France

Procès Colonna: l'ami Alessandri

Pierre Alessandri, qui s'est accusé de l'assassinat du préfet Erignac, a livré une version inédite: Yvan Colonna aurait dû faire partie du commando mais n'y a pas participé. C'est son refus qui aurait nourri la «rancune» des conjurés.

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Pierre Alessandri est véritablement un ami d'Yvan Colonna. La meilleure preuve en est que, comme tous les vrais amis et contrairement aux autres membres condamnés du commando venus déposer depuis mardi, il est le seul à se permettre de lui dire en face ses vérités.

Jeudi, pendant plus de cinq heures, l'homme âgé de 53 ans, condamné depuis 2003 à la réclusion criminelle à perpétuité pour l'assassinat du préfet Erignac, a parlé, expliquant longuement les coulisses de ce crime et livrant pour la première fois en treize ans une version détaillée des dits et des non-dits de cette affaire. Cinq heures durant lesquelles il a alternativement revêtu, face à son ami Yvan, la robe de l'avocat de la défense et celle du procureur.

Debout à la barre, le corps musclé mais le visage vieilli de ceux qui sont en prison où les années comptent double, Pierre Alessandri ne vient pas en terra incognita devant la cour d'assises spéciale de Paris.

Mardi, Yvan Colonna a fait seul un premier pas en confiant que son ami Pierre avait tenté de le «recruter» pour faire partie du groupe des Anonymes. Il avait refusé, a-t-il expliqué sans donner guère plus détails, précisant simplement que l'approche avait eu lieu «après» l'attaque de la gendarmerie de Pietrosella, soit après septembre 1997.

«J'ai noté des événements nouveaux, une approche nouvelle», déclare d'emblée Pierre Alessandri. L'ancien producteur d'huiles essentielles, voisin de Colonna à Cargèse, relève surtout «un élément fondamental, Yvan Colonna a décidé de s'exprimer». Il semble s'en réjouir, mais ajoute aussitôt en guise d'avertissement pour la suite, «j'espère qu'il le fera complètement».

Alessandri, lui, a déjà fait beaucoup pour son ami Yvan. Certes, comme d'autres conjurés, il l'a accusé en garde à vue d'être l'assassin du préfet Erignac.

«Yvan Colonna avait en charge d'assassiner le préfet», avait-il dit à la police antiterroriste en mai 1999, avouant que lui-même était censé «assurer la protection» du tireur. Mais, à partir de l'automne 2000, il le dédouane, expliquant aux magistrats instructeurs que le berger alors en cavale «n'était pas sur les lieux» du crime.

Quatre ans plus tard, en septembre 2004, une fois définitivement condamné pour sa part, Alessandri va encore plus loin et endosse personnellement le geste meurtrier. «Je suis l'auteur des coups de feu qui ont tué le préfet», écrit-il aux juges, expliquant qu'«Yvan Colonna a été mis en cause à tort au cours des gardes à vue».

«Monter au charbon»

En 2009, lors du deuxième procès de Colonna, annulé depuis par la Cour de cassation, Alessandri a été une fois de plus le seul à «entrouvrir une porte» pour son ami. Si le commando avait accablé à tort le berger et mis de très longs mois à l'innocenter, c'est parce que Colonna le nationaliste n'était pas «monté au charbon» avec les autres. La porte s'était aussitôt refermée, personne et surtout pas l'accusé ne semblant souhaiter s'y engouffrer.

Deux ans plus tard, Pierre Alessandri a remis le charbon au feu. Mais en étant cette fois bien plus direct. S'il a accusé son ami en garde à vue en 1999, c'est d'abord pour répondre à un «scénario» policier qui lui permettait de «dégager» son épouse, elle aussi mise en examen, explique-t-il à la cour. C'est ensuite parce que lui-même, au pied du mur, n'a pas réussi à «assumer» son geste et a «utilisé (Colonna) comme un échappatoire ponctuel».

C'est enfin et surtout parce que Pierre avait été «déçu» par son ami Yvan. «Yvan Colonna partageait le même constat que moi sur la situation en Corse, il était un militant politique, il avait un discours radical, une étiquette. C'est quelqu'un qui aurait dû naturellement accepter», explique Alessandri. Accepter quoi ? De «faire partie du groupe» des Anonymes et d'aller au charbon avec les autres membres du commando.

