Économie

Il faut rééduquer les banquiers

Les dirigeants des établissements financiers ont besoin de reprendre contact avec la vie réelle.

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C'est le grand divorce. Qu'y a-t-il de commun entre les présidents ou les directeurs généraux de banque, la majorité de leurs salariés et l'opinion publique ? Plus grand chose.

Tout se passe comme si le big bang qui secoue le monde avait fait émerger deux planètes. D'un côté le fief des chefs d'orchestre de la finance, de l'autre la sphère de l'économie et de la vie réelle. Entre ces deux mondes le fossé se creuse chaque jour davantage.

Or dans une économie de marché tout repose sur le financement du système par les banques. Il ne suffira pas de restaurer la solvabilité des banques, il faudra aussi trouver les moyens de faire descendre les big boss de la finance de leur tour d'ivoire pour qu'ils retrouvent leurs esprits et le sens des réalités. Pour redorer leur blason, sortir de l'image d'ennemi public numéro un, et tout simplement montrer qu'ils se situent sur la même longueur d'ondes que le commun des mortels, les patrons de banques devraient se frotter à la vraie vie. Donc sortir de leur splendide isolement.

On pensait qu'ils feraient leur révolution culturelle à la lumière de la crise qu'ils ont provoquée. Que nenni !  Ils donnent l'impression de faire le dos rond en attendant des jours meilleurs. Aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne, en France, et la liste des pays pourrait être beaucoup plus longue, les banquiers restent murés dans leurs convictions....d'avant la crise. Ils sont restés agrippés à leurs bonus, stock-options, attributions d'actions gratuites, parachutes dorés et retraites chapeau.

Dans leur tête tout se passe comme si les banques  continuaient d'accumuler des bénéfices pour le plus grand bien de l'économie, des entreprises, des particuliers et des actionnaires. Les Etats ont été contraints de mettre le holà aux débordements dispendieux, en plafonnant la rémunération des patrons de banques secourus par des fonds publics comme aux Etats-Unis, en interdisant les bonus, la distribution de stocks-options et d'actions gratuites comme en France. De part et d'autre de l'Atlantique les banquiers sont vilipendés pour leur cynisme et leur refus de tourner la page de l'Ancien régime financier. Ils font penser à ces nobles, qui pendant la révolution française, tenaient table ouverte à Londres ou à Coblenz en rêvant de rétablir les privilèges d'antan.

Après vingt-cinq années de dérégulation à outrance et de sacre de l'argent roi, qui ont mené aux dérives que l'on subit, il est temps de remettre les pendules à l'heure. Et si les grands banquiers ne parviennent pas à comprendre que la culture qu'ils se sont forgée est remise en cause pourquoi ne pas leur faire suivre des stages de réinsertion ? Histoire de les faire sortir de leurs bureaux feutrés et de leur faire toucher du doigt la vie de tout un chacun avec ses problèmes de fins de mois difficiles quand on est salarié et de financement quand on est à la tête d'une PME.

En France, où les responsables de banques clament qu'ils s'en sortent beaucoup mieux que leurs concurrents étrangers, à l'exception des Banques Populaires et des Caisses d'épargne plombés par Natixis, les vieux démons sont les mêmes que dans les autres institutions financières de la planète beaucoup plus mal en point.

Le culte du rendement à court terme et de l'accumulation de revenus pour les dirigeants et les opérateurs de marchés ont la vie dure. La Société Générale en a royalement fait la preuve ces derniers mois. C'est la mort dans l'âme que son président, Daniel Bouton et son directeur général, Frédéric Oudéa, ont abandonné leurs bonus sous la contrainte de l'Elysée. Mais quelques semaines plus tard, un communiqué de la banque annonçait qu'ils allaient recevoir de copieuses stocks-options à un prix très avantageux. Là encore l'Etat est intervenu, cette fois par décret, pour interdire ce genre de pratique dans les entreprises qui reçoivent des deniers publics.

BNP Paribas, considéré comme très sage sur ces sujets là depuis le début de la crise, a provoqué la stupeur en prévoyant d'accorder à ses quatre mandataires sociaux une retraite chapeau de 28,6 millions d'euros. Son président Michel Pébereau devrait percevoir 800.000 euros par an dont 700.000 versé par la banque. Dans la foulée, les chiffres de la Société Générale ont été publiés : 33 millions d'euros ont été mis en réserve pour les retraites de six mandataires sociaux. Daniel Bouton pourra se prévaloir de 730.000 euros de retraite par an.

Dans un autre registre, Natixis, la banque de financement et d'investissement en perdition des Banques Populaires et des Caisses d'épargne présidée par Philippe Dupont,  après avoir affiché des pertes abyssales de 2,8 milliards d'euros en 2008, attribue royalement 71 millions d'euros de bonus aux opérateurs de marché et gestionnaires d'actifs......

En France comme ailleurs, les patrons de banque ont bien besoin de se frotter à d'autres réalités. On pourrait imaginer de les faire travailler pendant un mois dans un tout autre univers, avec la rémunération correspondant à leur nouvelle fonction et de vivre le mois suivant avec le salaire qu'ils ont perçu. Daniel Bouton pourrait se voir affecter un poste de gardien de parking, Frédéric Oudéa s'adonner au travail ingrat de comptable troisième échelon dans une grande entreprise, Michel Pébereau prendre la place d'un administratif dans une PME de sous-traitance pour l'automobile, Baudouin Prot (directeur général de BNP Paribas) devenir chef du rayon charcuterie dans un supermarché et Philippe Dupont (patron des Banques Populaires) vendre des hamburgers chez Mc Do. Georges Pauget, le directeur général de Crédit Agricole SA, pourrait faire ses premières armes chez un fabriquant de fromage.

Reste le cas de François Pérol, le nouveau venu dans le paysage bancaire français, qui prendra bientôt des rênes des Banques Populaires et Caisses d'épargne réunies. Un mois de labeur au guichet d'une agence bancaire, pourrait lui mettre les pieds à l'étrier, lui qui n'a jamais œuvré dans une banque commerciale. Il faudrait bien sûr étendre ces stages d'insertion à la vraie vie aux membres des comités exécutifs de chaque banque.

Cette immersion dans des métiers radicalement différents, ce brassage avec d'autres catégories de la population, pourraient  permettre aux dirigeants de banque remettre les pieds sur terre, de porter un regard nouveau sur la société, la place qu'ils y occupent et le rôle qu'ils doivent y jouer. Et surtout ces stages de réinsertion devraient leur ouvrir les yeux sur une vérité toute simple : ils peuvent gagner très confortablement leur vie dans leurs banques respectives sans sombrer dans les excès du toujours plus.

Dominique Mariette

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