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Suzanne Lenglen, les années folles du tennis

La Française est probablement la plus grande joueuse de tous les temps. Mais qui sait pourquoi?

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Reine de France et reine du monde. Ainsi vécut et mourut Suzanne Lenglen. Suzanne Lenglen ? Un nom donné à un court de Roland-Garros pour rendre hommage à la plus grande championne de l’histoire du tennis et probablement du sport français. Il y en a même pour affirmer que Suzanne Lenglen, née en 1899, est la plus grande championne de l’histoire du sport tout entier tant elle a marqué la société de l’époque en dépassant le simple cadre de ses performances pour devenir un personnage universellement reconnu dans les années vingt où rares étaient les femmes à bénéficier d’un tel statut d’icône. Mais qui le sait aujourd’hui ?

Suzanne Lenglen, ce n’est pas seulement un palmarès extraordinaire qu’il faut néanmoins rappeler. De 1919 à 1926, année de son passage chez les professionnelles, elle ne perdit qu’un seul match en simple, en 1921, et encore cette défaite fut constituée par un abandon lors de sa seule participation aux Internationaux des Etats-Unis. Malade, elle préféra jeter l’éponge contre l’Américaine Molla Mallory. Dans l’intervalle de ces sept années, elle s’imposa donc six fois à Wimbledon, six fois aux Internationaux de France et fut sacrée championne olympique à Anvers en 1920.

Ce fut aussi un destin hors du commun entamé à Maretz-sur-Matz, un petit village de l’Oise près de Compiègne où elle commença le tennis à l’âge de 11 ans en compagnie de Charles, son père. L’hiver, la famille Lenglen, plutôt argentée, mettait le cap sur Nice et le quartier des Musiciens où elle logeait dans un appartement en face du Tennis Club de Nice. En 1914, à seulement 15 ans, elle remporta les championnats du monde sur terre battue à Saint-Cloud, épreuve qui ne méritait pas une telle appellation en raison de la faible délégation étrangère. Car la guerre était là.

C’est en 1919 que l’on redécouvrit Suzanne Lenglen, alors âgée de 20 ans, en finale du tournoi de Wimbledon, sur le Centre Court et sous les yeux du roi George V et de la reine Mary. Son adversaire s’appelait Dorothea Lambert-Chambers, Britannique de 41 ans plusieurs fois mère de famille et dont le palmarès était riche de sept triomphes à Wimbledon. Ce match fit date en raison de ses péripéties. Lenglen sauva, en effet, deux balles de match et bénéficia de l’aide de son père, Charles, qui, la sentant faiblir physiquement, lui jeta un flacon d’argent sur le court au cœur de la bagarre. La gorgée de cognac qu’elle avala et qui allait être ensuite son habituel remontant dans les moments les plus délicats propulsa Suzanne vers une victoire inattendue. La légende était en route.

Car au-delà de ce succès, le style Lenglen avait fait sensation avec cette manière de se mouvoir proche de la danse. Comme le souligne Jean Lovera dans son livre «Tennis!»:

«Elle saute, bondit, frappe les pieds les deux pieds en l’air, lève la jambe au ciel pour un smash : du jamais vu. (…) Le public est fasciné par la grâce et la vitesse de ses déplacements.»

A l’orée des années vingt, elle révolutionnait aussi les codes vestimentaires en étant la première à porter des robes plus courtes, à dévoiler ses chevilles et ses bras nus. Malgré, il faut bien le dire, une certaine disgrâce physique, elle fut très vite l’égérie de l’un des grands couturiers de l’époque, Jean Patou, qui lança un style raffiné de joueuse avec une jupe en soie jusqu’aux genoux et le célèbre bandeau en tulle.

Surnommée «la divine», elle fut aussi une diva capricieuse, aux coups de sang fameux. Cependant, elle ensorcelait, jusqu’aux têtes couronnées qui lui firent une véritable cour. Gustav V de Suède, mais aussi les souverains britanniques en raffolaient.

L’année 1926 fut une sorte d’apogée et de désastre pour Suzanne Lenglen à un moment où sa notoriété internationale équivalait à celle d’une Lady Gaga d’aujourd’hui. Deux événements la catapultèrent dans un autre monde. Les voici racontés.

