Culture

Avec «La Conquête», Sarkozy rate son entrée dans le G4 du cinéma

Comme Blair, Berlusconi et Bush avant lui, le chef de l'Etat a droit à son film, signé Xavier Durringer et présenté à Cannes. Dommage seulement qu'il ne soit pas au niveau de ses devanciers...

Temps de lecture: 5 minutes

Si Josh Brolin avait présenté un film à Cannes cette année, il y aurait eu une jolie photo à faire: l’acteur américain, Nanni Moretti (en compétition avec Habemus Papam), Michael Sheen (hors-compétition avec Minuit à Paris de Woody Allen) et Denis Podalydès. Ou plutôt George W. Bush, Silvio Berlusconi, Tony Blair et Nicolas Sarkozy.

Les quatre hommes n’ont jamais été au sommet du pouvoir simultanément mais pourraient aujourd’hui tenir un G4 des dirigeants qui ont fait l’objet d’un film de «fiction» pendant leur mandat: The Deal de Stephen Frears (2003) pour Blair, Le Caïman de Nanni Moretti (2006) pour Berlusconi, W. d’Oliver Stone (2008) pour Bush Jr. et La Conquête de Xavier Durringer, présenté hors-compétition à Cannes le 18 mai et en salles le même jour, pour Sarkozy [1]. Et si, en bons chefs d’Etat, il jaugeaient mutuellement leurs forces pendant ce G4 du grand écran, comment s’en sortirait le Français? Pas très bien.

Le 6 mai, il gagne tout et perd tout

Dans son idée générale, La Conquête, qui narre l’ascension du chef de l’Etat de sa nomination place Beauvau en 2002 à son élection le 6 mai 2007, ressemble assez à The Deal, qui racontait les onze ans qui ont fait de Tony Blair le leader du parti travailliste, de sa première élection aux Communes en 1983 jusqu’au pacte du Granita de 1994. Son ressort scénaristique politico-intime, en revanche, le rapproche plus de W.: de la même façon que Deubeuliou gagnait davantage parce qu’il battait Papa (sa réélection) que parce qu’il battait Kerry, Nicolas gagne tout (la présidence) le jour même où il perd tout (Cécilia, alias sa «conseillère en tout», justement).

Hélas, sur la forme, le long-métrage de Durringer n’a pas gardé de son devancier une de ses modestes qualités, sa réalisation un peu clinquante, à l’estomac, typique de Stone (on se bâfre beaucoup dans les deux films: de foie gras, de hamburgers, de chocolats, de cigares…). Hormis un ou deux beaux plans —notamment le premier, Sarkozy en robe de chambre dans son fauteuil dans la pénombre de son domicile de Neuilly, chaînette en or au cou, comme dans un polar UMP— La Conquête aplanit et égalise toutes les scènes comme un bulldozer. Et se vautre dans la plaie traditionnelle du biopic, qui plombait déjà certaines scènes de W., notamment celles autour de Condoleeza Rice et Colin Powell: l’imitation mimétique des personnages.

La fiction moins romanesque que la réalité

Rien n’y manque, pas un gramme de gomina, pas une mèche de cheveux, pas une bouteille de Corona. Denis Podalydès se sort plutôt pas si mal de cette guignolisation des personnages, car il a tout le temps, la quasi-totalité des scènes, d’imposer le sien, et il parvient à l’inscrire fugitivement dans la lignée de son passé d’acteur (le père de famille colérique aux rêves de grandeur de Liberté-Oléron, par exemple). Derrière lui, les acteurs qui jouent sa garde rapprochée (Franck Louvrier, Laurent Solly, Pierre Charon ou Claude Guéant, incarné par un étonnant Hippolyte Girardot), moins médiatisée que le reste du casting, passent plutôt bien la rampe. Les autres figures connues, elles, coulent à pic, pas parce qu’elles sont jouées par de mauvais acteurs, mais parce qu’elles sont seulement pastichées, postichées, du couple Chirac à Villepin en passant par Cécilia.

Villepin

Sans oublier un Jean-Louis Gergorin et un général Rondot d’opérette, dans une scène censée expliquer le démarrage de l’affaire Clearstream. L’an dernier, l’ancien agent secret avait été campé de manière convaincante par André Marcon dans le Carlos d’Olivier Assayas; cette année, son apparition à l’écran paraît bien plus fade que celle qu’il a faite in real life au palais de Justice de Paris le 15 mai, lors du procès Clearstream en appel.

Quand la réalité devient storytelling, romanesque ou série hollywoodienne (un ange new-yorkais passe dans la salle quand Sarkozy lâche: «Moi, j’suis un tombeur. Les hommes politiques sont des vraies bêtes sexuelles»), la fiction qui s’en inspire ou lui succède paraît bien fade. Et ne semble décoller pour vraiment distraire que quand elle devient fiction au carré, voire au cube: préparant l’allocution du 14 juillet, Villepin et Debré imitent PPDA et Chabot face à un Chirac qui s'autoparodie, scène dupliquée à la fin quand, ébauchant le débat d’entre-deux-tours face à Sarkozy, Charon imite Ségolène Royal…  le personnage étant joué par Dominique Besnehard, lui-même ancien soutien de la candidate.

