France

Où l'on reparle des farines animales

L’Europe va-t-elle (ré)autoriser cette alimentation au risque de réactiver le spectre d'une maladie mortelle transmissible à l’homme?

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Où l’on reparle —quinze ans plus tard— de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). Mieux connue sous la dénomination de «vache folle», cette maladie animale neuro-dégénérative fut, en Europe et à compter de 1996, au centre de l’une des plus graves crises sanitaires et économiques. On venait alors de découvrir que l’agent transmissible «non conventionnel» (un prion pathologique) responsable de cette maladie pouvait se transmettre à l’homme via la consommation de viandes bovines contaminées.

Au total, un peu plus de 200 cas d’une nouvelle forme de la maladie humaine — incurable et mortelle — de Creutzfeldt-Jakob ont été recensés. Aujourd’hui, l’ESB semble en voie d’éradication. L’heure est-elle donc venue de revenir sur le dispositif sanitaire (à la fois préventif, efficace et coûteux) mis en place depuis quinze ans en Europe?  

L’hypothèse désormais la plus communément admise au sein de la communauté scientifique est que l’ESB (apparue au milieu des années 1980 dans le cheptel bovin anglais) est la conséquence directe de l’alimentation des bovins par des «Farines animales»; farines aujourd’hui totalement prohibées car considérées comme potentiellement infectieuses. Or voici que l’on annonce leur possible réintroduction dans différents circuits de l’alimentation animale.

Ces produits riches en protéines étaient issus de la transformation par incinération des carcasses et des cadavres d’animaux, une pratique de recyclage de déchets perçue comme à la fois économiquement mais aussi écologiquement intéressantes. Jusqu’à ce que des modifications introduites (pour des raisons économiques dans l’Angleterre thatchérienne) au sein du processus de transformation ne conduisent à l’émergence d’une nouvelle zoonose, pathologie animale transmissible à l’homme. Il aura fallu dix ans pour le comprendre.

Dix ans après la crise, la fin des mesures de police sanitaires

Ainsi donc, à peine en a-t-on fini avec l’affaire de la «bactérie tueuse» allemande, que les farines animales –et donc en toile de fond le spectre de la «vache folle»— s’invitent à la grande table de l’actualité sanitaire et alimentaire. L’événement trouve son origine dans un document émanant du Conseil national de l’alimentation (CNA).

Cet organisme consultatif des ministères français de l'Agriculture, de la Santé et de l'Economie réunit des représentants de tous les acteurs de la chaîne alimentaire; et il est notamment —depuis octobre 2010— en charge de la question, soulevée à l’échelon européen, de la possible réintroduction des farines animale

L’initiative émane en effet de la Commission qui souhaite désormais ouvertement la levée des mesures de police sanitaire prises entre 1990 et 2000 qui conduisirent à interdire l’utilisation des protéines animales transformées (PAT) dans l’alimentation de tous les animaux destinés à la consommation humaine.

Avec quelques exceptions: l’utilisation de «farines de poissons» dans l’alimentation des animaux non-ruminants mais aussi dans celle des veaux non sevrés et qui n’étaient pas «élevés sous la mère»… Ainsi, plus généralement que le recyclage de ces protéines animales dans les aliments destinés aux chats et chiens domestiques.   

La suggestion de la Commission européenne de lever les actuels interdits ne concerne pas les animaux ruminants. Il ne s’agit pas non plus de réintroduire différentes formes de «cannibalisme»: les protéines transformées issues des volailles ne pourraient être inclues dans l’alimentation de ces dernières; idem a priori pour les poissons et les porcs.

