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Entre le Cambodge et Thaïlande, une discorde en ruines

Un dangereux abcès de fixation sur la frontière entre la Thaïlande et le Cambodge.

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Aucune solution ne semble se dessiner dans le conflit frontalier entre la Thaïlande et le Cambodge. Des tirs sporadiques d’artillerie lourde ont déjà fait près d’une trentaine de victimes et provoqué le déplacement temporaire de dizaines de milliers de ruraux. Une rencontre, le 8 mai à Jakarta, entre les deux chefs de gouvernement n’a rien donné. Le risque n’est pas celui d’une guerre entre des voisins qui n’en ont ni l’envie ni les moyens. Il reste, toutefois, que l’abcès de fixation ne fait que se renforcer localement.  

Il y a quelques années, les touristes visitaient à partir du territoire thaïlandais les ruines de Preah Vihear, un fameux temple situé juste de l’autre côté de la frontière sur la chaîne des Dangrek.

Preah  CC 2.0 Flickr By lokryan

Un escalier monumental y permet l’accès direct au temple alors que, du côté cambodgien, les ruines surplombent un ravin de plusieurs centaines de mètres.

CC 2.0 Flickr by jeffmcneill

A cent cinquante kilomètres à l’ouest de Preah Vihear, sur la même ligne de crête que suit la frontière, se trouvent d’autres ruines khmères, celles de Ta Krabei et de Ta Moan en cambodgien, de Ta Kwai et de Ta Muew en thaïlandais, des temples qui datent également des XI°et XII° siècles. Faute d’une délimitation précise de la frontière, des patrouilles conjointes en assuraient la protection voilà encore une semaine. La cohabitation entre les populations de la chaîne des Dangrek, souvent d’origine khmère, ne posait pas de problème.

En 1962, sollicitée par Bangkok et Phnom Penh, la Cour internationale de justice avait attribué au Cambodge Preah Vihear. En dépit de sa surprise et de sa déception, la Thaïlande avait renoncé à émettre des objections. Beaucoup plus récemment, en 2008, les deux gouvernements s’étaient entendus sur la candidature de Préah Vihear au Patrimoine mondial de l’Unesco.

En pleine crise politique en Thaïlande, cette décision a provoqué un tollé : le gouvernement a été accusé par les nationalistes de n’avoir pas consulté au préalable le Parlement et le ministre des affaires étrangères a été contraint à la démission. Au Cambodge, en pleine période électorale, Hun Sen – premier ministre depuis 1985 – ne s’est pas alors privé d’exploiter une bouffée de nationalisme.

Préah Vihear, dont la candidature a été, du coup, présentée par le seul Cambodge, a été inscrit au Patrimoine de l’humanité. Toutefois, le contentieux ne porte pas sur le temple lui-même mais sur une zone de 4,6 Km2, qui le jouxte et que se disputent les deux pays. La frontière commune, qui s’étale sur près de 800 km, compte ainsi une quinzaine de secteurs qui sont l’objet de sérieux litiges.

Responsabilités partagées

Première constatation : les deux capitales portent la lourde responsabilité de ne pas avoir entrepris, ces dernières décennies, la délimitation de leur frontière commune en profitant des phases d’accalmie dans leurs relations bilatérales (il y en a eu quelques-unes).

La deuxième est que le conflit, qui s’étale et se durcit avec l’envoi de renforts militaires de chaque côté de la frontière, tombe à un mauvais moment: le gouvernement thaïlandais doit organiser, fin juin ou début juillet, des élections anticipées dont les résultats s’annoncent pour le moins indécis. La campagne électorale bat déjà son plein. Les partisans, alliés ou suppôts de Thaksin Shinawatra – Premier ministre limogé par l’armée en 2006 et aujourd’hui exilé – peuvent encore fait un bon score. Cette seule hypothèse exaspère les militaires qui revendiquent la double responsabilité de la défense du territoire et de la protection de la monarchie.

L’opposition de l’armée thaïlandaise à l’internationalisation du conflit – réclamée par le Cambodge – limite d’autant la marge de manœuvre du Premier ministre Abhisit Vejjajiva. Début février, saisi par Phnom Penh, le Conseil de sécurité de l’ONU a évoqué la question et pris la décision logique de demander à l’Asean (Association des nations de l’Asie du Sud-Est), présidée actuellement par l’Indonésie, de tenter de trouver une solution.

Lors d’une réunion, à Jakarta le 22 février, les chefs des diplomaties de l’Asean, y compris le Thaïlandais et le Cambodgien, se sont entendus sur l’envoi sur place d’observateurs indonésiens. Mais l’application de cette décision n’a pas eu lieu, l’armée thaïlandaise s’opposant à la présence des observateurs indonésiens dans les zones contestées. La rencontre, le 9 mai dans la capitale indonésienne, entre Abhisit et Hun Sen et en présence du chef de l’Etat indonésien, semble s’être également traduite par un échec.

Faute d’observateurs indépendants, il est impossible de savoir ce qui se passe réellement sur le terrain, chaque camp accusant l’adversaire d’avoir bombardé le premier. Mais le fond du problème paraît lié, d’un côté comme de l’autre de la frontière, à une absence de volonté politique.

Dénoncer la Thaïlande est populaire au Cambodge et permet de reléguer au second plan d’autres problèmes. De l’autre côté de la frontière, le gouvernement aborde non seulement une rude épreuve électorale mais il doit aussi ménager des militaires très influents et une minorité ultranationaliste.

Du coup, la flexibilité tant vantée de la diplomatie thaïlandaise s’évapore et, comme l’a déclaré l’universitaire thaïlandais Surachart Bamrungsuk au Bangkok Post, «si nous demeurons inflexibles, le problème va s’accroître.» L’abcès risque donc de s’étendre. Quant à l’Asean, déjà aux prises avec le problème birman, elle n’a pas de quoi se réjouir: son ambition de devenir une Union dans les prochaines années en prend un coup supplémentaire.    

Jean-Claude Pomonti

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