France

Procès Colonna: lettre mystère et joutes verbales

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Opération déminage. Pendant plus de deux heures, la défense d'Yvan Colonna a tenté mardi d'éteindre le feu mis par la lettre qu'aurait écrite Yvan Colonna à Pierre Alessandri. Dans ce courrier daté de décembre 2010 et révélé vendredi 27 mai, l'accusé, s'il en est l'auteur, menace son ancien ami condamné pour l'assassinat du préfet Erignac, lui reprochant de ne pas l'avoir suffisamment bien blanchi lors des deux précédents procès de 2007 et 2009.

Pressés de réagir durant le week-end, plusieurs avocats du berger de Cargèse sont allés un peu vite en besogne, au risque d'accréditer eux-mêmes la véracité de cette lettre. L'heure est donc au rachat et au rétropédalage ce mardi. Ce fut fait avec brio.

Un témoin de marque leur a facilité la tâche: Christian Lothion, directeur central de la police judiciaire et transmetteur vendredi de la lettre à la cour d'assises spéciale de Paris. Ancien patron de la PJ de Nice, Orléans et Lyon, l'homme, âgé de 59 ans, costume-cravate sombre, est un policier de terrain qui a monté les échelons sans faux pas. Désormais n°1 de la police judiciaire, il est ce qu'on appelle un «grand flic».

Sauf qu'une fois à la barre, Christian Lothion se transforme en un piètre témoin. «Vendredi matin, j'ai été contacté par quelqu'un pour me communiquer des éléments sur le dossier en cours», explique-t-il à la cour. «J'ai vu cette personne en fin de matinée, elle m'a remis la photocopie d'un courrier en me disant que celui-ci avait été écrit par Yvan Colonna à destination d'un membre du commando.» Sentant le mauvais vent venir, il précise qu'il n'a «que cette photocopie» et qu'il ne lui a donné «aucun renseignement sur (son) cheminement».

C'est tout? Un à un, les avocats d'Yvan Colonna, chacun dans son genre et façon tirade du nez dans Cyrano, vont lui faire sentir que c'est un peu court, jeune homme. 

L'ironie

D'abord, Me Philippe Dehapiot, élégant et subtil (voix de Louis Jouvet):

«M. Lothion, vous êtes un policier à la brillante carrière, vous êtes le n°2 de la police en France, quelqu'un d'important, ce ne doit pas être facile de vous rencontrer? 

LE COMMISSAIRE LOTHION:

Ça dépend de mon emploi du temps.

DEHAPIOT:

Vous voyez très vite cette personne dans la matinée de vendredi. C'est donc que vous la connaissez déjà?

LOTHION:

C'est quelqu'un que je connais professionnellement

DEHAPIOT:

Vous la recevez dans votre bureau, place Beauvau?

LOTHION:

Non, mais dans le secteur.

DEHAPIOT:

C'est un policier? Un membre d'un service de renseignement? Un responsable de l'administration pénitentiaire? »

LOTHION:

C'est une source, je ne vais pas vous dire si son nom commence par A, B ou C. C'est une personne civile.

DEHAPIOT:

Un informateur?

LOTHION:

Je ne souhaite pas répondre.

DEHAPIOT:

Cette lettre, vous l'avez portée vous-même à la cour?

LOTHION:

Non, j'ai pris contact avec la cour entre midi et deux et j'ai envoyé un collaborateur.

DEHAPIOT:

Cette lettre est rédigée en corse, vous ne pouvez donc pas vérifier son contenu?

LOTHION:

En effet, j'ai transmis le document en l'état. Mon interlocuteur m'a dit que c'est quelque chose d'important.

DEHAPIOT:

M. Lothion, dans quelle galère vous êtes-vous fourré? Nous soutenons que cette lettre est un élément complètement irrecevable, on conteste son authenticité et la façon un peu clandestine avec laquelle vous l'avez produit.

LOTHION:

J'ai quelques années derrière moi et je n'ai jamais fait de manipulation. Si c'est un faux, j'en assumerai les responsabilités.

En quelques minutes, le directeur central de la police judiciaire, qui s'est pourtant empressé de faire suivre ce courrier la semaine dernière, n'écarte donc plus la possibilité d'un faux, à son insu. Premier point pour la défense. 

***

Le rire

Me Eric Dupond-Moretti, l'avocat lillois et star nationale du barreau, prend le relais. Façon bonhomme et comique:

M. Lothion, votre interlocuteur vous a appelé sur votre ligne directe?

LOTHION:

Non, par le standard, vers 9h. Je suis allé le voir à proximité.

DUPONT-MORETTI:

Ça se passe comment? Vous vous voyez sous un pont avec un imperméable au col relevé et un chapeau?

LOTHION:

A proximité.

DUPONT-MORETTI:

Cette photocopie, il l'a sort de sa poche?

LOTHION:

Sûrement.

DUPONT-MORETTI:

Si je comprends bien, vous lui posez des questions et il vous répond je ne peux pas vous le dire?

LOTHION:

Oui, c'est ça.

DUPONT-MORETTI:

Eh ben... c'est énorme! Au fait, vous le tutoyez?

LOTHION:

Moi oui, mais lui non.

DUPONT-MORETTI (goguenard):

Alors, Albert, dis-moi, comment t'as eu cette photocopie?

Rires dans la salle

LOTHION (ironique):

Comment savez-vous qu'il s'appelle Albert?

DUPONT-MORETTI:

Cette photocopie, elle a été faite où, comment et par qui?

LOTHION:

Je ne dois pas être un bon flic mais je n'ai pas demandé.

DUPONT-MORETTI:

Allez, vous faites pas passer pour un benêt! ».

Témoin raillé. Deuxième point pour la défense.

 ***

La colère

Vient alors Me Antoine Sollacaro, avocat historique d'Yvan Colonna. Eruptif, emporté, l'ancien bâtonnier d'Ajaccio avait traité la cour de «junte birmane» lors du procès de 2009. Relativement calme depuis le début des débats il y a un mois, il retrouve sans se forcer ses accents tonitruants. Façon garde-à-vue brutale :

M. Lothion, vous êtes un grand flic et vous jouez le rôle du petit télégraphiste? Vous connaissez la musique, vous croyez qu'on va se contenter d'une photocopie produite sous X? Ça, c'est une création qui émane de votre ministère! Pour moi, c'est une invention! Cette manœuvre-là, en Corse, on l'a trop souvent subie! Vous vous comportez comme une barbouze! Nous demandons à la cour d'écarter ce document parce que c'est un faux et vous, vous êtes le messager du faux! Donnez-nous le nom de cet informateur! On ne peut pas en rester là! Vous entendez!».

LOTHION (fatigué):

Je ne suis pas sourd...

Résultat des courses, une fois la séance de défoulement terminée: la cour n'en sait guère plus concernant la véracité de cette fameuse lettre, sauf qu'il s'agit bien de l'écriture d'Yvan Colonna. Mais quand a-t-elle été écrite? Quand a-t-elle été saisie? Où ? Comment? Est-elle complète? A-t-on enlevé ou ajouté des passages? Est-ce un montage ou pas? «Sur une photocopie, tout est possible», concède lui-même Christian Lothion. La défense réclame son retrait, sous peine de déposer une demande de supplément d'information, voire de déposer une plainte pour faux et usage de faux.

L'audience suspendue, les avocats qui lundi fuyaient les médias, viennent se mêler aux journalistes pour commenter leur bon coup. On réalise alors qu'un seul des acteurs de ce théâtre judiciaire ne s'est pas exprimé sur ce courrier mystère: Yvan Colonna. Façon muet.

Bastien Bonnefous

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