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Les vainqueurs du psychodrame budgétaire américain

Ce sont les républicains, mais pas l'ensemble du parti: l'accord qui a évité la paralysie du gouvernement vendredi soir profite aux partisans de l'austérité budgétaire plus qu'au Tea Party.

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Un peu après 22h50, ce vendredi 8 avril, le président républicain de la Chambre des représentants John Boehner a été le premier négociateur à annoncer qu’un accord avait été conclu et une paralysie du gouvernement fédéral américain évitée. Peu après, Barack Obama a expliqué qu’il apposerait sa signature sur «la plus grosse coupe annuelle dans les dépenses» de l’histoire du pays. Pour ne pas voir qui sort vainqueur de cette soirée, il fallait s’être endormi.

Est-ce que je suis sur le point de m’engager dans ce petit jeu hideux des salons de Washington qui consiste à pointer des «gagnants» et des «perdants», comme si ces milliards de dollars qui affectent des existences bien réelles étaient juste des billets de Monopoly échangés autour d’un plateau de jeu? J’espère que non.

Ce que je veux dire, c’est que la plupart des économistes s’accordent —désolé amis autrichiens, vous êtes encore minoritaires— sur le fait que quand un pays s’extrait juste d’une récession, tailler dans les dépenses n’est pas une bonne idée. Cela n’a pas fonctionné en 1937 et cela ne marche pas très bien actuellement au Royaume-Uni. Il y a quelques semaines, l’économiste de Moody’s Mark Zandi suggérait que 61 milliards de dollars de coupes budgétaires coûteraient 700.000 emplois en 2012, et le président de la Fed Ben Bernanke estimait qu’elles raboteraient notre croissance.

Loin de «l'instant Spoutnik»

Et pourtant… Pour la seconde fois en cinq mois, la Maison Blanche a fait face à une crise politique, a contemplé une opposition en complet désaccord avec sa conception de l’économie et a baissé les yeux. Il y a cinq mois, les hausses d’impôts automatiques découlant de la fin des mesures Bush ont été gelées et le parti républicain a fait valider sa politique de l’offre. Vendredi soir, lors d’une bataille portant sur un montant beaucoup moins élevé, les démocrates ont ratifié une politique d’austérité. Ils n’avaient plus vraiment le choix, mais ils n’ont pas non plus contesté les prémisses de leurs adversaires. «L'instant Spoutnik» semble encore loin.

La saga de l’amendement sur Planned Parenthood est un bon moyen de comprendre ce dossier. En février, le républicain Mike Pence a déposé un amendement interdisant à cette organisation de bénéficier de fonds fédéraux. Cela aurait permis d’économiser 363 millions de dollars mais les démocrates tenaient cette mesure en horreur. Elle a donc occupé un double rôle, outil de négociation dans le débat qui s’annonçait et moyen de déplacer la fenêtre médiatique sur le terrain de l’avortement.

Vendredi soir, les démocrates ont fait retoquer l’amendement Pence, offrant une victoire éclatante au mouvement «pro-choix». Pour raisonner grossièrement en attendant des chiffres précis, les 363 millions de Pence valaient donc 637 millions de coupes supplémentaires. C’est plutôt une bonne affaire pour les partisans de l’austérité budgétaire, mais une mauvaise pour les conservateurs sociaux du Tea Party, et cela est important: ils ont servi de monnaie d’échange lors du premier vrai test de leur puissance au nouveau Congrès.

Le faux pas du sénateur Kyl

Je ne pense pas que le parti républicain avait réellement le choix: de la même façon que les démocrates se sont défilés face au débat économique, les républicains se sont montrés hystériquement maladroits à propos de Planned Parenthood. Les conservateurs ont démarré le débat avec un problème de connaissances et ne l’ont pas résolu. Pour les «pro-vie», Planned Parenthood est synonyme du mot «avortement», et c’est aussi peut-être le cas parmi les Américains qui ne font pas appel à elle. Mais une fois que les républicains ont engagé le fer sur ce terrain, les démocrates –et les journalistes— ont commencé à dire des choses qu’on ne lit d’habitude jamais dans la presse, par exemple sur l’amendement Hyde de 1976 sur le financement fédéral de l’avortement ou sur la façon dont les activités de Planned Parenthood sont remboursées pour raisons de santé.

Le sénateur Jon Kyl a commis le faux pas de trop du côté républicain en affirmant en séance que les avortements constituaient «90%» de l’activité de Planned Parenthood. Quelques heures plus tard, son bureau a été obligé d’affirmer qu’il ne faisait pas référence à un fait précis, une drôle de chose à dire à un moment où Washington n’avait à l’esprit que des chiffres, des chiffres et encore des chiffres.

Faire rentrer le diable dans sa boîte

Les conservateurs sociaux apprécieront certaines choses dans le texte budgétaire, mais une partie de leurs demandes ont donc servi de monnaie d’échange, au bénéfice des démocrates mais encore plus des partisans de l’austérité. Devant la Chambre des représentants, vendredi, le républicain Steny Hoyer a tenté de marquer des points pour son camp en reprenant les propos du gouverneur de l’Indiana Mitch Daniels, un possible candidat à la Maison Blanche pour 2012, qui a affirmé qu’il fallait une «trêve sociale» jusqu’à que les problèmes de l’économie et de la dette soient résolus. Ce que Hoyer présupposait, c’est que les démocrates, eux aussi, veulent s’attaquer à la dette et pensent que le temps de la relance budgétaire est terminé.

Revenons au jugement politique brut. Peut-on dire que les républicains sortent vainqueurs de l’accord empêchant la paralysie du gouvernement? Oui, parce qu’ils en auraient été accusés si celle-ci s’était produite. Le procès-verbal était déjà rédigé: les démocrates ont prédit pendant plusieurs mois que Boehner aurait du mal à tenir les nouveaux élus du Tea Party et ont passé la semaine à dire qu’il fallait qu’il fasse «rentrer le diable dans sa boîte», comme l’a dit le sénateur Dick Durbin. Eh bien, il y a un accord –on supposera donc qu’il a fait rentrer le diable dans sa boîte. En partant du principe que les républicains auraient été accusés d’avoir provoqué la paralysie, il est logique qu’il soit porté à leur crédit que celle-ci ait été évitée.

David Weigel

Traduit par Jean-Marie Pottier

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