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Ce que le Huffington Post a compris

Les médias traditionnels continuent à ignorer les leçons que nous enseigne le géant de l'agrégation.

Temps de lecture: 5 minutes

Je ne vais pas défendre l’appropriation dont s'est rendu coupable début juillet le Huffington Post, en reprenant in extenso l'article de Simon Dumenco, publié à l'origine dans Ad Age, ni  désavouer n'importe quelle autre affaire de fric-frac intellectuel dans laquelle le mastodonte de l'agrégation est mis en cause, ou même dénigrer ceux qui lui reprochent d'avoir copié sauvagement des contenus du Chicago Reader, du Daily Mail, et autre.

Pour autant, mon refus ne signifie pas que le site soit pour moi un «parasite», comme l'a dit l'ancien directeur de la rédaction du Washington Post, Leonard Downie Jr., ni même qu'Arianna Huffington me fasse l'effet d'une «faussaire», selon les termes du directeur de la rédaction du New York Times, Bill Keller, ni même encore que je définisse les agrégateurs de contenus comme des «kleptomanes de contenus», comme le PDG de News Corp., Rupert Murdoch, et jamais je n'aurais l'idée de voir dans les moteurs de recherche des «ténias technologiques», comme l'entend le rédacteur en chef du Wall Street Journal, Robert Thomson.

En revanche, je voudrais rappeler aux médias traditionnels, pour la seconde fois, que le Huffington Post essaye de leur apprendre une leçon: qu'un énorme lectorat, ignoré jusqu'ici, préfère quand l'information est chaude, rapide et serrée.

Jamais, à n'importe quelle étape de l'incroyable ascension du HuffPo, le Washington Post, le New York Times, le Wall Street Journal, ou tout autre titre choisi parmi une douzaine de groupes de presse, n'a pu l'étrangler dans son berceau et concevoir de site pop-informatif aussi divertissant et exemplaire – un site fonctionnant sur des dépêches de l'Associated Press, des banques d'images sous licence, la production d'articles originaux et, il est vrai, la réécriture de contenus provenant d'autres sites.

Les supports de presse réécrivent les articles d'autres supports de presse depuis l'aube du journalisme. Dans les années 1920, Time a prospéré en réécrivant sauvagement des articles de quotidiens et en les adaptant toutes les semaines pour un lectorat national.

«Nous n'avons pas la prétention d'être des journalistes, au Time. Nous sommes des hommes de réécriture», avait un jour déclaré un rédacteur hors-pair à sa hiérarchie. Avant la création de Time, personne n'avait conçu l'information de manière aussi chaude, rapide et serrée. Ses fondateurs, Henry R. Luce et Briton Hadden avaient saisi que certains lecteurs n'avaient plus le temps pour de longs articles complaisants ou certaines rubriques de journaux spécialisés, qu'ils préféraient une récapitulation hebdomadaire des informations à une logique quotidienne, ou encore que leurs journaux régionaux puaient et qu'ils cherchaient des perspectives plus internationales.

Certains lecteurs n'ont d'ailleurs pas tout de suite accroché aux formules à rebrousse-poil et aux néologismes du Time, rendus célèbres par la parodie qu'en a faite Wolcott Gibbs, du The New Yorker.

Mais les civils ne sont pas les seuls à vouloir un traitement plus rapide de l'actualité. Écoutez Nicholas Confessore, magnifique journaliste du New York Times en poste à Albany. Il vient tout juste de déclarer à l'Atlantic Wire – un agrégateur très énergique, soit dit en passant – qu'il «tuerait pour recevoir chaque jour une newsletter comportant 5 ou 6 articles, maximum, mais venant de n'importe où. Les articles les plus essentiels, qui vous apprennent réellement quelque-chose sur la politique».

Offrons aux masses ce qu'elles veulent

Ce n'est pas non plus comme si les principaux groupes de presse ne s'étaient pas rendu compte que leurs épais journaux ne sont pas du goût de tout le monde. Le New York Times, par exemple, élabore tous les jours un «synopsis» de 10 pages du quotidien le TimesDigest que 190 000 personnes sont censées lire dans des hôtels, des centres de loisirs, des salles de sport, des bateaux de croisière, etc. En 2007, j'avais écrit un article louant la concision du TimesDigest. Le Washington Post Co. (propriétaire de Slate) a lancé récemment un nouveau site d'actualités, Trove, qui combine une agrégation manuelle et une agrégation automatisée.

