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Rompre avec l'Irak (2/3): Non, sérieusement; la sécurité s'est améliorée

«La bonne nouvelle, c'est que nous sommes parvenus à passer de 146.000 à 50.000 hommes sans que la sécurité s'en ressente trop. Si vous demandez au soldat moyen, il vous dira que c'est une bonne idée.»

REUTERS/Stephanie McGehee
REUTERS/Stephanie McGehee

Temps de lecture: 14 minutes

 

BASE DE BALAD, IRAK – Deux jours après ma visite de l'incinérateur. J'enfile mon gilet pare-balles et me dirige vers le quartier général du 724e Bataillon. Je dois partir pour Mossoul, dans le nord de l'Irak, avec le lieutenant-colonel David O'Donahue, commandant de bataillon, et son détachement personnel de sécurité.

Les photos du reportage de Whitney Terrel

Ce sont des soldats de la Garde nationale du Wisconsin; ils m'accueillent chaleureusement, avec l'accent chantant propre aux cheeseheads. Je suis tout de même un peu nerveux. En 2006, j'avais voyagé avec un autre lieutenant-colonel, et j'avais sympathisé avec des soldats de son détachement de sécurité. Peu de temps après ma visite, deux de ces hommes avaient été abattus par des tireurs embusqués. A la fin de son déploiement, le bataillon avait perdu 19 soldats; la plupart d'entre eux avaient été victimes d'engins explosifs improvisés (EEI).

Après avoir bavardé quelques minutes –et mâché un bout de tabac–, nous entrons un à un pour assister au briefing. Les soldats font preuve d'une décontraction surprenante. La salle est longue et étroite; nous nous installons sur deux rangées de sièges équipés de tablettes intégrées. Le sergent responsable du briefing porte la moustache; un hommage à la chasse au cerf (la saison vient de s'ouvrir dans son Etat natal).

«Les routes mouillées sont sans doute le risque numéro un, explique-t-il. Elles sont boueuses et glissantes. Ici, le début de la saison des pluies, c'est comme dans le Wisconsin les jours premières  neiges. Les conducteurs n'y sont pas habitués; nous laisserons donc passer le trafic.»

Une diapositive Powerpoint apparaît soudain à l'écran:

«Analyse du trajet:

Ces 14 derniers jours, sur nos trajets, 6 EEI ont visé les forces américaines.»

Surpris, je sors sur le parking boueux, attache mon casque, et monte à bord du véhicule MRAP («mine-resistant, ambush-protected») par le haillon. Notre artilleur, le Specialist Travis Greenwold, effectue sa première mission en Irak. C'est également le cas du Spc Casey Olson, qui est assis juste derrière moi, un boîtier de commande dans la main, le regard rivé sur un moniteur vidéo.

«C'est parti, lance Olson, alors que notre véhicule franchit les portes de la base de Balad. Je veux faire une veuve.

- Ne dis pas ça, répond Greenwold. Je ne veux pas tirer sur qui que ce soit.

- C'est ta femme ou la sienne, Greenwold.

- Ah, et puis merde. Je flingue tout ce qui bouge.»

L'échange est rude, mais j'ai encore le briefing en tête. En 2006, un voyage hors des limites de la base ressemblait à une expédition sur une planète extraterrestre. Les EEI tuaient des soldats et des reporters chaque jour. Un passage supérieur d'autoroute principale, comme la Route Tampa (que nous allons emprunter), pouvait être visé deux fois par jour; une demi-douzaine de fois par semaine. Six EEI? Seulement? Sur plus de 300 kilomètres de route? Une vraie promenade de santé; du moins, c'est ainsi que je vois les choses. Si Olson et Greenwold s'attendaient vraiment à faire feu sur quelqu'un, ils n'en parleraient pas aussi légèrement. 

Et de fait, le voyage s'avère être une vraie promenade de santé. Nous roulons vers le nord pendant six heures, sous une pluie intermittente. Nous passons devant des troupeaux de moutons, de vastes champs boueux, des tonnelles de vignes; devant des marchés ouverts, des stations-service, et des petites maisons en terre laissées à l'abandon. Nous ralentissons pour traverser ce qui m'apparaît alors comme une centaine de postes de contrôle irakiens; les soldats attendent sur le terre-plein central, le dos voûté, ou cuisinent dans de petites enceintes de béton rectangulaires.

C'est la première fois que je parcours autant de kilomètres en Irak. Il n'y a pas d'EEI. Les soldats qui m'accompagnent n'en ont pas vu un seul en huit mois.

