Économie

La nouvelle guerre des classes américaine

Depuis 1979, les 10% les plus riches ont pris 63% de la richesse produite et parmi eux, les 1% super-riches ont pris 38,7%.

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L'économiste Jeffrey Sachs se range parmi les intellectuels qui ont la vision la plus noire des Etats-Unis d'aujourd'hui:

«Le problème de l'Amérique est la corruption de sa classe politique et la perte de la morale civique.»

Cette corruption s'explique par les coûts vertigineux des campagnes électorales. Si Barack Obama a déclaré si tôt qu'il se représenterait en 2012, c'est pour récolter d'ici là au moins un milliard de fonds.

L'enjeu de ce dispendieux combat politique est simple, pour Jeffrey Sachs: les riches paient pour défendre leurs avantages. Et de rappeler que ceux-ci sont historiquement sommitaux: les 12.000 familles les plus aisées touchent chaque année une part du revenu national équivalente à celle des 24 millions les plus pauvres.

Pour se convaincre du creusement vertigineux des inégalités aux Etats-Unis, je vous conseille d'aller sur le site de l'Economic Policy Institute. Depuis 1979, les 10% les plus riches ont pris 63% de la richesse produite et parmi eux, les 1% super-riches ont pris 38,7%.

C'est moins que lors de la période d'avant la grande crise, entre 1917 et 1929, au cours de laquelle les 10% les plus riches avaient capté 100% de la richesse. Mais c'est évidemment rompre avec l'après-Seconde Guerre mondiale, qui a vu la croissance être à la fois très forte et très égalitairement répartie. Ainsi, les 20% les plus pauvres des Américains avaient vu leurs revenus doubler entre 1945 et 1973, mais depuis tout s'est retourné.

Depuis 1973, les 20% des ménages les plus pauvres ont vu leur revenu baisser de 7,4%. Cette distribution est évidemment choquante quand on voit, de l'autre côté, que la pauvreté stagne depuis cette même date de 1973 à 12% de la population alors qu'un prolongement de la période redistributrice aurait dû l'éradiquer en 1985, d'après l'Economic Policy Institute. Quand on voit aussi que 6% des Américains ont perdu leur job durant la crise et que 12% fréquentent les distributions gratuites d'aliments («food stamps»).

Les républicains à la charge

Conclusion de Jeffrey Sachs: l'Amérique connaît à nouveau «une guerre des classes». Il faut bien admettre que le Parti républicain lui donne raison. On le voit dans le Wisconsin où les élus républicains ont engagé une bataille frontale contre les syndicats des services publics. Ou bien encore sur la colline du Congrès, qu'ils occupent depuis leur victoire de novembre.

Au nom du Grand Old Party, Paul Ryan, président du comité budgétaire et représentant du même Wisconsin, a présenté un plan de réduction de la dette de combat. Il propose d'aller beaucoup plus vite que ne le souhaite le président Obama et de ramener le déficit des 9% actuels à 1,6% en 2011 2021. Pour ce faire, il n'augmente aucun impôt, il abaisse la tranche la plus élevée de l'impôt sur le revenu de 35 à 25%, conserve les dépenses militaires et de sécurité et porte le fer uniquement... dans les programmes sociaux. En clair, il veut tuer le programme de santé, la promesse que Barack Obama a réussi à imposer mais que les républicains dénoncent encore comme directement inspiré de Marx-Engels.

Trois remarques en conclusion. D'abord une surprise. Vue d'une Europe en proie à la crise des dettes souveraines, cet effort est bien modeste. Rien à voir avec la droite anglaise de David Cameron qui vise une élimination complète du sien en cinq ans. Rien à voir même avec les gouvernements d'Europe continentale qui inscrivent un retour à l'équilibre dans le marbre constitutionnel. L'Amérique, elle, se programme à vivre encore une décennie dans le rouge.

Deux: sur le terrain politique, il s'agit bien d'une lutte acharnée contre tout social collectivisé. Elle s'oppose brutalement à la volonté d'Obama de développer les dépenses fédérales pour réarmer l'Amérique en infrastructures, en éducation, en innovation. Le président va sans doute échouer à faire passer son projet, mais il devrait y gagner des voix au centre parmi une majorité d'Américains moins idéologues.

Trois, nonobstant les différences considérables des situations américaine et française, ce retour de la guerre des classes pointe son nez chez nous. On le voit clairement dans le projet présenté cette semaine par le PS.

Eric Le Boucher

Chronique également parue dans Les Echos

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