Slate fut l'un des tous premiers agrégateurs, avec sa rubrique des «Today's Papers», de juin 1997 à août 2009, qui proposait, dès les premières heures du jour, une revue de presse des principaux journaux (New York TimesLos Angeles TimesWashington PostWall Street Journal, et USA Today) à destination des lecteurs curieux de savoir comment les informations étaient traitées sur différents supports. Slate a depuis remplacé ses «Today's Papers» par un agrégateur de contenu plus universel, The Slatest. On y collecte des informations aux quatre coins du Web et ses rédacteurs y postent une douzaine d'articles par jour. Les lecteurs adorent The Slatest; c'est l'une des rubriques les plus populaires du site.

Aucune discussion sur l'agrégation ne serait complète sans la mention de notre pépé à tous,  le Drudge Report, qui propose un aperçu des actualités au jour le jour mieux que n'importe quel site de n'importe quel quotidien, de n'importe quelle chaîne de télé, mieux d'ailleurs que n'importe quoi d'autre sur Internet, et en particulier la page d'accueil particulièrement mal foutue du Huffington Post.

Avec une fierté mal placée, les journaux et les chaînes de télé adorent tellement ce qu'ils font qu'ils ont tendance à truffer leurs sites de leurs propres contenus – ce qui n'équivaut pas vraiment à tenir leurs lecteurs au fait de l'actualité. Il n'est pas facile d'admettre qu'après 15 ans passés dans l'ère du web commercial, les sites de presse donnent toujours autant l'impression d'être des sites de presse.

A l'instar de Dumenco, nous devons continuer à couvrir de honte le Huffington Post dès qu'il dépasse les limites de l'usage raisonnable, mais je le répète, ce serait retenir la mauvaise leçon du catéchisme du HuffPo. Son succès ne lui vient pas du vol à l'étalage – on lui connaît cette habitude – mais parce que le site sait parfaitement emprunter, générer du contenu original, recruter une armée de blogueurs bénévoles, concevoir de merveilleux diaporamas et, en général, offrir aux masses ce qu'elles veulent. Je ne comprends toujours pas l'intérêt de la chose, mais vous pourrez dire ce que vous voudrez, ils font ce qu'ils font à une vitesse étourdissante.

Dès lors, encore une fois, et au-delà du ronchonnement éternel (et pertinent!) contre les articles volés du HuffPo, j'aimerais aussi voir l'état de la concurrence s'améliorer. Hé les gars, comment se fait-il que quelqu'un avec une expérience journalistique si maigre ait réussi à tous vous flouer?

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J'ai rédigé cet article en adaptant une de mes précédentes chroniques. (Vu que je l'ai écrite, je ne vais pas m'intenter de procès contre moi-même). Le 13 octobre 2008, dans le New Yorker, Lauren Collins écrivait ceci à propos d'Arianna Huffington:

Ses capacités de synthèse ont été problématiques à certains moments de sa carrière. Avec son livre sur Maria Callas, elle a été accusée de plagiat par un précédent biographe de La Callas; l'affaire a été portée devant les tribunaux. Lydia Gasman, aujourd'hui professeur émérite d'histoire de l'art à l'Université de Virginie, a déclaré que la biographie de Picasso, rédigée par Huffington, incluait des thèmes similaires à ceux de sa thèse de doctorat en quatre volumes, non publiée. «Ce qu'elle a fait, c'est me voler 20 ans de travail», avait expliqué Gasman à Maureen Orth en 1994.  Gasman n'a pas porté plainte. (Huffington a nié ces deux allégations.)

«Capacités de synthèse», j'aime bien la formule. Je pense que le vais la voler. Envoyez-moi des écrits volés à [email protected] et surveillez mon compte Twitter si vous voulez de l'authentique. (Les mails reçus pourront être nommément cités dans «The Fray», le forum américain des lecteurs de Slate.com; dans un futur article, ou ailleurs à moins que leurs auteurs ne s’y opposent. Slate est la propriété du Washington Post Co.)

Cherchez l’erreur: l’alerte de ce flux RSS se déclenche chaque fois que Slate apporte une correction à la «Press Box». Pour me signaler par mail des erreurs dans cet article en particulier, envoyez-moi un mail à  [email protected] avec  «Synthetic gifts» [capacités de synthèse] en objet.

Jack Shafer     

traduit par Peggy Sastre

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