Pour l’heure, chaque Etat membre de l’Union est chargé d’analyser les différents paramètres, sanitaires et économiques, de l’équation. En France, on connaissait depuis juin le constat du groupe de travail du CNA grâce à un rapport d’étape [PPT], depuis le 2 décembre, on connaît sa préconisation

«La proposition initiale de la Commission européenne envisage une autorisation des Protéines Animales Transformées (PAT) de porcs, de volailles et de poissons, dans l'alimentation des porcs, des volailles et des poissons. Les PAT proviennent par définition d'animaux sains. Les porcs, volailles et poissons sont naturellement omnivores, voire carnivores. Il est impératif de faire la différence entre les PAT dont nous parlons aujourd'hui, issues de produits sains, et les “farines animales” (farines de viandes et d'os), qui incorporent notamment des cadavres d'animaux –et qui sont  interdites pour tous les animaux dans l'Union européenne.»

Un rapport point l'absence de risques pour la santé humaine

Selon ce groupe, la situation sanitaire (concernant l’ESB) est «désormais maîtrisée». Il existe une «absence de risques pour la santé humaine» et, dans le même temps des «besoins croissants en protéines pour l’alimentation animale» ainsi que de «probables avantages environnementaux» à la réutilisation alimentaire des PAT.  On connaît aussi les propositions de ce groupe de travail: la «levée de la mesure de police sanitaire» puisque «les conditions  ayant conduit à l’interdiction des PAT dans l’alimentation des animaux destinés à la consommation humaine ne sont plus d’actualité».

En clair, on peut s’attendre à une réintroduction progressive de ces farines qui ne servent plus aujourd’hui –dans le meilleur des cas— qu’à alimenter les fourneaux des cimentiers. Au titre de la précaution, ces farines demeureraient toutefois prohibées dans l’alimentation des bovins et autres ruminants. 

Quelles sont les positions des pouvoirs publics français qui ne cessent de brandir le double bouclier du principe de précaution et de la sécurité alimentaire maximale?  Alors que le président de la FNSEA, Xavier Beulin n’est pas contre le retour de telles farines dans les circuits de l’alimentation animale tout en souhaitant sur une «cohérence européenne» sur le sujet, Bruno Le Maire, le ministre de l'Agriculture, confirme en décembre la position tenue en juin. Il avait répliqué au «Grand jury» RTL/LCI/Le Figaro qu’il était fermement opposé à une telle mesure:

«Tant que je serai ministre de l'Agriculture, les farines animales ne seront pas réintroduites en France. J'en prends l'engagement. J'ai en tête les 200 morts de l'ESB et les 23 décès en France (...) j'ai aussi en tête l'incapacité que l'on a eue pendant des mois et des mois à retracer l'origine de ces farines animales. Aujourd'hui, je constate que l'on ne nous donne pas de certitude (...) personne ne m'écrit noir sur blanc que cela ne pose aucun problème de sécurité sanitaire pour les Français.»

L’envolée n’est pas sans panache mais il faut faire attention aux questions  de vocabulaire. Ainsi le syndicat des industriels de la viande (Sniv-Sncp) prend-il bien soin de faire la distinction entre les «farines animales» (sous-produits animaux aujourd’hui interdits) et les «protéines animales transformées» ou PAT (autres sous-produits animaux) qui pourraient selon eux être autorisés chez les poissons, les volailles et les porcs. 

Et la traçabilité?

Il suffirait pour cela que ces PAT ne proviennent que des restes (soit plus de 50% de leur masse) des animaux sains déclarés aptes à la consommation humaine; et en obtenant la certitude de l’impossibilité en pratique de toute forme de «cannibalisme animal».  

Question subsidiaire de taille: si les interdits actuels devaient être levés, qu’en sera-t-il de l’étiquetage et de la traçabilité ces deux grands acquis de la crise de la vache folle? Aurons-nous le droit de savoir si les aliments que nous consommerons proviendront d’animaux qui auront été nourris (ou pas) par l’homme avec des protéines provenant de l’incinération des restes d’autres animaux, comme le propose le CNA? On tiendra, au choix, la question pour gastronomique ou philosophique. Elle s’inscrit aussi pleinement dans le champ d’une nouvelle démocratie,  à la fois «sanitaire» et «alimentaire».

Jean-Yves Nau

Article mis à jour le 4/12/11 avec la préconisation du CNA

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