France

Affaire DSK: deux écuries privées de leur candidat

Après avoir préparé l'atterrissage de leur champion pour 2012, ses communicants et ses lieutenants du PS vont devoir en trouver un autre, sous peine de devoir se mettre en retrait.

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Ils préparaient depuis des mois le probable atterrissage de Dominique Strauss-Kahn en France pour la campagne présidentielle. S’apprêtaient, après 2006, à mener une seconde campagne des primaires pour leur champion, en espérant plus de réussite que la première fois, quand Ségolène Royal avait dénoncé les «peu recommandables cerbères» de DSK, coupables de l’avoir fait siffler au Zénith lors d’un meeting, ou mettait sur la touche Jean-Christophe Cambadélis, qui l’avait traitée d’«Eva Peron à la française». Aujourd'hui, les deux principaux réseaux strauss-kahniens, celui de ses communicants au sein de l’agence Euro RSCG et de ses lieutenants au sein du PS, risquent d’être privés de «leur» candidat, accusé de viol depuis le 16 mai à New York.

Depuis l’interpellation du directeur général du FMI, les premiers sont officiellement muets, même s’ils ont laissé filtrer dans la presse quelques réactions anonymes, faisant dire par exemple aux Echos par leur «entourage» qu’ils ne se situaient plus dans «une problématique de communication mais dans celle d'une affaire juridique, se traitant avec les avocats américains».

Les seconds, eux, ont immédiatement occupé les ondes pour défendre la présomption d’innocence du directeur général du FMI, appelant à la «prudence», à la «retenue» et à la «décence» (Pierre Moscovici) ou à «l’amitié» et à la «défense» du prévenu (Jean-Christophe Cambadélis). Deux stratégies médiatiques pour un même désarroi, celui d'un camp privé de son champion.

«Lucky Luke et Clausewitz»

Du côté des communicants, ces dernières semaines avaient déjà été compliquées, avec une médiatisation mal venue après «l’affaire de la Porsche». Coïncidence, quelques heures à peine avant l’éclatement du scandale, Le Monde consacrait ainsi une pleine page d’enquête aux «encombrants» stratèges de DSK, à ces «quatre mousquetaires» dont les noms sont dernièrement devenus connus d’un public plus large.

A leur tête, on trouve Stéphane Fouks, coprésident d’Euro RSCG Worldwide, qui a commencé sa carrière politique en participant à la création en 1980 du syndicat étudiant Unef-ID (aux côtés, entre autres, de Jean-Christophe Cambadélis, mais aussi de Manuel Valls et du criminologue Alain Bauer…) puis en intégrant le cabinet de Michel Rocard. Décrit par son compère Jacques Séguéla comme un «Lucky Luke et Clausewitz du marketing politique» n’ayant personne de «plus futé ni plus affûté dans ce monde pourtant acéré de la pub», il géra notamment la communication du PS lors des législatives 1997, qui amenèrent Lionel Jospin à Matignon et DSK à Bercy, le sommet de sa carrière française.

Critiques au sein du PS

Derrière lui, Ramzy Khiroun, «l’homme à la Porsche», entré dans l’entourage de Strauss-Kahn au moment de l’affaire de la Mnef, en 1999, et devenu depuis porte-parole du groupe d’aéronautique et de médias Lagardère (Europe 1, le Journal du dimanche), pour lequel il s’efforça notamment de déminer l’affaire des délits d’initiés présumés chez EADS, toujours à l’instruction; Anne Hommel, attachée de presse de DSK et ancienne attachée parlementaire de Jean-Christophe Cambadélis; et enfin l’essayiste Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès et auteur d’essais socio-économiques plutôt médiatisés: Le Monde d'après, coécrit avec Matthieu Pigasse, banquier conseil chez Lazard, propriétaire des Inrockuptibles et actionnaire du Monde, en 2009, et La Dictature de l’urgence, paru en janvier.