Dans ces rares bonnes scènes, on voit comment se crée, au mot près, une petite phrase, avant qu'elle ne tourne en boucle dans les médias: un «Je décide, il obéit» devient «Je décide, il applique» puis «Je décide, il exécute» car cela rappelle «Je décide, je l'exécute». Le spectateur qui a lu attentivement la presse ou les ouvrages consacrés à Sarkozy depuis 2002 ne sera pas surpris, elles sont toutes là: le «Vous n’êtes pas là pour jouer aux assistantes sociales» asséné dans un poste de police, les blagues sur Chirac et le sumo, le «Et pas seulement en me rasant», le «croc de boucher» ou encore le «Un type qui ne peut pas garder sa femme ne peut pas garder la France». Comme des coutures trop voyantes faisant tenir un scénario où tout est joué dès la première scène et pas grand-chose ne bougera.

Pas un révélateur, mais une photocopie

«Avec cette foutue transparence, on ne peut même plus nier la réalité», lâche Sarkozy dans une scène, à propos de ses ennuis conjugaux. Cela pourrait être la devise du film: refilmant ce qui avait déjà été largement transparent, La Conquête ne dévoile aucune réalité nouvelle. N’est pas un révélateur, mais une photocopie, une duplication. Ses devanciers, eux, avaient certes l’avantage d’être plus exotique à nos yeux de Français —peut-être que les spectateurs étrangers goûteront plus cette farce sous lambris qu’est le film de Durringer— mais creusaient aussi davantage leur «héros»: Frears montrait dans le fringant Blair le modeste jeune député s’alliant à plus brillant que lui, Gordon Brown, Stone faisait de George W. Bush un cow-boy madré plus qu’un idiot congénital, et Moretti dévoilait la violence froide derrière les paillettes du berlusconisme.

En 1998, le cinéaste italien annonçait dans Aprile vouloir «filmer la campagne électorale de la gauche et de la droite» dans une célèbre séquence où il lançait à Massimo D’Alema, en débat face à Berlusconi: «Réponds d’Alema! Dis quelque chose de gauche!». Il lui faudra huit ans pour filmer Berlusconi dans Le Caïman, multipliant les figures du Cavaliere jusqu’au vertige pour finir par l’incarner lui-même dans une scène sidérante, une confession cynique proférée à l’arrière d’une voiture. Autoportrait en Premier ministre d’un cinéaste qui avait travaillé son sujet et avait été travaillé par son sujet.

De la même façon que d’autres sujets politiques —le fascisme, le terrorisme…— ont travaillé ces dernières années des cinéastes italiens, nettement plus à l’aise sur ce terrain que les Français (Buongiorno Notte et Vincere de Marco Bellochio, Il Divo de Paolo Sorrentino…). La Conquête, lui, est moins un travail (ou alors, un travail de maquillage, de costume) qu’un pari vite résumable: «le-premier-film-français-consacré-à-un-président-en-exercice». Derrière l’argument de vente, pas grand-chose, comme un reflet de cette scène où Sarkozy dévale le podium le soir de sa victoire, salle Gaveau, et où on ne voit que du noir devant lui. Avec La Conquête, le cinéma français s’est choisi un nouveau terrain d’élection, mais pour quel programme?

Jean-Marie Pottier

[1] Le Caïman avait été projeté à Cannes en mai 2006 quelques jours après l’éviction de Berlusconi, mais était sorti sous son mandat. Tony Blair, lui, a été joué par Michael Sheen dans deux autres film, The Queen en 2006 (mais il n’y avait pas le premier rôle) et The Special Relationship en 2010 (mais il avait déjà quitté le pouvoir).

La Conquête, de Xavier Durringer. Avec Denis Podalydès (Nicolas Sarkozy), Florence Pernel (Cécilia Sarkozy), Bernard Le Coq (Jacques Chirac), Hippolyte Girardot (Claude Guéant), Samuel Labarthe (Dominique de Villepin), Grégory Fitoussi (Laurent Solly), Dominique Besnehard (Pierre Charon), Saïda Jawad (Rachida Dati), Pierre Cassignard (Frédéric Lefebvre), Michèle Moretti (Bernadette Chirac), Mathias Mlekuz (Franck Louvrier), Michel Bompoil (Henri Guaino)... Scénario: Patrick Rotman. Production: Eric et Nicolas Altmeyer, Gaumont/Mandarin Films. Durée: 1h45. En salles depuis le 18 mai.

Article actualisé le 21 mai 2011: contrairement à ce que nous avions écrit dans un premier temps, Sarkozy, Bush, Blair et Berlusconi n'ont jamais été chefs d'Etat ou de gouvernement tous les quatre en même temps.

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