Nous passons la nuit dans la Forward Operating Base de Marez (une autre «géante rouge»), dans la périphérie de Mossoul. En ma qualité d'invité du lieutenant-colonel O'Donahue, on me permet de loger dans mon tout premier «wet CHU» [logement préfabriqué]: j'ai donc droit –luxe ultime– à une douche, à des toilettes et à un lavabo dans ma chambre, qui est également équipée d'un lit queen-sized, d'un canapé en cuir, d'un bureau, de la télévision câblée, de la wi-fi et une douzaine de vieux numéros du magazine FHM –tout cela offert par le Corps des ingénieurs de l'armée des Etats-Unis. Le sergent chargé de nous conduire à nos quartiers en voiture lance:

«Sans dec', si je pouvais amener ma famille ici, je le ferais.» 

Une fois les bagages rangés, je vais dîner en compagnie du lieutenant-colonel O'Donahue et de son interprète, Huda Fredrick, dans un mess grand comme une piste de roller. Comme une bonne partie de ses soldats, O'Donahue est originaire de la campagne du Wisconsin. L'homme a un visage de gros dur au cœur tendre, façon Kojak, avec un nez cassé de boxeur et une tache de vin sur le haut de son crâne rasé.

Je lui demande ce qu'il pense du retrait des forces prévu par Obama.

«La bonne nouvelle, c'est que nous sommes parvenu à passer de 146.000 à 50.000 hommes sans que la sécurité s'en ressente trop, explique-t-il. Et si vous demandez au soldat moyen, il vous dira que c'est une bonne idée. Ils voient le bon côté de la chose: moins de déploiements.»

Mais l'armée doit-elle, à son sens, se retirer complètement d'Irak?

«A partir d'un certain moment, il faut prendre la décision d'accélérer les choses. L'armée locale ne voudra jamais nous voir partir. C'est comme lorsqu'on force son fils de 18 ans à quitter le domicile familial. Le monde est formidable; il faut apprendre à y vivre par soi-même.»

O'Donahue se rend dans le nord de l'Irak pour rendre visite à l'une de ses lointaines sections. Le lendemain, nous reprenons donc la route; après trois heures de trajet, nous arrivons dans un combined checkpoint [point de contrôle conjoint], ou «CCP». Des soldats américains et irakiens y vivent ensemble; ils sont chargés de surveiller le trafic sur une autoroute voisine.

Le lieutenant-colonel descend du véhicule pour inspecter les lieux, suivi par le sergent-major Scott Genz et par la capitaine Erin Kennedy, supérieure hiérarchique directe des soldats du camp. Ils sont accueillis par Claude Barron, un lieutenant de 24 ans. Barron est mince, il a les yeux noisettes, et ne doit pas dépasser les 1,70m; il ressemble plus à un danseur de Balanchine qu'à un opérateur de machinerie lourde. Mais voilà quinze jours que les soldats n'ont pas fait de lessive, et plus de quarante qu'ils ne n'ont pas pris de douche chaude, ou mis les pieds dans une base américaine.

Et étant donné la distance séparant le camp de la Joint Base Balad (où elle est basée), cela fait également quarante jour que la capitaine Kennedy n'a pas parlé avec le lieutenant Barron de visu. Ils échangent une poignée de main; ne savent pas trop comment entamer la conversation.

«Alors, Thanksgiving, c'était comment?», demande Kennedy. (La fête en question remonte déjà à dix-neuf jours).

- Ma mère m'a envoyé des sacs de feuilles mortes de mon jardin, répond Barron. Coup de chance: on les a reçu le jour de Thanksgiving. On les a étalé sur les tables, pour la déco. Et on a mangé des MRE.

- Alors, on peut enlever nos gilets? demande le colonel.

- Bien sûr, répond Barron en haussant les épaules. Enfin, si vous voulez.»

Le point de contrôle est un lopin de terre boueux recouvert de graviers, entouré de barrières Hesco –qui ne sont guère plus que des sacs en papier remplis de sable. Vous ne trouverez pas de commandos des forces spéciales en ces lieux, par de drames à la Démineurs; en un mot, pas de grain à moudre pour l'émission Frontline (et son narrateur à la voix triste et grave).

Au point de contrôle, la tâche du lieutenant Barron est des plus terre-à-terre. Il nous emmène dans la partie inférieure du camp, où il a installé un dalot en PVC pour vider une petite mare. Il nous montre deux tours de garde qu'il a réparées, une brèche dans le mur de façade qu'il a colmatée, et la rangée de barrières Hesco d'1,20 mètre de hauteur qu'il a ajoutée aux 2,10 mètres existants, pour que le camp soit mieux protégé contre les éventuels tireurs embusqués.