Ces quatre conseillers avaient notamment géré, en 2008, l’affaire Piroska Nagy, dans laquelle DSK fut blanchi par le FMI d’accusations d’abus de pouvoir. Récemment, leur omniprésence invisible dans la campagne de DSK irritait au PS, notamment après l’affaire de la Porsche, poussant Martine Aubry à affirmer au Monde «Si Dominique est candidat, il sera le candidat des socialistes, pas celui d’Euro RSCG» ou son lieutenant François Lamy dire préférer «les petites agences moins chères et plus créatives».

Privé de la communication du PS depuis 1997 et jugé responsable de celle, défaillante et trop éloignée du terrain, du candidat Jospin en 2002 (de l’annonce de sa candidature par fax au slogan «Présider autrement»), Euro RSCG pourrait devoir se situer en retrait de la campagne de 2012, comme cela avait déjà été le cas en 2007.

Ingénieur de la «gauche plurielle»

Du côté du PS, c’est non plus un quatuor mais un trio qui occupait le terrain, même si DSK avait le soutien de dizaines de députés: Pierre Moscovici, Jean-Marie Cambadélis et Jean-Marie Le Guen. Le premier, ancien militant de la LCR, avait été «recruté» au PS en 1984 par DSK, son professeur à l’ENA, avec qui il disait en 2006 entretenir des rapports «fraternels». Le second et le troisième furent eux des figures centrales du syndicalisme étudiant des années 80, participant à sa réunification au sein de l’Unef-ID.

Cela vaudra à Cambadélis, venu du «lambertisme» (le courant trotskiste auquel appartenait aussi Lionel Jospin) comme à Le Guen, venu du MJS, une mise en examen à la fin des années 90 dans l’affaire de la Mnef. Le premier écopera de six mois de prison avec sursis pour emploi fictif alors que le second bénéficiera d’un non-lieu pour la même incrimination.

Membre du courant jospiniste, les quatre hommes effectuèrent une de leurs premières sorties médiatiques communes en publiant une tribune à huit mains dans Le Monde sous le titre «La Nouvelle gauche», le 1er octobre 1992: leur chef de file était alors ministre de Pierre Bérégovoy, à qui il s’opposait sur la politique de rigueur du «franc fort». Dix jours après le «oui» au traité de Maastricht, ils y faisaient part de la «sourde inquiétude» de la gauche victime d’une «perte de confiance», et réclamaient une «alliance démocratique», notamment avec les écologistes. Une préfiguration de la «gauche plurielle» de 1997, dont on attribue une partie de la paternité à Cambadélis.

Aubry plutôt qu'Hollande

Après la débâcle de 1993, les trois hommes tentèrent, en vain, de propulser DSK à la tête du PS face à Henri Emmanuelli, puis menèrent la campagne présidentielle 1995 face à Jacques Chirac: «On a fait la campagne à cinq ou six: Jospin, Martine, moi, Moscovici, Cambadélis», expliquait DSK au Monde, trois jours avant le second tour. En 1997, seul Moscovici devint ministre avec DSK, mais les quatre hommes continuèrent leur bout de chemin ensemble après la défaite de 2002, entre le club de réflexion A gauche en Europe, le courant Socialisme et démocratie et l’animation de la campagne des primaires de 2006.

Le départ à Washington de DSK les a cependant poussé à s’égailler, phénomène qui pourrait de nouveau se reproduire dans les prochaines semaines. Au congrès de Reims, Pierre Moscovici, qui avait évoqué l’idée de se présenter à la tête du parti et n’a pas exclu d’être candidat aux primaires, a signé la motion de Bertrand Delanoë, qui vient lui-même d’évoquer une possible candidature. Jean-Christophe Cambadélis a lui soutenu Martine Aubry, dont il est depuis le secrétaire national à l’Europe et à  l'international et dont il vantait encore l’action avant les événements de New York.

Plusieurs strauss-kahniens avaient été moins tendre avec François Hollande, jugeant déloyal le fait d'avoir commencé sa campagne si tôt: en 2007, ils lui avaient déjà reproché sa stratégie pendant les primaires, Cambadélis l'accusant dans son livre L'Inventaire d'une présidentielle d’avoir «simplement vu dans l'ascension de Ségolène Royal un moyen de contenir ses concurrents, au moins médiatiquement» et de s’en être inquiété «trop tard».

Jean-Marie Pottier

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