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Diagnostiquer Alzheimer. Oui, mais quand?

En matière de détection d'une maladie incurable, le plus tôt n'est pas forcément le mieux.

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Fin avril aux Etats-Unis, de nouvelles directives concernant le diagnostic de la maladie d’Alzheimer ont défini un stade «préclinique» de la maladie. Il semble, en effet, que les pathologies symptomatiques —notamment les plaques qui envahissent le cerveau— puissent être détectées des années, voire des décennies, avant même que le patient ne commence à oublier de nourrir son chat ou ne devienne incapable de se rappeler son nom de famille.

La nouvelle a relancé un débat qui a déjà fait rage ces derniers mois: aucune guérison n’étant possible, certains estiment qu’un diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer ne servirait qu’à combler médecins sadiques, patients masochistes et certains intérêts commerciaux. Leur crainte est que l’industrie pharmaceutique n’en profite pour vendre de la poudre de perlimpinpin à une clientèle aussi importante que désespérée, sans parler des sociétés d’assurances et des employeurs, qui pourraient utiliser cette information à l’encontre des patients.

D’autres, cependant, avancent que le diagnostic précoce a aussi ses intérêts. Il pourrait, par exemple, vous inciter à faire enfin ce voyage en Antarctique que vous avez si longtemps remis à plus tard ou encore à vous rendre plus assidu à la salle de gym (bien que peu concluantes, certaines recherches ont montré que l’exercice physique ralentirait la détérioration du cerveau).

Histoire de compliquer un peu plus les choses, il faut savoir que les «biomarqueurs» apparaissant lors d’un diagnostic précoce n’entraînent pas nécessairement de symptômes. Pour des raisons encore peu claires, certains cerveaux semblent très bien fonctionner malgré les plaques, alors que d’autres succombent plus facilement.

Très souvent, les patients meurent de causes tout autres, avant que les plaques ne fassent véritablement de dégâts. Compte-tenu des nombreuses lacunes de nos connaissances à l’heure actuelle, les directives insistent pour que les tests ne soient plus utilisés que pour la recherche médicale (l’idée est qu’en étudiant les premières manifestations de la maladie, on puisse en comprendre la genèse et finir par trouver des traitements évitant l’apparition des symptômes).

Cela n’empêche toutefois pas certains de craindre que les biomarqueurs ne servent bientôt à tester des patients «normaux». Quelles implications y a-t-il à diagnostiquer une maladie incurable à des personnes apparemment en bonne santé?

Médecins, patients et spécialistes de la bioéthique s’écharpent sur cette question depuis des années. De tous temps, les maladies se sont annoncées par des symptômes désagréables et évidents. Vous saviez que vous n’alliez pas bien parce que vous vomissiez en gerbe, que vous aviez un mal de crâne insupportable ou que vos plaies étaient purulentes.

Dans une certaine mesure, nous nous fions encore à ces signes de maladie, mais c’est de plus en plus par les résultats des laboratoires que nous apprenons si nous sommes malades ou enclins à l’être. Et si se voir diagnostiquer une maladie peut être un soulagement lorsque l’on souffre d’un mal mystérieux, cela ressemble plus à une condamnation lorsque l’on se sent en parfaite santé.

Prenez l’exemple des gênes BRCA 1 et 2, découverts au milieu des années 1990. Certaines mutations de ces gênes accroissent considérablement le risque de cancer du sein et des ovaires. Masha Gessen, qui fut testée positive, a rendu compte de son expérience avec recul et humour pour Slate, ainsi que dans son livre Blood Matters. Dans ce cas, les patients peuvent au moins faire quelque chose, bien que les options proposées soient rarement réjouissantes : Gessen a, par exemple, choisi une double mastectomie à titre préventif.

A titre de comparaison, la chorée de Huntington, affection neurologique dégénérative provoquant mouvements incontrôlés et démence (aboutissant souvent à des suicides), ressemble plus à la maladie d’Alzheimer. Si l’un de vos parents a le malheur de souffrir de cette pathologie incurable, le risque que vous l’ayez à votre tour est de 50%. Les symptômes n’apparaissent généralement pas avant 40-50 ans, mais les tests génétiques de dépistage présymptomatique sont disponibles depuis des années.

La découverte du marqueur génétique de la maladie de Huntington en 1983 a soulevé d’importantes questions éthiques sur le dépistage, dont la plupart ressemblent à celles qui se posent à nous aujourd’hui. Les tests n’étant pas infaillibles, les mauvais diagnostics représentaient une vraie menace. On craignait également que les personnes testées positives ne soient incitées à ne pas faire d’enfants. Et que dire de l’impact psychologique du diagnostic? La première règle en médecine étant de «ne pas nuire», on peut légitimement estimer que l’annonce d’une nouvelle aussi perturbante soit contraire à ce précepte.

Avant que le test ne devienne largement disponible, le personnel médical collaborait avec les patients et les membres de la famille afin de poser certaines conditions à son utilisation. Plusieurs associations de défense des patients avaient mis en place des règles établissant le droit du patient à refuser le test et visant à préserver une certaine confidentialité.

Les personnes à risque rencontraient un conseiller en génétique, un psychologue et un généticien pour obtenir avis et conseils. Cette préparation pouvait durer jusqu’à 2 ans. Les patients étaient encouragés à imaginer leurs réactions face à différentes situations et, finalement, à assimiler les résultats (aux États-Unis, les personnes subissant le dépistage des gênes BRCA consultent aussi fréquemment un conseiller en génétique).

Au fil des années, les chercheurs ont examiné les répercussions des tests et en ont identifié aussi bien les avantages que les inconvénients. Comme l’on pouvait s’y attendre, les résultats positifs entraînent dépression, anxiété, isolement, craintes pour leurs perspectives d’emploi et regrets d’avoir appris qu’un avenir difficile les attendait. Mais il y a aussi des bons côtés: la fin d’une incertitude impossible à supporter, un lien renforcé avec les parents également testés positifs et la faculté à se concentrer sur les choses importantes de la vie. Ceux qui apprennent qu’ils n’ont pas la mutation se sentent, bien entendu, terriblement soulagés.

Pourtant, malgré ces analogies, la maladie d’Alzheimer est différente de la chorée de Huntington par plusieurs aspects fondamentaux. La chorée de Huntington est une maladie rare, qui ne touche que 30.000 Américains environ. La maladie d’Alzheimer en concerne à l’heure actuelle 5,4 millions et ce chiffre devrait atteindre 13,5 millions d’ici 2050. En raison de ces chiffres, le coût engendré par les tests précliniques et le conseil individualisé pour toute personne à risque serait astronomique. En outre, les malades jouissent souvent d’une vie longue et normale avant de plonger dans l’enfer de la maladie. L’enjeu d’un diagnostic précoce n’est tout simplement pas aussi élevé que pour la maladie de Huntington.

A l’heure actuelle, compte-tenu de la relation incertaine existant entre biomarqueurs et démence, un diagnostic précoce semblerait assez peu utile. Comme le rappellent les nouvelles directives, le plus grand facteur de risque pour la maladie d’Alzheimer est un âge avancé —et vous n’avez pas besoin d’IRM cérébral ou de ponction lombaire pour savoir que vous êtes vieux. De même, à un certain point, même si vous avez évité Alzheimer, rien ne dit que vous échapperez à une autre forme de démence. Au final, nous sommes tous «biomarqués» pour la mort et le déclin.

Rebecca Tuhus-Dubrow

Traduit par Yann Champion

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