Le premier eut lieu en février 1926 à l’occasion de ce qui fut appelé à l’époque «le match du siècle» entre Suzanne Lenglen, 27 ans, et l’Américaine Helen Wills, 20 ans, sur un court du Carlton à Cannes. «Tout oppose ces deux championnes, écrit Jean Lovera. L’apparence physique : Suzanne est très marquée, fatiguée. Helen est jeune et belle. Leurs origines : Suzanne est une Parisienne des Années folles. Helen une sage jeune fille californienne. Leur style : Suzanne est une ballerine, Helen une terrienne aux appuis solides.»

Ce match entre la reine et la jeune princesse provoqua un déferlement médiatique sans précédent sur Cannes où certaines des 4.000 places vendues le furent au marché noir à 1.200 francs, l’équivalent de 22 fois le prix d’une finale de Wimbledon, note Lovera. Les tribunes explosaient et les toits environnants furent pris d’assaut comme on peut l’apercevoir sur cet extraordinaire petit film en accéléré.

Suzanne, malgré des nerfs à vif, triompha 6-3, 8-6.

Quelques mois plus tard, à Wimbledon, Suzanne Lenglen se retrouva encore au cœur de l’actualité et, cette fois, ce fut le scandale. Engagée en simple, en double et en mixte et probablement sur la route d’un septième titre individuel, elle refusa de se présenter sur le court pour disputer un double en compagnie de Diddie Vlasto, sa partenaire, alors que dans la loge royale avait pris place la Reine Mary. Mécontente d’un changement tardif de programmation en ce qui la concernait, elle refusa mordicus de prendre la direction du court en dépit de la présence royale.

Dans son livre «La diva du tennis» paru aux éditions Rochevignes en 1984, le journaliste italien Gianni Clerici refait le récit de ses minutes brûlantes dans le vestiaire:

«On avait d’abord envoyé George Hillyard (NDLR : l’ancien secrétaire du All England Club). Lui seul semblait posséder l’autorité nécessaire pour régler cet imbroglio alors que la reine était maintenant là et attendait le double après la partie entre Bunny Austin et C. Van Lennep qui était achevée. Ce fut un échec. On se mit alors à chercher frénétiquement Jean Borotra (NDLR : l’un des célèbres Mousquetaires du tennis français avec René Lacoste, Henri Cochet et Toto Brugnon) qui résuma ainsi la situation:

 “Je me précipitais vers les vestiaires, mais il y avait plusieurs jeunes filles qui se changeaient. Quelqu’un, Diddie je crois, me lança une serviette que je mis sur mes yeux et l’on me conduisit jusqu’au vestiaire de la « Ladies Champion ». J’essayais de la raisonner, mais elle était dans un triste état. Elle réussissait à peine à prononcer quelques paroles au milieu de ses sanglots. Je compris que je ne pourrais pas la convaincre et je me résignai à m’en aller. J’acceptais immédiatement d’aller présenter mes excuses à la reine.“»

Jean Borotra se rendit donc dans la loge royale, excusa son amie et la reine s’en alla, semble-t-il plus frustrée qu’irritée. Mais le scandale fut évidemment considérable. Imaginons ces scènes ubuesques transposées à la réalité d’aujourd’hui…

Le lendemain, Suzanne parvint à jouer ce double qu’elle perdit d’ailleurs —l’unique défaite de sa carrière à Wimbledon— puis, souffrante et dépressive, se retira du simple après le gain d’un match. «Ce que je vais faire?, s’interrogea-t-elle devant les journalistes. Je rentre chez moi. Quand on est malade, on ne pense qu’à rentrer chez soi

Ce fut sa dernière apparition à Wimbledon et en compétition officielle. Elle passa professionnelle et monnaya ses talents notamment aux Etats-Unis avant que son destin ne soit fauché à seulement 39 ans, le 4 juillet 1938, par une leucémie fulgurante. Comme l’écrivit un journaliste de l’époque:

«Et, le jour où j'assistai à ses obsèques dans la petite église de la rue de l'Assomption, nous ne pouvions l'imaginer finissant sa vie comme tout le monde dans la tiédeur d'un lit de clinique. Je me la représentais s'effondrant au champ d'honneur, évanouie sur le “central” de Wimbledon, en pleine gloire, sa blanche silhouette allongée sur le vert du gazon, dans le silence écrasant de la foule debout devant la mort du cygne!»

 Le 4 juillet, c’est parfois jour de finale à Wimbledon…

Yannick Cochennec

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