France

J'ai testé la scientologie et c'était pas bien: le rendez-vous

Second contact avec les fidèles de Ron Hubbard.

Temps de lecture: 5 minutes

»»» Première partie: le test, à lire ici

Le lendemain, je débarque donc rue Jules César, entre Bastille et Gare de Lyon. L’entrée affiche sans complexe Scientologie et à l’accueil pas de vigile mais une  vieille dame souriante qui me demande avec qui j’ai rendez-vous. Cinq minutes plus tard, Christelle arrive, toujours aussi sympa. Elle m’offre un verre d’eau, m’emmène dans un petit bureau, ferme la porte et brusquement, elle se transforme en succube maléfique prête à propager la désolation dans ma vie.

Heureusement, je m’étais préparée à cet entretien, je savais que les résultats des tests sont toujours négatifs –personne ne réussit jamais l’ocatest sans être déjà scientologue, rapport aux thétans extraterrestres qui nous habitent. Mais sur des gens qui débarquent sans savoir à quoi s’attendre, je n’ose même pas imaginer quel effet ça peut avoir. C’est une espèce de séquence de torture psychologique pour vous mettre dans un état de faiblesse et de vulnérabilité absolue.

Christelle-la-succube me sort le graphique de mon état mental:

Et elle m’explique: «vous voyez cette ligne? Ce qu’il y a au-dessus de cette ligne, c’est ce qui va bien.» Je regarde le schéma, elle me montre la ligne notée +30. Je lui dis: «ok. Mais là, y’a rien au-dessus de cette ligne…» Elle me regarde. Je la regarde. Et je comprends qu’elle pense très fort «effectivement, c’est difficile à accepter mais ta vie est merdique» mais à la place elle me répond «oui, chez vous, il n’y a rien au-dessus de cette ligne». Ensuite, elle passe à l’analyse de mon état point par point en suivant le graphique. «Les autres ne font pas confiance à votre jugement. Ils ne vous considèrent pas comme crédible.»

Au bout de cinq minutes, j’avais déjà envie de lui demander si on pouvait installer une corde au néon et m’apporter un tabouret. «On vous critique souvent non? Vous êtes opprimée par des personnes?» Comme je dis non, elle insiste: «Sur votre lieu de travail alors?  On vous fait des reproches, on dit des choses sur vous, derrière votre dos peut-être… On vous lance des piques, non?»

Au bout de dix minutes, je lorgne sur l’agrafeuse en me demandant s’il y a un espoir pour que j’arrive à m’ouvrir les veines avec et faire disparaître de la surface de la terre l’horrible sous-merde que je suis et qui pollue tout ce qu’il y a de bon et de beau dans le monde.

Heureusement, Christelle devait être une débutante parce qu’elle avait l’air d’être mal à l’aise dans son rôle de tortionnaire. Elle lisait les feuilles qu’on lui avait imprimées mais dès qu’elle les quittait des yeux, elle se mettait à bafouiller, devenait hésitante et surtout scrutait mes réactions. (Quand j’ai demandé à avoir lesdites feuilles, elle a refusé.)

Mon dézinguage dure déjà depuis 30 minutes, je suis dans un état qui oscille entre l’apathie et le désespoir quand elle m’annonce sur un ton définitif: «Ce point indique que vous n’avez pas de cœur. Vous manquez complètement de sensibilité. Vous êtes incapable de vous mettre à la place des autres et de les comprendre.» Là, je tique. Comment avec les réponses que j’ai faites peut-elle dire d’Emmanuelle Poulet qu’elle n’a pas de cœur? En fait, elle me désigne le point du graphique intitulé «critique» et je comprends que c’est parce que j’ai avoué avoir parfois un avis en sortant du ciné qu’elle en déduit que j’ai la sensibilité d’un mur en béton armé.

La première partie de l’entretien se résume donc à une Christelle-Walkyrie montée sur un bulldozer psychologique pour me défoncer la gueule. Le seul point qui n’est pas abordé, c’est la sexualité. La polémique au sujet de la scientologie se concentre souvent sur son statut de religion ou de secte. Je ne compte évidemment pas trancher ce débat-là, mais au bout de 30 minutes dans leurs locaux, leurs méthodes paraissent déjà plus que contestables.

Ensuite, vient l’embrigadement, avec l’entrée en scène du «good cop». Un conseiller qui va me proposer des solutions, s’il est encore possible de sauver la raclure de chiotte que je suis. C’est un homme avec une voix douce, il est posé, il a l’air gentil. Et surtout il arrive, en tout cas en apparence, en ayant rien à voir avec mon test. Il ne l’a pas lu (mais c’est évidemment impossible à vérifier). C’est presque comme s’il passait dans le couloir et que tiens, il avait envie de me donner un coup de main. Il jette un œil à mon graphique, mais d’un air très détaché, et il le repose avant de me dire solennellement: «Ce test, ce n’est pas vous.» Il me montre du doigt la ligne haute du graphique (celle qui en l’occurrence chez moi est absolument vide) et me dit «vous, vous êtes là».

