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Plomb durci: les regrets du juge Goldstone

Richard Goldstone regrette les accusations de «crimes de guerres» lancées à l’encontre d’Israël, à la suite de l'opération Plomb durci à Gaza. Une victoire pour l’Etat hébreu, mais il est trop tard pour réparer les dégâts causés à l’image du pays et de son armée.

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L'offensive israélienne de l’hiver 2008-2009 qui visait à mettre fin aux tirs de roquettes depuis le territoire palestinien sur l’Etat juif a été particulièrement meurtrière. Elle a fait, selon les sources, entre 1.100 et 1.400 morts du côté palestinien, majoritairement des civils, et 13 morts du côté israélien. La violence de l'opération Plomb Durci est telle que l’ONU confie une enquête au juge, sud-africain Richard J. Goldstone, et demande aux deux parties de mener séparément des enquêtes internes, dans les six mois à venir.

Le rapport des Nations unies est sans appel: 32 actes commis par les Israéliens y sont qualifiés de «crimes de guerre». L'image du pays et de son armée est considérablement altérée et les soldats sont assimilés à des «tueurs d’enfants». En 2010, une campagne de boycott des produits israéliens est lancée dans les territoires palestiniens et en Europe. Même si le rapport Goldstone n'est pas directement à l'origine de ce mouvement, la campagne de dénigrement qui en découle en est responsable. S'ajoute un boycott culturel et de nombreux artistes qui refusent de se produire en Israël, ou qui sous la pression d'associations et d'organismes de gauche, ont tout simplement annulé leur représentation en Israël.

Quant aux dirigeants israéliens, il devient difficile pour eux de voyager. Des mandats d'arrêt sont lancés à l’encontre de certains d’entre eux. En décembre 2009, l'ex-Premier ministre israélienne Tzipi Livni annule sa visite à Londres de peur d'y être arrêtée.

Un an et demi après la publication de son rapport, Richard Goldstone avoue s’être trompé. «Si j’avais su alors ce que je sais maintenant, la teneur de mon rapport aurait été différente». Dans une tribune publiée dans le Washington Post, le 1er avril, le juge sud-africain reconnaît qu’Israël n’a pas délibérément visé des civils. Un mea culpa osent dire certains. Comment le juge Goldstone a-t-il pu revenir sur un rapport qu’il défendait encore fermement il y a quelques mois?

Parce qu'aucune autre conclusion n'était possible à l'époque, explique Richard Goldstone dans sa tribune, qui se défend d'avoir eu toutes les preuves en main, faute de coopération israélienne. Comment est-il possible qu'un juge ait pu publier les résultats de son enquête, alors qu'il n'avait pas toutes les pièces du dossier en sa possession? N'aurait-il pu accorder plus de temps aux enquêteurs israéliens? Pourquoi les Israéliens n'ont-ils pas accepté de coopérer à l’enquête? Auraient-ils pu éviter la publication d'un rapport biaisé? Seul l'ancien ministre des Affaires sociales, Isaac Herzog, s'était prononcé en faveur d'une collaboration avec la Commission d’enquête onusienne, afin d'éviter que les conclusions soient partiales.

Mais il s'était heurté à tous les autres ministres, et notamment à Avigdor Lieberman, à l’époque dans l’opposition. «J'ai finalement réussi à tous les convaincre que si nous révélions au comité Goldstone nos considérations politiques et opérationnelles, ainsi que la façon dont l'armée et les services de renseignements fonctionnent, tous les pays viendraient à nous demander les mêmes informations. Nous préférions donc nous charger nous-mêmes du rapport et ne pas les mettre dans la confidence», s’était justifié l’actuel ministre des Affaires étrangères. Pas de regret non plus de la part du ministre israélien de la Défense, Ehoud Barak. Dans sa tribune, Richard Goldstone souligne la bonne volonté affichée d'Israël pour avoir mené des enquêtes. Le ton employé envers le Hamas est beaucoup moins complaisant. Le juge note que le Hamas n'a mené, pour sa part, aucune investigation sur ses propres opérations et que les crimes commis par le mouvement islamiste en tirant sur des civils étaient délibérés.

Victoire contre manipulation

En Israël, le revirement de Goldstone a évidemment fait la une de tous les journaux israéliens. Même le quotidien de gauche Haaretz a reconnu qu’il «vaut mieux défendre la cause d’Israël», lorsqu’une enquête est ouverte à son encontre. Certains médias israéliens expriment leur soulagement, d'autres leur colère envers la mauvaise foi qui a marqué le rapport Goldstone. Le gouvernement israélien demande l'annulation pure et simple du rapport et exige que le juge fasse connaître ses conclusions dans le monde entier. «Nous n’avons jamais rien attendu de Goldstone, nous n’avons pas besoin de ses excuses pour prouver que Tsahal est l’armée la plus morale au monde», estiment les soldats et officiers qui ont pris part à Plomb durci. Mince consolation, les officiers espèrent que les menaces d’arrestation à l’étranger qui pesaient sur eux seront bientôt levées.

Les Palestiniens et leurs soutiens dans le monde arabe, de leur côté, crient à la manipulation. Le juge sud-africain tant adulé —Richard Goldstone bénéficiait d’une solide réputation de sérieux et d’objectivité et ses origines de petit-fils d’immigrés juifs lituaniens en faisant forcément un juge impartial— aurait abdiqué face «au lobby sioniste». Il «a fini par se dégonfler», écrit le quotidien algérien El Watan. Et d'accuser Israël de propagande contre le juge et son rapport. Un rapport, toujours valable d’après le Hamas. Le mouvement islamiste a demandé aux Nations unies l'application stricte du texte, à savoir poursuivre judiciairement les soldats qui ont commis des crimes de guerre. Pour le Hamas, les déclarations de Goldstone n'engagent que lui et non le Comité dans son ensemble, désigné par le Conseil des droits de l'homme des Nations unies.

Quant à l'Autorité palestinienne, elle estime que le «repentir» du juge n'exempte pas Israël des crimes qu'il a perpétrés à Gaza. Si Ramallah condamne Israël, des documents publiés par Wikileaks ont pourtant révélé que l’Autorité palestinienne, ainsi que l’Egypte, étaient au courant de l’offensive israélienne avant son déclenchement. Ramallah n’avait à l’époque soulevé aucune objection, laissant Gaza en proie à une guerre meurtrière.

S’il est peu probable que le rapport Goldstone soit annulé aux Nations unies, la presse israélienne parle de «victoire médiatique». Certes, mais c’est une petite victoire car Israël aura du mal à faire oublier cette étiquette de « crimes de guerre » collée à son armée.

Kristell Bernaud

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