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Palestine: un État à l'automne?

L’Autorité palestinienne a rarement atteint ce sommet de légitimité internationale. Pour les institutions mondiales, elle remplit désormais tous les critères d’un État viable. Un État promis par Mahmoud Abbas et Salem Fayyad pour septembre.

Un drapeau palestinien, sur le mur de la frontière contestée dans le village de Nilin, en Cisjordanie, près de Ramallah, en décembre 2009. REUTERS/Yannis Behrakis
Un drapeau palestinien, sur le mur de la frontière contestée dans le village de Nilin, en Cisjordanie, près de Ramallah, en décembre 2009. REUTERS/Yannis Behrakis

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Mahmoud Abbas a démarré une tournée, le 20 avril, qui a commencé par Paris. Objectif: obtenir la reconnaissance officielle de l’ONU à l’automne 2011. Le 21 avril, les photographes ont pu saisir la franche poignée de main entre Nicolas Sarkozy et Mahmoud Abbas. Selon l'Élysée, le président de la République a fait part à son homologue palestinien de son «soutien très clair aux efforts visant à la création d'un État palestinien». Mais quels sont les scénarios possibles?

Le «certificat de naissance» émane de l’ONU, du Fond monétaire international, ou encore de la Banque mondiale. A l’unanimité, les rapports officiels louent le travail de longue haleine du Premier ministre palestinien, Salam Fayyad, quelques jours avant la conférence des pays donateurs à Bruxelles, le 13 avril.

Pour les Nations unies, les indicateurs sont au vert dans six secteurs-clés: le niveau de vie, l'éducation et la culture, la santé, la protection sociale, l'eau et les infrastructures, la justice et les droits de l'homme.

Sur le terrain de la matière grise, les Palestiniens présentent le taux de scolarisation le plus élevé du Moyen-Orient à l’école primaire et secondaire et arrivent en troisième place, après les Libanais et les Jordaniens, dans l’enseignement supérieur. Mais la jeunesse palestinienne détient également un autre record régional, celui du taux de chômage le plus élevé, 35,3%, chez les 15-24 ans.

Transparence fiscale, boom du crédit, premier fonds d’investissement

De son côté, le FMI souligne le travail d’une économie désormais «souveraine», résultat d’une profonde réforme des institutions financières et d’une croissance de 9,3% en 2010.

Entre 2009 et 2010, les revenus issus des taxes et impôts collectés ont fait un bond de 50%. En parallèle, l’Autorité monétaire palestinienne (PMA) a renforcé en Cisjordanie la transparence des opérations fiscales, instauré des mécanismes rigoureux pour repérer les chèques sans provision, ou encore combattre le blanchiment d’argent.

Les banques palestiniennes en Cisjordanie accordent désormais des prêts à hauteur de 45% de leurs dépôts (contre 28%, en 2008). Résultat: une hausse de 30% des crédits accordés aux ménages et l’apparition de berlines flambant neuves, payées à crédit, dans les rues de Ramallah.

«Je suis très heureux de vous annoncer que dans de nombreux domaines de gouvernance, nous sommes déjà à ce stade (d’un État palestinien)», se félicitait le Premier ministre, Salam Fayyad, le 5 avril dernier, lors du lancement à Ramallah du premier fonds d’investissement palestinien, Sadara, pour financer les startups technologiques.

L’État avant l’État

Alors que les négociations avec Israël sont au point mort depuis septembre 2010 et la fin du moratoire sur les colonies, le gouvernement Fayyad tente d’insuffler une vague d’optimisme dans l’opinion palestinienne, avec l’idée que l’année 2011 sera l’année 0 d’un véritable État Palestinien souverain. Avec septembre comme date butoir d’une reconnaissance officielle des Nations unies.

L’automne 2011 coïncide également avec la fin officielle du programme de Salam Fayyad lancé en août 2009 pour moderniser les institutions palestiniennes (police, banques, services sociaux), dernière marche avant la «naissance» effective de l’État palestinien.

Ainsi, Ramallah multiplie les évènements symboliques «étatiques»: premier match international officiel de l’équipe de football à Ramallah, lancement d’un premier fonds d’investissement palestinien, première «fashion week» début mars à Ramallah…

L’agence de presse palestinienne, Maan, annonce même la création d’une monnaie palestinienne d’ici la fin 2011, le symbole le plus palpable de la souveraineté.

Du côté de l’Autorité monétaire palestinienne, on reste très prudent: le retour au «pound palestinien» de l’ère britannique, n’est pas encore pour demain même si l’idée fait son chemin.

