Monde

Les délires de Chomsky

Les dernières déclarations de l'idole de la gauche paranoïaque sur Oussama ben Laden sont encore plus stupides et ignares que les précédentes.

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Quiconque s'est rendu au Moyen Orient ces dix dernières années a fait cette expérience: rencontrer une personne vociférante et agressive qui commence par nier qu'Oussama ben Laden soit responsable de la destruction du World Trade Center, pour considérer ensuite l'attaque comme une vengeance légitime de décennies d'impérialisme américain. Cette dissonance cognitive – pour parler poliment – ne s'exprime pas toujours de manière aussi précise. Parfois, la même personne qui loue le courage des martyrs d’Al-Qaïda va aussi croire que les juifs ont planifié l'«opération».

A ma connaissance, seul un «truther» britannique de premier plan, David Shayler, ancien agent de renseignement s'étant aussi déclaré de descendance divine, a nié totalement la réalité des événements du 11 septembre 2001. (C'est apparemment par un hologramme que l'illusion collective a été créée à la télévision.)

Néanmoins, dans un article récent pour le magazine Guernica, le Professeur Noam Chomsky a choisi de laisser ouverte cette question centrale. Nous n'avons pas plus de raison de nous fier à un Ben Laden revendiquant sa responsabilité, écrit-il, qu'à un Chomsky affirmant avoir remporté le marathon de Boston.

Je ne peux pas dire immédiatement s'il s'agit d'un progrès par rapport à ce que Chomsky écrivait à l'époque. Voici dix ans, faisant apparemment sien le consensus pour qui le 11-Septembre était effectivement l’œuvre d’al-Qaida, il affirmait qu'il n'y avait pas là d'atrocité plus grave que les missiles de croisière tirés par le Président Clinton contre le Soudan en représailles des attaques à la bombe aux centres de Nairobi et de Dar es Salam. (Je ne suis pas allé vérifier s'il admettait au départ que ces attentats contre des ambassades étaient aussi l’œuvre d'Al-Qaïda.)

Pas de preuve de l'implication de Ben Laden selon Chomski

Aujourd'hui, il fait toujours aussi énergiquement valoir l'équivalence, soutenant que le raid contre Abbotabad au Pakistan, justifierait l'hypothèse de «commandos irakiens atterrissant dans la résidence de George W. Bush, l'assassinant et jetant son corps dans l'Atlantique.» (Certes, le mot d'équivalence est peut-être un peu faible ici, vu qu'il assure qu'«incontestablement, les crimes [de Bush] excèdent largement ceux de Ben Laden.») Le principal et nouvel élément est donc celui d'un intriguant mystère. Les Twin Towers sont tombées, mais personne n'a encore deviné qui en portait la responsabilité.

Depuis «avril 2002, [lorsque] le directeur du FBI, Robert Mueller, a dit à la presse qu'après l'enquête la plus poussée de son histoire, le FBI ne pouvait pas faire mieux que de 'croire' que l'attentat avait été fomenté en Afghanistan», aucune preuve supplémentaire n'est venue en renfort. «Rien de sérieux», comme l'écrit Chomsky, n'a été révélé depuis.

Chomsky jouit toujours d'une certaine réputation, à la fois comme universitaire et intellectuel. Et face à un bombardement de propagande officielle, il se targue d'une formule qui signe son austère obstination à «citer des faits». Est-on donc à même de penser qu'il s'est plongé dans les conclusions définitives de la Commission du 11-Septembre? Qu'il a regardé ces vidéos où l'on voit les kamikazes du 11-Septembre en compagnie de Ben Laden et d'Ayman al-Zawahiri? Qu'il a lu les minutes du procès de Zacarias Moussaoui, surnommé le «vingtième pirate de l'air»? Qu'il a suivi les investigations journalistiques de Lawrence WrightPeter Bergen, ou John Burns, pour ne citer que les plus remarquables? Qu'il est familier des procédures d'enquêtes associées et auxiliaires sur l'attentat contre l'USS Cole et sur la première tentative visant à faire exploser les Twin Towers dans les années 1990?