Je passe donc en quelques secondes du statut de raclure de chiotte à celui d’être de lumière, et après ce qu’on m’a foutu dans la gueule, je suis ravie, je bois ses paroles. Cet homme-là me veut du bien, c’est évident, pas comme l’autre barge de Christelle.

En gros, mes problèmes, ce n’est pas moi, il faut juste que je m’en débarrasse pour devenir mon véritable moi. Et ces problèmes, ce sont les engrammes. Au mot engramme, je me dis que ça va commencer à devenir marrant. Je demande benoîtement que sont les engrammes. Ce sont de vieilles images douloureuses qui continuent de me faire souffrir et entravent ma personnalité. A quoi je fais remarquer qu’en fait, en français, ça s’appelle des traumatismes. «Oui, voilà, c’est la même chose». Il oublie de me préciser que des «images du passé» pour les scientologues, ça inclut celles de nos vies antérieures et celles des extraterrestres, mais c’est vrai que pour une première séance, il vaut mieux y aller en douceur.

Le problème de ce monsieur c’est qu’il est très gentil mais également complètement démago. Quand je lui demande si la scientologie c’est une religion, il me répond: «Non, le principe de la scientologie c’est qu’il n’y a que vous qui savez ce qui est bon pour vous.» Alors là, je tiens un énorme scoop.

Après, vient le plus beau moment de cet entretien, où il entreprend de m’expliquer la différence entre le spirituel et le psychisme.

- Fermez les yeux.

- Ok.

- Visualisez l’image d’un chat.

Je vous jure sur toutes les connexions internet du monde, qu’il m’a dit ça mot pour mot.

- Vous voyez le chat?

- Oui.

- Maintenant, dites-moi: qui regarde le chat?

Là, chers lecteurs, je vous demande de faire vous-mêmes l’exercice avant de lire la suite, et de répondre en votre fort intérieur à cette question essentielle: qui regarde le chat. Vous allez vivre une expérience spirituelle intense. Personnellement, j’ai eu un moment de doute avant d’oser répondre:

- Heu… moi?

- Oui ! C’est vous ! Vous comprenez? Le chat, c’est le mental. Et le moi ou le vous qui regarde le chat c’est le spirituel, l’âme, le souffle de la vie, peu importe comment on l’appelle.

Ci-dessus: si l’âme regarde le chat alors le chat regarde-t-il l’inconscient?

Cette démonstration de l’existence du spirituel est absolument inepte mais elle vient après plus d’une heure de quasi harcèlement. Ils sont tellement redoutables dans leur méthode pour prendre les gens au piège qu’il est presque étonnant qu’ils ne contrôlent pas déjà la terre entière. En France, le nombre de scientologues est estimé entre 2000 et 40.000 (autant dire que la fourchette est très large) mais dans le monde, l’Eglise est en pleine expansion. Elle a ouvert la première Eglise idéale, 8.000 m2 au cœur de Bruxelles, et surtout elle a fait polémique en 2010 en étant très présente à Haïti après le tremblement de terre.

Les scientologues qui se sont rendus à Haïti, qualifiés de «ministres volontaires» ont prodigué des soins alternatifs aux victimes, soins qui devaient leur permettre de «remettre l’esprit en communication avec le corps». Méthodes auxquelles les médecins présents sur place se sont opposés. Sous des prétextes humanitaires, il n’est pas étonnant que l’Eglise de scientologie tente d’aller convertir dans les pays où les habitants sont dans la détresse.

J’avais montré un tel enthousiasme face à la brillante démonstration du chat que deux minutes plus tard, j’avais devant moi une fiche d’inscription à une séance collective pour le week-end suivant, 5 DVD et 10 bouquins. J’ai poliment décliné. Il n’empêche que le lendemain, je me suis sentie déprimée, avec une sensation d’écœurement dès que je repensais à ces deux entretiens. J’ai hésité à me rendre à la première séance de thérapie qu’on m’offrait gratuitement mais l’impression d’inquisition malsaine, de forcing émotionnel et de manipulation m’ont découragée. Mon spirituel me disait qu’il fallait que mon aventure scientologue s’arrête là.

Titiou Lecoq

Pour une analyse de fond des méthodes d’aliénation scientologues, il y a le très bon rapport de Jean-Marie Abgrall, psychiatre et criminologue, spécialiste des sectes.

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