indignation doit passer d’être une précieuse expression de malaise à un outil de changement véritable si elle ne veut pas s’évaporer «en laissant seulement derrière elle le dépôt d’une nouvelle bureaucratie», comme disait Franz Kafka à propos des révolutions.

Aurélien Le Genissel

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