Complicité de Ben Laden avec l'administration américaine

Avec la «gauche» paranoïaque et antimilitariste, on ne sait jamais où tombera la prochaine emphase. Au festival de cinéma de Telluride, en 2002, je me suis retrouvé à débattre avec Michael Moore qui, plus d'un an après les attaques, affirmait que Ben Laden était «innocent tant qu'il n'avait pas été déclaré coupable» (et qu'il n'y avait aucune preuve de sa culpabilité). Sauf qu'il l'avait été, du moins pour Moore qui écrivait, au lendemain des attentats: «NOUS avons créé ce monstre nommé Oussama ben Laden! A quelle école de terrorisme a-t-il fait ses classes? A celle de la CIA!»  

Innocent donc, sauf à être coupable par association avec Langley, en Virginie, qui semble en effet avoir mis sous surveillance certaines écoles de pilotage nationales avant 2001, mais qui semble aussi avoir été un peu trop longue à la détente pour comprendre ce qui s'y passait. Pendant assez longtemps, en fait, tout le «récit» des anti-Bush impliquait une certaine collusion avec la maléfique et criminelle famille Ben Laden, peut-être en fonction d'intérêts pétroliers communs.

Ben Laden était donc coupable, en réalité, d'avoir pu fomenter un nouveau Pearl Harbor sur le sol américain à la grâce d'une administration Républicaine apathique et des signaux d'une menace grandissante qu'elle avait constamment ignorés. Gore Vidal a su déclamer des répliques aussi évocatrices et lugubres, en faisant allusion à une trahison de la république de haute volée.

Puis vinrent ceux qui ne pouvaient se contenter de telles insinuations, et qui accusèrent directement le gouvernement d'avoir tiré un missile contre son propre Pentagone, tout en organisant une «démolition contrôlée» du World Trade Center. Un scénario grandiose qui semblait quand même avoir quelques avions en trop, vu que ceux qui heurtèrent les tours n'étaient qu'une fioriture comparés au sabotage préalable et inexorable de l'édifice, et que ceux de Virginie et de Pennsylvanie, avec passagers, équipage et kamikazes, ont tout bonnement disparu.

Les Etats-Unis «mériteraient-ils» une attaque?

Ce n'est pas une critique de Chomsky que de voir son analyse comme incompatible avec celles d'autres individus et factions pour qui, globalement, le 11-Septembre est un canular. En revanche, il est impressionnant de le voir s'exprimer comme si toute la masse de preuves contre Ben Laden n'avait jamais été établie, ou comme si elle n'avait jamais été présentée devant un tribunal. Ce type de négation du 11-Septembre peine à dissimuler un principe, certes tacite, mais qui n'en est pas moins évident: que les États-Unis méritent largement une attaque contre ses citoyens et sa société civile.

Après tout, comme le souligne Chomsky de manière si révélatrice, notre habitude de «donner à nos armes le nom des victimes de nos crimes: Apache, Tomahawk … [c'est] comme si la Luftwaffe avait appelé ses avions de combat 'Juif' et 'Tsigane'». Ce n'est peut-être pas vrai pour le Tomahawk, qui est aussi le nom d'une arme, mais la pertinence de l'argument ne dépareille pas avec ceux que l'on retrouve par ailleurs chez lui.

En bref, personne ne sait qui a organisé les attaques du 11 septembre 2001, ou n'importe quel autre attentat associé, à part les idiots crédules qui ont avalé les déclarations (non-vérifiées) d'Oussama ben Laden prétendant que son organisation était la seule responsable. Une tentative de kidnapper ou de tuer l'ancien président des États-Unis (et probablement, par extension, l'actuel) serait aussi légitime que le raid sur Abbottabad. Et l'Amérique est l'incarnation du Troisième Reich qui ne cache même pas ses méthodes et ses aspirations génocidaires. Telle est la somme des enseignements, ces dix dernières années, du gourou de la gauche américaine.

Christopher Hitchens

Traduit par Peggy Sastre

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