France

Procès Colonna: la lettre et des questions

Si Yvan Colonna est bien l'auteur de cette lettre, elle peut changer la face du troisième procès du berger corse.

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Définitivement, le temps judiciaire n'est pas le temps médiatique. Lundi, alors que la salle des assises de Paris ne bruissait que de la lettre qu'aurait envoyé en décembre 2010 Yvan Colonna à son ami Pierre Alessandri, révélée dans la soirée du 27 mai 2011, la cour spéciale, elle, a consacré la quasi-totalité de l'audience à suivre le cours normal des débats, entendant des témoins qu'aucun n'écoutait plus que d'une oreille distraite.

Vendredi soir, le coup de théâtre – un de plus dans cette affaire rocambolesque vieille de treize ans – est intervenu en toute fin d'audience. Les bancs du public, de la presse et même de la défense, sont amplement clairsemés. Le président Hervé Stéphan évoque alors une lettre qui lui a été transmise dans l'après-midi par le directeur central de la police judiciaire, Christian Lothion.

Cette lettre, affirme Lothion dans sa transmission, lui a été remise «en fin de matinée» par «une personne» dont «pour des raisons évidentes de sécurité», il ne «révèlera pas l'identité». Le patron de la PJ prend la peine de préciser qu'il n'est «pas en mesure d'évaluer l'authenticité de ce courrier». La machine à rumeurs et interprétations est néanmoins lancée.

Cette lettre manuscrite, de quatre pages écrites en langue corse et non signées, n'a toujours pas été à cette heure authentifiée. 

Lundi, la cour a missionné le président de la chambre de l'instruction de Bastia, Martin Emmanuelli, pour la traduire. Traduction qui est parvenue en fin de journée à Paris. C'est cette version qui doit être analysée mardi après-midi. Christian Lothion, lui, sera entendu dans le même temps à la demande de la défense.

Une lettre et des questions

Les interrogations demeurent nombreuses. Qui a écrit ce courrier? Yvan Colonna ou quelqu'un d'autre? Qui l'a envoyé? Quand? Comment? Pierre Alessandri l'a-t-il effectivement reçu? Comment a-t-il été saisi et par quel canal est-il remonté jusqu'à la direction de la police judiciaire puis à la cour d'assises?

Lundi, Me Eric Barbolosi, l'avocat de Pierre Alessandri, a déclaré que son client, incarcéré à la centrale de Lannemezan (Hautes-Pyrénées), n'a «jamais eu de lettre d'Yvan Colonna entre les mains». Le membre du commando, condamné en 2003 à la réclusion à perpétuité pour l'assassinat du préfet Erignac, précise également «n'avoir jamais eu de lettre saisie dans sa cellule». «C'est une manipulation qui vise à déstabiliser», conclut le pénaliste.

Dans un premier temps, plusieurs avocats d'Yvan Colonna ont pourtant eux-mêmes authentifié ce courrier. Tout le week-end, les avocats corses de l'accusé ont réagi à chaud pour tenter de justifier la lettre désespérée d'un innocent. Samedi, Me Antoine Sollacaro a reconnu depuis Ajaccio que ce courrier était «une erreur» de la part de son client, car les parties civiles et le parquet ne manqueront pas, selon lui, de «parler de pressions et de menaces». Elle n'est pourtant, d'après le conseil, que le «cri de désespoir» d'un homme pour qui ce troisième procès «est la dernière chance de faire reconnaître son innocence».

Lundi, changement de stratégie de la défense, quitte à se décrédibiliser. Le même Antoine Sollacaro explique désormais que la cour «produit une photocopie susceptible de toutes les manipulations». «Cette lettre n'a pas suivi le cheminement habituel» du courrier carcéral, ajoute-t-il, laissant ainsi libre cours à «toute forme de manœuvre». Il note enfin que «cette lettre intervient peu de temps après le témoignage de Pierre Alessandri qui a en quelque sorte dédouané Yvan Colonna». Vérité d'un jour...

Jeudi 26 mais 2011, le membre du commando était venu en effet expliquer à la cour avoir tenté de recruter Yvan Colonna pour faire partie du groupe des Anonymes, mais celui-ci aurait refusé, nourrissant ainsi une «rancune, voire une haine» de la part de certains conjurés arrêtés et condamnés.

«25 ans d'amitié sincère» trahie

Que dit cette lettre à l'en-tête «Fresnes, le 19 décembre 2010 »? Sur un ton dur, menaçant selon certains, son rédacteur reproche à son destinataire de ne pas l'avoir suffisamment bien défendu et innocenté lors des deux précédents procès en 2007 et 2009. Il le met en cause personnellement, estimant qu'il a «trahi 25 ans d'amitié sincère», ainsi que «l'autre merde d'Alain», à savoir Alain Ferrandi, autre membre du commando:

«Après le 27 mars (2009-NDLR) et ma condamnation, je n'ai rien entendu, je n'ai rien lu. Je m'attendais à ce tu fasses une lettre, à ce que tu "hurles", d'une manière ou d'une autre que j'étais innocent! Mais rien, rien de rien...»

Alors, l'auteur se fait «le plus clair possible»:

«Soit tu fais tout pour me libérer, soit tu continues ainsi (…) alors, je te le dis, sur le mode solennel, ce sera la guerre! La guerre au procès, il faudra assumer ce que tu as été une balance. (…) Et la guerre au dehors, il y en aurait eu pour tout le monde, il faut que tu le saches. Tout le monde! Je suis clair! Prends cela comme tu veux. Menaces? A moi ça me va!»

Si cette lettre est bien de la main d'Yvan Colonna, nul doute qu'elle sera du plus mauvais effet pour les intérêts de l'ancien berger de Cargèse. Dans le cas contraire ou si l'on reste dans le flou, ses avocats pourront toujours agiter la thèse d'une manipulation policière tendant à charger leur client, alors que contrairement aux deux précédents procès, la semaine de dépositions à la barre des membres du commando et de leurs épouses n'a pas été cette fois fatale à l'accusé.

Interrogé par le président, Yvan Colonna, qui n'est pas apparu plus tendu que d'habitude, a refusé de réagir à ce courrier, préférant selon ses conseils «attendre qu'on ait tiré au clair son cheminement».

Place désormais aux explications du patron de la PJ, attendu mardi, et à l'analyse de texte des différentes parties. Difficile également d'imaginer que Pierre Alessandri ne soit pas de nouveau convoqué par la cour pour livrer sa version des faits. Censé durer jusqu'à la mi-juin, le procès a d'ores et déjà gagné plusieurs jours de rab. De quoi permettre encore de nouveaux rebondissements.

Bastien Bonnefous

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