Culture

Mégatsunamis, de la réalité à la fiction à la réalité

Le désastre de Lituya Bay en 1958 a inspiré les réalisateurs hollywoodiens. Ceux-ci ont en contrepartie conduit les scientifiques à se poser sérieusement la question de la probabilité d'un tel événement.

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Le 11 mars 2011, faut-il le rappeler, un séisme d’une magnitude de 9 au large des côtes du Japon provoque un tsunami dont les vagues ont atteint plus de 23 mètres par endroits.

Faisant à ce jour plus de 10.800 morts et plus de 16.200 disparus, c’est le tsunami le plus meurtrier depuis celui de 2004, où les vagues pouvaient atteindre 35 mètres de hauteur.

Mais, aussi impressionnants et dévastateurs soient-ils, ce n’est rien comparé à ce que pourrait causer un mégatsunami, comme celui qui a ravagé la baie de Lituya en Alaska. Le 9 juillet 1958, un tremblement de terre d’une magnitude comprise en 7.5 et 8.3 (selon les sources) provoque un glissement de terrain, et l’effondrement de près de 40 (entre 30 et 90 selon les sources) millions (!) de mètres cube de roche qui tomberont de la montagne dans la baie.

Les dommages occasionnés par la vague du mégatsunami de Lituya Bay en 1958Les dommages occasionnés par la vague du mégatsunami de Lituya Bay en 1958

Les dommages occasionnés par la vague du mégatsunami de Lituya Bay en 1958

Cet impact provoquera la formation d’une vague de 524 mètres de haut (pour le run-up —le plus haut point atteint sur la côte par la vague), la vague la plus grosse jamais enregistrée. (Pour mieux comprendre le phénomène, je vous conseille cette animation et cet article.) Un mégatsunami, bien que non défini scientifiquement, est différent d’un tsunami, tant au niveau de la cause que de l’effet.

La thèse du mégatsunami est quelquefois avancée pour expliquer certaines catastrophes historiques comme l’explosion du Santorin et la disparition de la civilisation minoenne.

L’année dernière au cinéma

Le cinéma (hollywoodien majoritairement) regorge de grosses vagues. Il y a peu de tsunamis à proprement parler, seulement dans les films qui prennent pour point de départ une catastrophe, comme dans The Last wave ou plus récemment Hereafter. La plupart du temps, les vagues sont des monster waves, résultats d’une situation plus globale, et bien souvent, de la fin du monde. Ni plus ni moins.

Dans 2012, disaster porn par excellence, le réalisateur Roland Emmerich (Godzilla, Independance Day, Le jour d’après…) voulait clairement placer son film dans la lignée des flood movies. Il y a bien des tremblements de terre, des éruptions volcaniques, mais c’est le flood (l’inondation) qui intéressait le réalisateur. Et quand on lui demandera pourquoi détruire le monde entier (alors que le reste des disaster movies ne détruisent généralement que les États-Unis), il dira:

«C’est bien de commencer par l’Amérique, mais j’ai pensé que l’Himalaya serait génial. (rires) Je ne sais pas exactement comment on a pensé à l’Himalaya. Je pense parce que c’est le plus haut, le toit du monde. Quand ça est inondé, c’est une inondation.»

La vague submerge l'Himalaya dans 2012

La vague submerge l'Himalaya dans 2012

Mais ses ambitions, car c’est bien ce qui motive le réalisateur —faire toujours plus gros—, se sont vite heurtées à des contraintes techniques, surtout concernant la conception de la vague. Comme le rappelle (PDF) Karen Moltenbrey, éditrice en chef de Computer Graphics World:

«Certainement, la simulation de fluide par ordinateur reste parmi les effets les plus difficiles pour que cela paraisse naturel.»

Il faut arriver à une eau probable, tant au niveau de l’aspect (surface, transparence, réflexion…) que du comportement (la manière dont l’eau bouge, la collision avec les objets dans l’espace, les turbulences…). Ajoutez à cela les problématiques liées à l’échelle, la manipulation des données (certains plans du film contenaient plus de 300 calques!) et les modalités de représentations d’un modèle aqueux de la taille d’une montagne, et vous obtenez un de plus gros challenges de l’histoire des effets spéciaux.