«Il était au courant»

Interrogé par le président, le témoin précise qu'Yvan Colonna a «participé à certaines discussions» du groupe. «Il était au courant, il savait qu'on devait aller sur des actions très dures, c'est peut-être pour ça qu'il a reculé», déclare-t-il.

Contrairement à l'accusé, il date ces échanges «avant» l'attaque de la gendarmerie de Pietrosella. A l'écouter, Colonna le radical, le nationaliste pur et dur, qui estimait comme les autres que «tous les voyants étaient au rouge» sur l'île, s'est dégonflé.

L'idéologue exalté qui encourageait les troupes par la parole s'est révélé un activiste lâche. Pire, son absence a peut-être même contribué à l'arrestation du groupe. «Le fait de ne pas avoir participé nous a obligé à nous tourner vers d'autres hommes. Je suis persuadé que les fuites viennent de ces derniers», explique Alessandri.

Colonna n'y était donc pas, mais aurait dû y être. Car, comme les policiers, le témoin estime qu'il en avait le profil. La démonstration est inédite, la thèse alléchante, mais elle ne suffit pas à la cour. Alors, le meurtrier autoproclamé du préfet accepte, à la surprise générale, de décrire l'assassinat «pour qu'Yvan Colonna sorte et retrouve les siens».

Un «troisième homme» sans nom

Un plan d'Ajaccio à la main, les lunettes de Me Eric Dupond-Moretti, avocat de Colonna, sur le nez, Pierre Alessandri raconte qu'il était situé rue du Colonel-Colonna-d'Ornana en présence d'un «autre homme». Alain Ferrandi, lui, se tenait plus bas à l'intersection de la rue avec le cours Napoléon. «Je suis redescendu avec l'autre personne pour rejoindre Alain Ferrandi et c'est là que j'ai croisé le préfet», explique-t-il. «Qui est cette autre personne?», demande le président Stephan. «Vous comprendrez que je ne vous le dirai pas», répond Alessandri. Rien n'interdit donc que ce soit Yvan Colonna, sauf sa parole. Dommage.

Yvan Colonna, justement, a écouté, pâle et tendu, son ami pendant de longues heures. Lorsqu'il prend la parole, une seule chose pourtant parmi ces uppercuts en série semble l'obséder: la rumeur mystère à son encontre, selon laquelle il aurait été une «balance».

«Je n'y crois pas», le rassure Alessandri.

«Tu me le jures?», lui répond Colonna. «Alain (Ferrandi) est venu ici dire aussi qu'il n'y croyait pas mais moi je suis persuadé qu'il le croit encore», ajoute-t-il, comme un homme préoccupé davantage par sa réputation que par son innocence.

«Tu connais la personnalité de Ferrandi», tente de l'apaiser son ami qui avait rappelé quelques minutes auparavant le caractère «obsessionnel» de «cette hypothèse» pour «certains membres» du commando.

Quant à sa participation indirecte et informelle au groupe des Anonymes, Colonna n'en dira rien. Refusant de s'expliquer «complètement» comme l'y invitait pourtant Alessandri. «Ma radicalité, tu l'as mal interprétée», lui dit-il seulement, estimant qu'ils n'ont pas eu l'un et l'autre «la même lecture de la démarche que tu as faite auprès de moi». «J'ai compris que tu voulais y aller, mais il n'y avait rien de formalisé», se souvient-il.

Pierre avait tendu à son ami Yvan la perche de la simple association de malfaiteurs, passible de 15 à 20 ans de détention. Un miracle pour Colonna, condamné à perpétuité en première instance. Mais l'accusé ne semble pas en vouloir, s'arcboutant sur la thèse de l'innocence totale et l'acquittement au bout.

«Il y a dû y avoir un malentendu...», répond alors simplement Pierre Alessandri, avant de quitter la salle d'audience. Comme une manière de dire à son ami: à toi maintenant de te débrouiller seul.

Bastien Bonnefous  

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