«Beaucoup de possibilités de tirs directs, fait remarquer O'Donahue en plissant les yeux, le regard posé sur plusieurs maisons neuves  juchées sur la colline, d'où l'on peut voir le camp.

- Je ne comprends pas pourquoi les Irakiens ont décidé de construire le [point de contrôle] ici, répond Barron. Ce qui est clair, c'est que cette décision n'a pas été mûrement réfléchie.»

Et pourtant, voilà quarante jours que le lieutenant Barron et ses hommes partent en mission dans la campagne avoisinante (pour réparer les points de contrôle irakiens comme celui-ci), et ce sans rencontrer le moindre problème. Leurs niveleuses et leurs rouleaux compresseurs ne sont pas blindés, mais ils les conduisent de point de contrôle en point de contrôle sans être attaqués. Ils dorment dans de simples tentes de toile. Ils se restaurent dans un abri de bois non renforcé.

Lorsque le capitaine Kennedy a été déployée en Irak, en 2006, c'était une toute autre histoire: sa section passait l'essentiel de son temps à réaliser des «réparations rapides de cratères». La nuit, ils roulaient jusqu'à un cratère d'EEI et le remplissait aussi vite que possible de béton –puis attendaient que le béton prenne, protégés par quatre camions armés.

Autre aspect de la vie quotidienne au point de contrôle, plus difficile à interpréter: la présence constante de nombreux Irakiens à l'intérieur des murs. La nuit dernière, je suis allé voir –en compagnie d'O'Donahue– un mémorial aux soldats américains et autres membres du personnel tués en 2004 par un homme déguisé en soldat irakien; il avait fait détoner sa veste d'explosifs dans le réfectoire de la base de Marez. Cet acte, entre autres du même genre, avait entraîné une ségrégation complète entre les forces irakiennes et américaines jusqu'au surge [renfort de troupes] de 2007, lorsque les soldats des Etats-Unis furent stationnés aux côtés des Irakiens dans les postes de sécurité conjoints.

Au vu de ces tensions passées, la quasi-routinière présence de l'armée irakienne et de soldats peshmergas kurdes dans l'enceinte du point de contrôle  est donc une très bonne chose –et ce d'autant plus que les Kurdes de cette région ont souvent été en conflit avec l'armée irakienne. (Plus tard, Barron m'expliquera que les peshmergas et les soldats irakiens ne se battent pas, mais qu'il arrive que des disputes éclatent –au sujet de la collecte des ordures, par exemple).

Les belles paroles (plus ou moins sincères) ne manquent pas: «Vos constructions vont offrir une vie meilleure à ces gens», déclare ainsi O'Donahue à la section de Barron, qui se tient debout dans la tente réfectoire, et qui mangent, en silence, leurs spaghettis en boîte. En revanche, lorsque je parle avec les soldats américains, la plupart d'entre eux me disent que l'armée irakienne n'est pas encore à la hauteur de la tâche.

Mais là encore, cette situation n'a rien de commun avec l'ancienne –la peur des Irakiens; le fait d'imaginer que l'un d'entre eux pourrait entrer dans le camp en portant une veste bourrée d'explosifs.

Aujourd'hui, l'essentiel des critiques sont d'ordre pratique. Par exemple, comme me l'explique Barron, l'armée irakienne ne dispose pas d'assez de gravier, faute de fonds, et leurs stocks existants sont «mal répartis» –certains points de contrôle débordent de gravier, tandis que les autres se transforment peu à peu en champs de boue. Au final, sa section passe donc une bonne partie de son temps à trimballer du gravier d'un endroit à un autre.

Nous avons maintenant retrouvé la froide lumière du soleil, et nous observons les hommes de Barron, qui sont en train de niveler un lopin de gravier au fond du camp.

«Vous parlez souvent aux Irakiens?, demande Kennedy; à quelques mètres, sur les marches d'une latrine, un soldat irakien grimace, de la crème à raser étalée du menton jusqu'au front.

- Pas vraiment, admet Barron. Il m'arrivait de manger avec certains d'entre eux au Checkpoint 3, mais mon estomac n'a pas apprécié l'expérience. Je crois que l'eau de cuisson de leur riz était de mauvaise qualité.»

Cette amélioration considérable de la sécurité des troupes américaines en Irak a plusieurs raisons. A la demande des Irakiens, les forces américaines se sont presque entièrement retirées des villes, et se contentent désormais de patrouiller le long des principales autoroutes et des voies d'approvisionnement. De plus, les véhicules américains ne peuvent prendre la route qu'à des heures bien précises. (Notre propre convoi doit par exemple emprunter un itinéraire beaucoup plus long –mais sans doute plus sûr– lorsque les autorités locales nous interdisent de traverser Mossoul pendant la journée). Les forces américaines ont donc moins de risques de subir une attaque; et dans le même temps, nous prouvons aux Irakiens que nous reconnaissons leur autorité.

