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Il terremoto (tremblement de terre), un choc, une brèche à confirmer?... Les titres de la presse italienne sont à la mesure de «lo schiaffo» (la gifle), enregistré par Berlusconi et ses alliés dans certaines villes du Nord du pays, leur camp de base, lors du premier tour des municipales, le 15 et 16 mai. La Ligue du Nord perd plus de 3 points à Turin, 5 dans la province de Trévise, et 6 dans la province de Pavie. Le PDL perd encore plus: 12 points à Ravenne, 10 à Rimini, 15 à Trieste, 10 à Bologne....
Mais le résultat le plus frappant est sans doute à Milan, ville symbole à plus d’un titre. «Fief politique» de Silvio Berlusconi, comme le rappelle Philippe Foro, auteur de L'Italie de Mussolini et Berlusconi: «Berlusconi
est né à Milan, il est l’élu de Milan depuis 1994, et la droite domine
dans la capitale économique depuis une vingtaine d’années.» Le président du Conseil avait fait du scrutin milanais un référendum sur sa personne, en appelant les citoyens à le désigner dans le cadre du vote préférentiel.
Les municipales sont également un symbole important pour le Cavaliere, puisque ce sont elles qui avaient motivé
son entrée en politique, en 1993, après la victoire de la gauche.
Silvio Berlusconi refusait alors la victoire annoncée des «communistes»
aux législatives à venir et, l’année suivante, il était pour la première
fois élu président du Conseil. Dix-sept
ans plus tard, la droite est en ballottage défavorable, une première.
Certes, Giuliano Pisapia, le candidat de la gauche, va devoir attendre
les résultats du deuxième tour, les 29 et le 30 mai, avant de crier
victoire face à sa rivale du Peuple de la Liberté, Letizia Moratti, mais
il n’en reste pas moins que ces élections sont une douche froide pour
Silvio Berlusconi. Contrairement à ses habitudes, ce grand communiquant s’est d’ailleurs enfermé dans un éloquent silence
les jours suivants ces résultats. Il a de quoi être sonné: son fief lui
a préféré un ancien communiste. Signe annonciateur de la fin de son
ère?
«C’est un signe évident de la débâcle du personnage de Silvio Berlusconi,
observe Vincenzo Susca, maître de conférences en sociologie de
l’imaginaire à l’Université Paul-Valéry (Montpellier III) et auteur de A l’Ombre de Berlusconi. Il y a quelque chose de l’ordre du consommé, de l’obsolète, de la vedette embuée.» Mais
si médias et commentateurs s’accordent sur l’importance de ces
résultats, cela ne les empêche pas de rester très prudents sur l’analyse
de l’échec milanais. Car il ne sonne pas pour autant la fin de Silvio
Berlusconi.
Le président du Conseil a de fortes chances de rester en place jusqu’aux prochaines élections en 2013, «sauf
si le deuxième tour se solde par un échec et la Ligue se révolte. Mais
honnêtement, je ne vois pas quel serait l’intérêt de la Ligue du Nord.
Je crois que Berlusconi a encore deux ans devant lui», précise Marc Lazar, professeur des universités à Sciences Po, qui déclare:
«Tout n’est pas en train de changer en Italie. Le
gouvernement reste en place, la Ligue affirme ne pas vouloir de nouveau
gouvernement, le centre gauche est loin d’avoir résolu tous ses
problèmes et a essuyé un revers à Naples.»
Une ritournelle tentante
Si
la prudence est de mise, c’est peut-être aussi que la fin de l’ère
Berlusconi est une ritournelle pour l’instant jamais vérifiée. «Je suis prudent parce que depuis la première édition de mon livre, en février 2010, j’attends toujours la fin du berlusconisme! explique Antonio Gibelli, professeur d’histoire contemporaine à l’Università di Genova et auteur de Berlusconi
ou la démocratie autoritaire. Trop de fois j’ai pensé que nous étions
proches de sa fin et j’ai dû constater qu’il a des capacités de rebond
considérables.»
«En 1996 Romano Prodi est élu, et on pense qu’il va marginaliser Silvio Berlusconi, rappelle l’historien Philippe Foro. Or
en 1998 Prodi est renversé par sa propre majorité. Même scénario en
2008. On a souvent évoqué la fin de Berlusconi en sous-estimant la
capacité de la gauche italienne à se suicider.»