Selon le FMI, l’Autorité monétaire est aujourd’hui capable d’occuper les fonctions de Banque centrale de l’État palestinien. Reste à adopter une loi pour en assurer son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. La date de septembre 2011 circule à nouveau, comme une référence inscrite dans le marbre, «le rendez-vous avec la liberté», se plaît à répéter le Premier ministre Salam Fayyad:

«C’est comme une naissance. Cela ne peut que se produire.»

Que peut-il se passer en septembre à l’ONU?

Trois scénarios se présentent.

Le Conseil de sécurité reconnaît l’État palestinien

Le premier, pour l’Autorité palestinienne, serait de soumettre une résolution au Conseil de sécurité de l’ONU conduisant à une reconnaissance collective de l’État palestinien et son admission en tant qu’État-membre à l’Assemblée générale.

Mais cette perspective a peu de chance d’aboutir face à un probable veto américain comme celui qui a bloqué en février dernier une résolution condamnant les colonies israéliennes.

En 2010, la Chambre des représentants des États-Unis a, par ailleurs, revoté une résolution empêchant toute reconnaissance américaine d'une déclaration d’indépendance unilatérale.

En parallèle, l’Assemblée générale des Nations unies n’a pas le pouvoir d’accueillir un nouveau membre sans une recommandation du Conseil de sécurité.

La procédure d’«Unité pour la paix»

Pour y aboutir, les autorités palestiniennes comptent alors sur une alternative, la procédure d’«Unité pour la paix» mise en place en 1950 (résolution 377).

«En cas de menace sur la paix, d’attentat à l’ordre public ou d’agression et si les membres permanents du Conseil de sécurité ne parviennent pas à s’entendre sur les mesures à prendre, l’Assemblée générale peut se réunir immédiatement et proposer des mesures collectives aux membres de l’ONU afin de maintenir ou de restaurer la paix et la sécurité internationales.»

Cette formule avait été adoptée lors de la crise de Suez en 1956 pour obliger la France et la Grande-Bretagne, détenteurs du droit de véto, à retirer leurs troupes d’Égypte. Elle avait également été évoquée pour empêcher l’intervention américaine en 2003.

Mais peut-elle s’appliquer à la Cisjordanie et à Gaza? Officiellement, les experts palestiniens veulent y croire. L’AP compte sur le soutien des 110 pays qui ont déjà reconnu la Palestine en tant qu’État, une vague de légitimité qui semble s’être accélérée depuis la fin 2010 surtout en Amérique Latine, avec la reconnaissance du Brésil, de l’Argentine, ou encore de l’Uruguay en mars dernier. Mais à l’ONU, on doute que cette procédure puisse aboutir sans déclencher une crise profonde au sein des institutions.

Une nouvelle résolution

Le troisième scénario –et le plus probable– serait une nouvelle résolution de l’Assemblée générale onusienne appelant à la reconnaissance de l’État palestinien dans les frontières de 1967 et avec Jérusalem-Est comme capitale.

Une décision qui pourrait se cumuler avec une reconnaissance collective de l’Union européenne et d’autres organisations intergouvernementales. Mahmoud Abbas compte sur le soutien des trois grands pays du Vieux continent –la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne– qui avaient publié en février dernier une déclaration tripartite pour expliquer leur vote en faveur de la résolution condamnant la colonisation. Mais comment ces éventuelles décisions trouveront-elles une application concrète sur le terrain?

La crédibilité du couple Abbas/Fayyad en jeu

En Cisjordanie, le sentiment est unanime: vingt ans après la conférence de Madrid et le début des discussions d’Oslo, l’opinion palestinienne «a besoin que quelque chose de réel se passe d’ici 2011».

Si ce n’est par la grande porte des négociations avec Israël, ce sera par la fenêtre des institutions internationales.

Depuis l’annonce de son plan de construction d’un État palestinien en août 2009, Salam Fayyad a promis des résultats concrets à la fin 2011. Entre-temps, les «Palestine Papers» révélés par la chaîne qatarie Al-Jazeera en janvier dernier (les négociateurs palestiniens auraient proposé presque la totalité de Jérusalem à Israël) ont encore fragilisé la crédibilité déclinante de l’Autorité palestinienne.

La promesse d’un «septembre 2011» fait figure de dernière carte dans le jeu de l’équipe de Mahmoud Abbas. En cas de nouvelle impasse, certains évoquent même une dernière option, le hara-kiri, soit la dissolution pure et simple de toutes les institutions palestiniennes.

Hélène Jaffiol

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