Par ailleurs, le Humvee –archétype du moyen de transport en temps de guerre– a presque totalement disparu d'Irak. Les convois sont aujourd'hui composés de véhicules MRAP, qui sont mieux armés et plus résistants. Leur hauteur (3 mètres) permet aux passagers de voyager plus haut –et donc plus loin des engins explosifs. Leurs caisses en V dévient les explosions sur les côtés, contrairement au fond des Humvees, qui sont plats (à la manière d'une automobile classique).

En 2006, les MRAP étaient principalement réservés aux soldats du génie, qui avaient pour mission de débusquer les EEI. Ils sont désormais utilisés sur tout le théâtre d'opération, et leurs gadgets ont été grandement améliorés. En rentrant à la base de Marez, les fenêtre de notre MRAP sont presque entièrement couvertes de boue à cause de la pluie; le Spc Olson se saisit du boîtier noir qui repose sur ses genoux pour faire pivoter la «gyrocam» du toit d'un côté du véhicule à l'autre, en observant l'image sur un moniteur vidéo placé en face de son siège. D'autres gadgets détectent et localisent les tirs d'armes à feu, et collectent des données qui pourront être transmises à un officier de guerre électronique pour être analysées.

Et si toutes ces mesures de sécurité échouent, les soldats considèrent, qu'en général, un MRAP peut résister à une explosion d'EEI.

«J'ai un pote qui s'en est mangé un près de Kirkuk, m'explique le chauffeur en utilisant le système de communication radio interne. Les fenêtres étaient fendues, et les deux essieux étaient foutus. Le rétroviseur est parti avec l'explosion. Mais personne n'a été blessé. Le véhicule a fait son boulot.

- J'ai participé à cinquante patrouilles de combat, ajoute Olson. Et je n'ai pas explosé.»

Il est plus difficile de savoir combien de temps cette relative accalmie va durer. Est-elle le résultat de la réduction des effectifs et des efforts significatifs que nous, Américains, produisons pour passer le relai aux Irakiens? Ou les insurgés attendent-ils de voir les forces américaines partir pour lancer de nouvelles attaques? La réponse dépendra largement de la stabilité de l'armée et du gouvernement irakiens.

Le soir même, à la table du dîner, O'Donahue répète qu'il est favorable au retrait des troupes décidé par le président Obama, et parle des progrès effectués par l'armée irakienne. Son bataillon est en charge de deux programmes d'entraînement destinés aux soldats et aux ingénieurs irakiens; le premier leur apprend l'entretien des ponts flottants, le second leur enseigne les techniques de désamorçage des EEI. Il formule néanmoins quelques critiques.

«En substance, voilà ce que nous pensons: on a ces camions, et on va  les entraîner. Mais vous parlez aux dirigeants irakiens, à leur commandant de régiment, et il vous dit qu'il aime son équipement. S'il l'utilise et qu'il tombe en panne, il faudra l'envoyer à l'entretien, et il se peut qu'il ne soit jamais entretenu. En plus, il touche des indemnités de carburant, qui dépendent directement du nombre de véhicules qu'il a en garage. Moins il a de véhicules en état de rouler, moins il touche d'indemnités.»

Il se tourne vers son interprète, Huda Fredrick. Elle est née en Irak, mais elle a passé l'essentiel de sa vie au Koweït et aux Etats-Unis.

«Qu'est ce que vous en dites, Huda? Les Irakiens sont prêts à nous voir partir, selon vous?

- J'ai parlé à un officier irakien; il m'a dit: “Vous nous avez pris par la main, vous nous avez emmenés au milieu de la rivière, et maintenant, vous nous lâchez"», répond-telle.

Après le dîner, je vais faire un tour dehors avec O'Donahue. Ce soir, tout n'est que boue et brume; nous évoluons tant bien que mal sur les lopins de graviers et le long des rues détrempées. Nous passons devant les fenêtres éclairées de ce que l'armée appelle un magasin «national de pays tiers»; autrement dit, il n'est tenu ni par un Américain, ni par un Irakien.

La boutique est vide, à l'exception du propriétaire. Je me saisis d'un t-shirt frappé d'un dessin de statue de la Liberté en train de faire un doigt d'honneur, avec ces mots: «We're coming, motherfuckers!» [On arrive, fils de putes!]; en dessous, «Mosul, Iraq». O'Donahue y jette un simple coup d'œil, et secoue la tête. 

