Sports

Pierre Ménès et les gros du sport

Il peut aussi être bon d'être gros et gras dans le milieu du sport.

Temps de lecture: 3 minutes

Chaque dimanche soir, le Canal Football Club (le CFC pour les aficionados) est devenu une émission incontournable pour les amateurs de football, qui sont près de deux millions à la suivre. Rien de très novateur dans le concept avec une table et des gens qui parlent autour en étant placés devant un public «casté» chargé de faire la claque avec la spontanéité de supporters kadhafistes. Au menu de ce talk-show, un retour sur les rencontres du week-end et du dimanche après-midi en attendant l’affiche du dimanche soir.

Depuis l’été 2009, un personnage arrivé en droite ligne d’une autre émission de télévision, 100% foot sur M6, se trouve au centre du dispositif du CFC: Pierre Ménès, enrôlé pour venir secouer le cocotier avec son verbe haut et ses manières pas toujours diplomatiques. D’un point de vue d’audience, la greffe a pris, ce qui n’allait pas de soi au départ. Ménès ne paraissait pas très couleur locale avec ses polos colorés aperçus sur M6 dans la maison Canal repeinte en noir avec sa batterie de men in black en costards envoyés sur les terrains de France ou avec ses propos parfois à la limite du hors-jeu qui ne cadraient pas avec le fameux «esprit Canal» en matière de foot.

Loin des canons physiques du sport à la télé

Pierre Ménès est une énigme, voire un extraterrestre, dans l’univers médiatique français. Très gros, il n’entre pas du tout dans les canons physiques des chaînes, de sport en particulier, tellement caricaturales et presque racistes dans leur manière d’employer des journalistes de plateau, forcément jeunes, mignons, minces et bien sous tous rapports, capables d’envoyer un sourire au laser à tout instant. Prenez votre télécommande et baladez-vous sur les chaînes spécialisées pour le constater avec un petit arrêt au stand chez Infosport et ses présentatrices-tronc aux sourires constipés.

Contrairement aux apparences, Pierre Ménès n’est pas un animateur, mais bien un journaliste. Après avoir fait le bonheur du Club Med à la fin de son adolescence, il est entré à L’Equipe où il est resté plus de 20 ans couvrant longtemps l’équipe de France de football avant de quitter le quotidien sportif, un peu poussé vers la sortie. Puis il a connu cette envolée populaire par le biais de ses apparitions télévisuelles d’abord sur L’Equipe TV avant M6 et maintenant Canal Plus sans oublier, parmi d’autres collaborations, son blog à succès sur Yahoo!.

Ménès connaît très bien le foot et a une vraie compétence à le commenter, mais aurait-il eu autant de succès s’il n’avait pas été gros ou s’il avait été mince comme un fil de fer? Je suis certain que non. C’est le paradoxe de sa situation. Sur Internet, il prend parfois très lourd à cause de sa corpulence et devant les caméras, certains n’hésitent pas carrément à l’attaquer publiquement sur son apparence physique. Bernard Lacombe, l’ancien buteur du football français aujourd’hui dirigeant de l’Olympique Lyonnais, s’est risqué à ce type de dérapage.

Pierre Ménès accuse aussi Laurent Ruquier de «se foutre de son poids» dès qu'il en a l'occasion. L’humoriste, hypnotisé par ses kilos sur la balance, a récemment avoué dans une interview au Parisien:

«Je cours trois ou quatre fois par semaine. Je suis obsédé par mon poids. Je voudrais perdre 3 kilos. J'ai été tellement mal dans ma peau, me trouvant moche, gros.»

En harmonie avec son poids

 Et si Ménès l’irrite au point de plaisanter sur son poids, c’est probablement, horreur, parce que Ménès semble, lui, afficher un total détachement par rapport à son physique avec lequel il a l’air de vivre harmonieusement sans se préoccuper des stéréotypes, à l’inverse de Ruquier. Il refuse même de jouer le rôle classique du bon gros nounours qui serait là pour instiller de la sympathie. Au contraire, il n’arrondit pas les angles, avec des excès parfois dommageables, mais au moins prend-t-il le risque de s’exposer doublement: à la fois en faisant fi de l’air du temps et du diktat de la minceur et en prenant le risque de dire ce qu’il pense quand trop de commentateurs nous inondent d’eau tiède.

Récemment, éternelle histoire de l’arroseur arrosé, c’est d’ailleurs un autre rondouillard, Frédéric Antonetti, l’entraîneur du Stade Rennais, qui a su remettre Pierre Ménès à sa place lors d’un CFC gentiment musclé. Antonetti dont les colères légendaires au bord des terrains passent plutôt bien à cause justement de la bonhomie du personnage.

Louis Nicollin, le patron du club de Montpellier, qui n’est pas à une déclaration scandaleuse près, bénéficie également d’une prime d’indulgence due à ses formes généreuses qui paraissent naturellement adoucir ses propos inconséquents.

Car oui, il est aussi bon d’être gros et gras dans le milieu du sport et c’est ce que nous montre d’ailleurs joliment Jean-Christophe Collin dans un livre qui vient de sortir et titré La confrérie des gros où l’auteur, spécialiste du rugby, évoque le destin de 30 première-ligne, issus de toutes les époques et de tous les niveaux. Des durs et des tendres à la fois avec des codes bien particuliers. Des super balèzes que l’on retrouve au judo avec David Douillet qui doit sa popularité à son statut de colosse, ou en haltérophilie où ceux de 40 ans et plus n’ont pas oublié l’énorme Soviétique Vassili Alexeiev débordant de tous les côtés mais fascinant de force herculéenne.

Les amateurs de tennis n’ont pas effacé non plus de leur mémoire Frank Hammond, cet arbitre vedette new-yorkais et obèse de l’US Open à la charnière des années 70-80 dont on se demandait comment il pouvait tenir sur sa chaise du central de Flushing Meadows et avec qui John McEnroe eut souvent maille à partir, mais que l’irascible n°1 mondial de l’époque respectait. Et là, ce n’était pas un mince exploit.

Yannick Cochennec

cover
-
/
cover

Liste de lecture