Mais le réalisateur allemand a su s’entourer: Stephan Trojansky, superviseur des effets spéciaux de Scanline (agence spécialisée dans la modélisation de fluides) réalisé pour Hereafter déclare avec humilité et réalisme:

«Je pense que nous ressentons avoir résolu comment simuler de l’eau et la rendre réaliste, à n’importe quelle échelle.»

Pour ce faire, la compagnie a utilisé Flowline, son propre outil de simulation, développé au fil de leurs interventions sur de nombreux films. (Pour plus d’informations sur le comment de la vague, le n°120 de Cinefex consacre un dossier entier sur les effets spéciaux de 2012.)

La vague dans Hereafter, sur le tsunami de 2004 en Indonésie.

La vague dans Hereafter, sur le tsunami de 2004 en Indonésie.

L’année prochaine en vrai?

Mais qu’en est-il vraiment? Si l’excentricité et l’exagération de la vague dans 2012 (et dans bien des films) nous empêcheraient de croire à une telle vague, la question du mégatsunami reste entière. Peut-on assister un jour à un tel événement? Et où? Deux scénarios sont possibles: la chute d’un bloc de roches ou de glace (comme à Lituya Bay) ou la chute d’un astéroïde dans l’océan (comme dans Deep Impact). Si le second est moins à craindre (bien que probable, la plupart des météorites brûlent en entrant dans l’atmosphère, voir cette page pour plus de renseignements) le premier a été envisagé. Et sérieusement.

Mythes pour certains, l’International Tsunami Information Center – UNESCO, collaboration de l’Intergovernmental Oceanographic Commission et du National Oceanic and Atmospheric Administration semble ne pas y accorder de crédit (alors qu’il reconnaît la catastrophe de Lituya bay); pour d’autres, la menace d’un megatsunami est bien réelle, et pis, à envisager.

En 2001, Steven Ward, professeur à l’Institute of Geophysics and Planetary Physics à Santa Cruz (CA) et Simon Day de l’University College London publient un article (PDF) dans lequel ils expliquent qu’un mégatsunami pourrait un jour atteindre New York.

Assez vite, l’information est relayée, (notamment par la BBC et CNN Tech) prise au sérieux et largement diffusée (La télévision anglaise en fera une émission: «Mega-tsunami; Wave of Destruction. Horizon» Diffusée pour la première fois le 12 octobre 2000 à 21h30 sur la BBC2).

Ils appuient leur théorie sur le futur —ils en sont certains mais ne savent pas quand— effondrement du volcan de la Cumbre Vieja, déjà fissuré, à La Palma sur les îles Canaries.

Sceptiques, la plupart des scientifiques doutent de l’effondrement du volcan en un seul bloc, mais penche plutôt sur un effondrement bout par bout. L’Ifremer (l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) a même un avis là-dessus.

En 2009, les scientifiques ont annoncé que la ville de New York avait été touchée par un tsunami, vers l’an 300 avant J.-C., ravivant les fantasmes marins jusque là réservés à Hollywood. En analysant des sédiments, ils en ont conclu qu’une vague salée était arrivée jusqu’à l’actuel Wall Street. Une vague d’environ 3,7 mètres avait alors traversé New York.

Le scénario d'un tsunami qui menace New York témoigne d'une peur de voir s'effondrer un symbole de l'Amérique, surtout en période de crise.

Le scénario d'un tsunami qui menace New-york témoigne d'une peur de voir s'effondrer un symbole de l'Amérique, surtout en période de crise.

Couverture du magazine Amazing Stories de janvier 1929.

Cette peur du tsunami à New York n’est ni nouvelle, ni infondée. Déjà en 1929, un tremblement de terre d’une magnitude de 7.2 à 250 km de Terre-Neuve (Canada) est ressenti jusqu’à New York. Le tsunami qui suivra fera 28 morts et d’énormes dégâts. Et depuis le tsunami qui a touché le Japon, les théories refleurissent, ici et , comme précédemment, après le tsunami de 2004.

Matthieu Giralt

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