France

La crise a du bon pour l'économie solidaire

La crise des valeurs du néolibéralisme crée un contexte favorable à l’économie sociale et solidaire. Même si les intérêts de tous les acteurs du secteur ne vont pas toujours dans le même sens.

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AU DÉPART, IL Y A la faillite de l’argent fou et la crise. Et, en contre-point, un subit regain d’intérêt pour les valeurs du mouvement coopératif né au début du XIXe siècle. «Le capitalisme financier est en bout de course», commente Michel Rocard pour expliquer le coup de projecteur dont profite actuellement l’économie sociale et solidaire (ESS), fondée sur ces valeurs.  

Certes, ce système «marchand mais non lucratif», insiste l’ancien Premier ministre, aura mis trente ans à se structurer en France depuis la création à son initiative du Conseil supérieur de l’économie sociale. Mais l’ESS a maintenant tout loisir de revendiquer sa différence, d’autant qu’elle suscite un intérêt qui dépasse les clivages politiques traditionnels, estime Jean Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental (CESE),  et ex-ministre de Jacques Chirac. Aussi appelle-t-il la sphère sociale et solidaire à «recréer de l’espérance collective et individuelle», que l’on soit de gauche et de droite.

D’ailleurs, à la Direction de la cohésion sociale, placée sous la tutelle de Roselyne Bachelot, on travaille à la mise au point d’une loi cadre de l’Economie sociale et solidaire qui pourrait voir le jour en 2012. Un certain nombre de critères a déjà été défini pour l’élaboration d’un référentiel qui établira le champ de l’ESS. Une victoire pour le Conseil supérieur de l’Economie sociale et solidaire, et pour Claude Alphandéry qui dirige le Laboratoire de l’ESS après une carrière atypique qui l’a conduit du Parti communiste au Trésor et lui a fait endosser le costume de banquier.

Sécession du mouvement coopératif

Pourtant, tout n’est pas forcément rose dans l’économie sociale et solidaire malgré l’espoir qui la porte. Ainsi, en 2009, pour de complexes questions de représentativité des employeurs au sein de l’ESS, le mouvement coopératif avait fait sécession. Ce mouvement représenté par le GNC (Groupement national coopératif) est pourtant une composante importante de l’économie sociale et solidaire. «Nous faisons partie de la même famille, mais c’est compliqué», concède Claude Alphandéry.

Aujourd’hui encore, le GNC n’accompagne que discrètement les Etats généraux de l’ESS: une présence au sein du comité de pilotage de la manifestation, une participation du Crédit coopératif à un débat… le mouvement coopératif semble s’en tenir au service minimum. De son côté, le Labo de l’ESS n’avait pas participé aux débats des Assises du GNC en octobre 2010.

En fait, après bientôt deux siècles d’existence, le «tiers secteur» comme l’Insse appelle l’ESS, rassemble aujourd’hui des entreprises qui n’ont plus les mêmes repères. Les quelque 164.000 entreprises qui emploient près de 2,3 millions de salariés (soit près de 10% des effectifs salariés en France) ont pour la plupart des problématiques communes –qu’elles soient coopératives, mutuelles, associations ou fondations. Mais au sein même du mouvement coopératif, certaines entités vivent, par leur taille, des réalités totalement différentes.

Ce mouvement coopératif ne revendique pour sa part que 21.000 entreprises et 1 million de salariés. Mais les 100 plus grosses –soit 0,5% du total– réalisent à elles seules les deux tiers du chiffre d’affaires du mouvement. Rien de plus normal, puisqu’on trouve parmi elles des groupes bancaires aussi gigantesques que BPCE (où sont réunis le groupe des Banques populaires, celui des Caisses d’épargne et le Crédit coopératif), le Crédit Agricole et le Crédit Mutuel. Soit plus de 360.000 salariés pour ces seules trois banques coopératives.

Modèle économique

Certes, les banques coopératives ne comptent pas d’actionnaires, mais des sociétaires qui s’expriment sur le mode démocratique «un homme = une voix». Toutefois, on a vu aussi ces établissements s’émanciper de leur statut lorsqu’elles se sont dotées de «véhicules boursiers» –des filiales cotées en bourse– pour opérer sur les marchés financiers de la même façon que leurs concurrentes capitalistes.

Dans un récent rapport, le député du Nord Francis Vercamer souligne la demande du GNC de prendre en compte un périmètre coopératif beaucoup plus large que le seul «cœur coopératif» en intégrant les filiales et entreprises associées. Cette demande émane des grands groupes en question, concernant des filiales extérieures à l’économie sociale et solidaire. Ce qui pose question au sein même du monde coopératif sur la représentativité des autres composantes, dans la mesure où ces filiales doubleraient les effectifs des coopératives bancaires et agricoles.

Ce n’est pas parce que des institutions, banques ou assurances, font partie de la sphère sociale et solidaire qu’elles doivent être condamnées au paupérisme. Le mouvement tout entier a au contraire besoin de pouvoir s’appuyer sur des acteurs économiques puissants. Mais tout à leur logique de développement, ces institutions ne peuvent fonctionner sur le même modèle économique qu’une petite coopérative agricole ou artisanale, ou qu’une société coopérative et participative (les coopératives ouvrières de production). Problème d’échelle.

L’air du temps

Ce qui n’implique pas qu’elles doivent se comporter comme leurs concurrentes dites «capitalistes»: lorsque Natixis, filiale des groupes Banque Populaire et Caisse d’Epargne (et qualifiée d’«exemple vicieux» par Claude Alphandéry dans son livre Une si vive résistance) fut épinglée pour ses engagements dans «les subprimes» américains et y laissa des plumes, les puristes y virent un dangereux mélange des genres.

Les coopératives de consommateurs ont bien connu le problème lorsque, il y a quelques décennies, elles ont opté pour un modèle de développement proche des grandes enseignes de la grande distribution, s’éloignant de leur spécificité coopérative. Parfois, les grandes institutions financières sont également interpellées, au titre de la solidarité qui fonde l’ESS. Au point qu’au sein même du mouvement coopératif, des critiques s’élèvent parfois contre des attitudes qualifiées de «corporatistes». Un comble!

Quelques tiraillements ne sauraient toutefois ralentir la progression de l’économie sociale et solidaire, avec toutes ses composantes. Elle est d’ailleurs dans l’air du temps, au même titre que les placements financiers dans des fonds éthiques ou la responsabilité sociétale des entreprises. L’ESS, d’ailleurs, les englobe. Et couvrant ainsi tous les types d’activités et tous les registres de l’économie, elle constitue en fait un véritable choix de société… du genre de celle que Claude Alphandéry continue à défendre à près de 90 ans et que Jean-Paul Delevoye appelle à «revisiter les équations de la République».

Gilles Bridier

Chronique également parue sur Emploiparlonsnet

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