Monde

Le régime syrien aux abois

En dépit de l'aide de l'Iran et du Hezbollah libanais, le régime syrien ne parvient pas à enrayer la soif de liberté de son peuple. La panique commence à gagner les dirigeants et les dignitaires de l'armée qui évacuent leurs familles.

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Le régime syrien tente désespérément d'enrayer la mobilisation des opposants dans tout le pays, opposants qui ne sont pas loin de faire tomber un nouveau régime arabe considéré il y a peu comme inébranlable, à l'image de ceux de Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Egypte.

Devant l'ampleur de la révolte populaire, le régime syrien aux abois a mobilisé toutes ces ressources et ses alliés. Il a obtenu de l’Iran que les milices du Hezbollah viennent à la rescousse pour mâter une rébellion qui prend chaque jour de l’ampleur malgré la répression sanglante.

Damas a exigé de Khaled Mechaal, le chef du Hamas, hébergé et financé depuis longtemps par la Syrie, qu’il fasse cesser les tirs de roquettes sur Israël pour éviter qu’une riposte israélienne sur le territoire syrien ne soulève un peu plus contre ses gouvernants une population privée de liberté depuis 48 ans. Le régime syrien a même été jusqu'à demander aux Israéliens de limiter leur soutien militaire et financier aux Kurdes en quête d’autonomie, une des nombreuses minorités composant la société syrienne.

Le réveil des ennemis du régime

Autre illustration du désarroi de Bachar el-Assad, dont le régime s'appuie presque exclusivement sur la petite minorité alaouite: il a accepté de rencontrer des dignitaires kurdes d’al-Qamishli que le régime syrien boudait depuis... 1963. Des dirigeants kurdes ont été emmenés à Damas, dans l'avion spécial du président, pour une rencontre historique avec Bachar el-Assad qui, depuis son arrivée au pouvoir, avait usé les relais du parti Baas pour appliquer une politique d’arabisation à outrance.

Le régime syrien leur a promis un ministère en échange d’un soutien contre «la révolution de la liberté». Mais les Kurdes ont un contentieux trop important et trop ancien pour convaincre leurs troupes de s’allier avec un régime qui n'a eu de cesse de les oppresser et de les contrôler. Ils n'ont pas oublié les affrontements sanglants qui ont opposé en mars 2004 les Kurdes aux forces de l’ordre et avaient fait 40 morts.

Les émeutes sont le reflet d'un tel rejet du régime qu'elles ont même réveillé des rancoeurs au sein du clan alaouite dont certains membres veulent à présent venger la mort en 2005, maquillée en suicide, de Ghazi Kanaan. La disgrâce de l’ancien ministre de l’Intérieur, dont les deux frères ont aussi disparu sans laisser de trace, était soudain devenue une «nécessité» pour le régime syrien.

Le «gouverneur» du Liban détenait des informations particulièrement sensibles sur l’assassinat de Rafik Hariri et sur l'implication du régime syrien et du Hezbollah libanais. Le régime syrien se fissure à une telle vitesse que même l'oncle de Bachar el-Assad, ancien homme fort du régime, Rifaat el-Assad, s’est joint à la famille Kanaan en espérant revenir en sauveur alors que son frère, Hafez el-Hassad, le père de Bashar, l’avait éloigné du pouvoir.

Les dirigeants syriens cernés de toutes parts ont choisi sans surprise la manière forte qui est la marque du régime. Ils ont fait appel à l’Iran pour obtenir du matériel anti-émeute et l’aide d’experts en communication capables de bloquer ou de surveiller les réseaux internet et les téléphones portables. Mark Toner, le porte-parole du département d’Etat américain s’en est ouvertement inquiété:

«Nous pensons qu'il y a des informations crédibles sur le fait que l'Iran aide la Syrie à réprimer les manifestants.»

Panique parmi les dignitaires

La panique s’empare des dirigeants et des chefs militaires puisque, selon différents services de renseignements, ils ont commencé à mettre leurs familles à l’abri dans les Emirats et en Arabie saoudite.

Les actes de dissension se seraient multipliés dans les rangs de l’armée et des officiers et des soldats refusant de tirer sur la foule auraient été abattus. Un officier, le lieutenant Rami Qattash de la ville d’Alep,  a ainsi été exécuté avec dix membres de son unité pour avoir refusé d'ouvrir le feu sur les manifestants.

Pour réprimer les manifestations, le président syrien préfère utiliser aujourd'hui les gangs Shabbiha au lieu des troupes régulières. Ces mercenaires et voyous, constitués en réseaux de contrebande, sont issus des clans Assad et de leurs alliés alaouites. Liées à Maher el-Assad, jeune frère du président et colonel commandant la Garde présidentielle, ces milices baasistes sont armées et formées par le Hezbollah au Liban et les Gardiens de la Révolution en Iran.

Les manifestations ont toutes été interdites mais l’opposition a décidé de ne pas tenir compte de la menace gouvernementale. Une nouvelle épreuve de force devait se tenir ce 15 avril entre le gouvernement et l’opposition et pourrait bien décider de l’avenir du régime.

La ville l’Alep, au centre du pays, s’est soulevée et  10.000 manifestants ont défilé en bravant la menace des gangs Shabbiha. Les étudiants se sont aussi révoltés puisque l’université de Damas a été assiégée pendant plusieurs jours. L’armée a installé de nombreux barrages pour couper les routes liant le nord du pays au centre.

Cela ne décourage pas les manifestants qui font preuve de plus d’audace puisqu’à Deraa, Alep et Banias, ils ont ouvert le feu contre les forces de sécurité, faisant neuf morts parmi les officiers et soldats syriens. Le régime a riposté en tirant à vue sur tout groupe de manifestants. Pour dissuader les opposants, les blessés sont volontairement laissés sur place, sans soin, pour servir d’exemple.

Les Etats-Unis ont fini par réagir devant l’ampleur des exactions:

«Nous sommes profondément préoccupés par les rapports indiquant que des Syriens blessés par leur gouvernement se voient refuser l'accès aux soins médicaux. L’escalade de la répression par le gouvernement syrien est scandaleuse, et les États-Unis condamnent fermement la poursuite de l’élimination des manifestants pacifiques. Le président Assad et le gouvernement syrien doivent respecter les droits universels de la population syrienne, qui réclame à juste titre les libertés fondamentales qui lui ont été refusées.» 

Ceci dit la prudence américaine est grande. La crainte existe aux Etats-Unis dans les milieux diplomatiques que la chute du président Assad amène au pouvoir des éléments islamistes, encore plus radicaux. C'est oublier un peu vite que Damas soutient déjà ouvertement les islamistes chiites du Hezbollah et sunnites du Hamas.

Dernier symbole de la panique régnant à Damas, le régime qui réprime avec la grande brutalité les opposants, tente aussi de donner des gages de bonne volonté. Un nouveau gouvernement syrien a été formé le 14 avril avec pour tâche d'entreprendre des réformes. Le président Bashar el-Assad a décidé de libérer des personnes arrêtées depuis le début du mouvement de contestation. Une forme d'aveu d'impuissance. 

Jacques Benillouche

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