Voilà trois jours qu'O'Donahue et son équipe m'expliquent comment ils veulent aider les Irakiens; trois jours qu'ils me font part de leurs inquiétudes quant à l'insuffisance de l'action américaine; ce t-shirt chauvin et agressif me met donc mal à l'aise. En lui montrant, l'embarras me gagne soudain. 

Plus tard dans la soirée, en feuilletant mon carnet, je tombe sur quelques notes griffonnées après la diffusion d'une émission de Fox News, il y a quelques jours. Bill O'Reilly, le présentateur vedette de la chaîne, venait de rendre visite à des vétérans blessés, quelque part aux Etats-Unis; il expliquait à une présentatrice blonde et sexy (en studio) à quel point il était satisfait de ce voyage.

«Les jeunes hommes et les jeunes femmes que nous avons rencontrés ont traversé des épreuves qui les ont changés à jamais. Nous pouvons aller à leur rencontre, et leur remonter le moral... [J'ai rencontré] un soldat des forces spéciales qui avait perdu deux jambes et un bras. Un autre qui avait complètement  perdu la vue.

- Les militaires adorent Fox News!, s'est exclamée la blonde sexy.

- Ça leur fait chaud au cœur, à ces soldats, de savoir qu'on se sent proche d'eux et qu'on ne les oublie pas, a ajouté O'Reilly.

- J'applaudis l'ensemble de votre démarche!», a assuré la blonde sexy, avant de parler d'autre chose; en l'occurrence, de sa nouvelle polaire de Noël estampillée Bill O'Reilly, qu'elle adorait.

Un bandeau est apparu à l'écran pour annoncer le prochain sujet abordé par l'émission: «M. Obama recherche-t-il désespérément de l'aide?»

Je n'ai rien contre l'aide aux guerriers blessés (ceci dit, le fait de les utiliser pour faire de l'audimat n'est pas pour me plaire). Mais ce passage (et sa philosophie, qui pourrait se résumer à «nous contre eux»), tout comme le «On arrive, fils de putes!» du t-shirt, m'est apparu comme décalé par rapport à notre quotidien; en regardant cette émission, j'avais l'impression d'être en 2006, et non en 2010.

Après ce voyage dans le nord, je pense comprendre pourquoi. Même si je mets de côté les commentaires positifs des soldats sur le retrait des troupes décidé par Obama, il se trouve que la réalité du terrain correspond moins au programme des républicains que l'on pourrait le  penser.

D'ailleurs, dans cet extrait, ce sont les silences d'O'Reilly qui en disent le plus long. Il ne parle pas de l'évolution de l'entraînement des forces irakiennes. Il ne dit pas que le nombre des blessés américains a grandement diminué depuis que l'armée américaine a accepté de quitter les villes et de passer le relai au gouvernement irakien en toute honnêteté. Il ne nous parle certainement pas des soldats qui ont été changés à jamais par leur rapports pacifiques avec des Irakiens. Le fait de payer pour les dalots qu'installe le lieutenant Barron à la demande de l'armée irakienne, et les efforts constants produits par notre armée pour remettre les bases et l'équipement américains aux Irakiens, ne doivent gère l'enchanter. Ces démarches vont dans le sens de l'édification de la nation irakienne; ce sont ni des actes de guerres, ni des mesures antiterroristes. En somme, le type de démarches dont un démocrate pourrait discuter sans problèmes. Situation intéressante: Bill O'Reilly en est aujourd'hui réduit à mettre l'accent sur les conséquences –certes terribles– de la violence et de la guerre.

Le matin suivant, je demande au capitaine Kennedy ce qu'elle pense du retrait des forces américaines.

«J'estime que c'est une bonne décision, mais à mon avis, ça ne va pas être simple de respecter les délais. Nous demandons aux Irakiens de nous aider à prendre en charge [la sécurité]. Mais si on leur en donne pas les moyens, on va les laisser le bec dans l'eau.»

Que pense-t-elle de la couverture médiatique de la réduction des effectifs?

«Lorsque [mes hommes] voient certains trucs dans les médias, ils se disent que les gens pensent qu'on est déjà sortis d'Irak. Ils ne se sentent pas appréciés à leur juste valeur. Notre objectif, c'est d'aider les Irakiens à se prendre en charge, pour ne pas être obligés de revenir dans cinq ans. Ce n'est pas un boulot particulièrement prestigieux. On ne fait pas la chasse aux insurgés. Aujourd'hui, on passe le relais, on entraîne, et on assiste.»

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Whitney Terrell

Traduit par Jean-Clément Nau

Les photos du reportage de Whitney Terrel

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