Voire en tombant dans une vision manichéenne d’une personnalité plus complexe que ce qu’on a tendance à croire. «Je
me demande aussi si, comme Berlusconi est impopulaire dans les médias
étrangers, on ne prend pas leurs rêves de fin pour des réalités», continue Philippe Foro. Si
l’image du président du Conseil est dégradée, surtout hors des
frontières italiennes, les aspects sociaux du berlusconisme qui ont fait
sa force, sont passés sous silence, rappelle Foro:
«Pendant longtemps la société italienne s’est structurée autour de quatre grandes bases: la famille, les syndicats, les partis politiques, l’Eglise. Dans les années 1980 et 1990, ces grandes institutions entrent en crise: le monde politique s’effondre à la suite de l’opération judiciaire Mani Pulite, les syndicats perdent leur prise sur la société, et la réussite individuelle devient une valeur toujours plus importante. Berlusconi a su combler ces vides, il représente cette nouvelle Italie qui s’est développée dans les années 1990.»
A Milan, la défaite de la droite n’est pas à mettre sur le seul compte de l’implication de Berlusconi. Au contraire, c’est le manque de leadership de Letizia Moratti et sa contestation par une partie des troupes léguistes qui expliquent pourquoi Berlusconi a engagé sa propre personne dans ce vote et volé au secours de la droite locale. Mais, mais, mais… l’érosion semble réelle. «L’âge du capitaine, les révélations sur sa vie privée, la concentration de son activité pour se bâtir des lois personnelles... sans parler de sa stratégie de communication et de son hégémonie culturelle qui commencent à se défaire.» Autant de signes évidents d’une usure pour Marc Lazar.
La fin du berlusconisme
Silvio Berlusconi, qui s’approche des 75 ans, vieillit. Physiquement, mais aussi et surtout symboliquement. «Son
style, qui pendant un certain moment semblait rencontrer le goût des
Italiens, n’est plus que manifestation de vulgarité, il s’est banalisé, explique Antonio Gibelli en évoquant le cas éclatant des blagues berlusconiennes. Au début elles rompaient avec un langage vieux, des vieilles conventions. Aujourd’hui il se répète, c’est un disque cassé. Le mythe berlusconien a accompli sa parabole et est aujourd’hui en déclin.»
Les multiples scandales sexuels auront largement contribué à ternir son image. Et à ronger son électorat. «Un
électorat qui certes voyait en Berlusconi le symbole d’une réussite
économique mais qui n’en reste pas moins un électorat de bourgeoisie
moyenne attaché aux valeurs morales», précise Philippe Foro.
Enfin,
la réussite économique elle aussi est remise en question. Milan est en
ce sens d’autant plus symbolique: capitale économique du pays, elle est
mécontente de la détérioration de la situation économique.
«Un certain nombre de groupes de pression ont protesté, notamment la Confindustria qui a condamné l’immobilisme du gouvernement Berlusconi, et cela a un effet à Milan», précise Marc Lazar.
Si
Berlusconi pouvait combler un vide, il semble aujourd’hui rester en
place plus par manque d’alternative que par la proposition d’un
programme et d’un style convaincants. En ce sens, le taux d’abstention
lors des municipales est révélateur: la sanction de son gouvernement est
due bien plus aux abstentionnistes qu’à un transfert de voix du centre
droit vers le centre-gauche.
Si
Berlusconi a des chances de rester encore deux années à la tête du
gouvernement, le berlusconisme semble lui courir à son terme.
«Tout ce qu’il a construit comme ensemble de valeurs contradictoires cristallisées autour de sa personne fonctionne moins, estime Marc Lazar.
Actuellement le parti qui l’emporte de ce point de vue là est la Ligue,
focalisée autour des questions d’immigration, d’ordre, de critique de
l’Europe. Dans le combat pour l’hégémonie culturelle, c’est la Ligue qui
l’emporte aujourd’hui. La grande responsabilité du Parti démocrate,
c’est de ne pas proposer une alternative.»
Et après?
Voilà pourquoi il est si difficile d’imaginer ce que sera l’Italie post-Berlusconi.
«Quand
la scène politique a été autant monopolisée par un seul personnage, sa
sortie de scène ne peut pas être un événement normal mais tend à avoir
des conséquences traumatiques, à changer complètement la scène
politique», constate l’historien Antonio Gibelli.
On peut, certes, évoquer différents scénarios: un retour du centre-gauche avec Pier Luigi Bersani; une reconstitution d’un vrai centre autour de Gianfranco Fini ou Pier Ferdinando Casini; un nouveau succès du PDL encore dirigé par Berlusconi, ou alors par quelqu’un comme Giulio Tremonti, l’actuel ministre de l’Economie et des Finances...
Mais aucun n’est vraiment convaincant: la gauche semble encore trop faible, et Bersani trop peu charismatique; le terzo polo
a subi un échec cuisant au cours des municipales; quant à une
éventuelle succession de Silvio Berlusconi, on a du mal à imaginer un
berlusconisme sans Berlusconi, surtout avec quelqu’un qui, comme
Tremonti, est aux antipodes du spectacle berlusconien.
Margherita Nasi