Économie

La France des optimistes

Jean-Hervé Lorenzi a raison: il faut que le pays donne un bon coup de talon au fond de la piscine pour remonter. Mais pour que les Français retrouvent confiance, il reste à rénover d'urgence les outils de l'Etat providence.

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Assez du pessimisme! Assez du déclin! Assez de la déprime nationale! Le temps est venu du sursaut optimiste. Du regard objectif sur les atouts du pays. Du projet. De la confiance. Jean-Hervé Lorenzi, le fondateur et président du Cercle des économistes, vient d'écrire un livre qui claironne ce sursaut en même temps qu'il a créé un site Internet, Tousoptimistes.com. Sa démarche en rencontre d'autres. Un ras-le-bol du pessimisme monte en France. Lorenzi résume:

«Eloignons cette fatalité selon laquelle il nous serait impossible de nous soustraire au destin de l'échec programmé.»

Pour un chroniqueur dont l'une des dernières parutions était titrée «La France dans un état critique», l'offensive est dérangeante. Essayons de faire la part des choses.

Les optimistes ont raison de souligner que la France garde des atouts considérables. Jean-Hervé Lorenzi en liste plusieurs. La natalité d'abord qui remet en cause, au coeur et au ventre, le discours décliniste. Malgré la crise financière, les naissances continuent de croître. L'indicateur de fécondité atteint 2,00 enfants par femme, un niveau jamais atteint depuis la fin du baby-boom, il y a plus de trente-cinq ans. Ensuite, «une soif de savoir» couplée à «une soif de travail».

«Le goût du travail est bien réel mais on le cache derrière un écran idéologique, un mythe, qui consiste à dire que la France est un pays d'assistés.»

La vérité, plus simple, est un «Code du travail carcan» qui décourage. L'immigration qui «nous oblige à remettre en cause notre modèle de société mais qui réactive les valeurs auxquelles nous croyons». Le goût du loisir très développé par nos RTT mais dans lequel il faut voir «un appétit du bonheur, harmonisant vie professionnelle, vie familiale et partage», autonomie et engagement collectif. Les Français s'affirment comme sujets d'un «style de vie» qui leur est propre. Le désir de justice sociale, enfin, qui reste une valeur très partagée. Voilà des aspects très positifs incontestables de l'exception française.

S'ajoute un argument fondamental d'un autre type: générationnel. Le discours décliniste est tenu, dit l'optimiste, par une génération de sexagénaires qui trustent les postes et les titres et n'en cèdent rien au prétexte qu'après eux arrivent la fin de la France, la fin de la culture, la fin de l'Europe, la fin des valeurs et la fin des haricots. Ils déblatèrent contre le monde tel qu'il vient dans un réflexe défensif de justification conservatrice.

Les discours pessimistes s'autoconsolident autour d'«une France inactive, sclérosée et dépassée» et interdisent l'éclosion d'«une France active, jeune et innovante». Ils brisent «la confiance» dans l'oeuf. Pour «y croire» la France a besoin de l'inverse, d'optimisme appuyé sur un projet. «Les contours» sont: la cohésion sociale, un contrat de travail unique, une fiscalité du travail très allégée, un investissement de 150 milliards d'euros dans les secteurs porteurs d'emplois et le retour du goût du risque.

Au bout du livre, on adhère volontiers à la thèse. Oui, la France déprimée doit donner le coup de talon au fond de la piscine qui la fera remonter à l'air libre. Ce coup de talon est d'abord psychologique, il doit venir du discours des élites. Mais est-ce si facile? Le président du Cercle des économistes ne traite pas, curieusement mais volontairement, des raisons macroéconomiques (compétitivité, déficits) qui motivent l'inquiétude des pessimistes. Il y aurait beaucoup à dire car les fondamentaux de la France sont alarmants. Mais restons dans le champ des mentalités choisi par l'auteur.

L'idée du livre est que le modèle français n'est pas menacé, sauf par la perte de la foi en lui. C'est là que tout se joue, car c'est vrai en profondeur: la France restera un pays de justice sociale forte. Mais ce qui est démoli par la mondialisation, ce sont les outils de sauvegarde de ce modèle. La solidarité est tuée par un marché dual du travail avec les in et les out (les jeunes). L'élitisme républicain est tué par une école en échec. L'innovation est tuée par l'égalitarisme des chercheurs. La classe moyenne est tuée par l'atrophie de l'industrie. Le regain de confiance en l'avenir passe par la rénovation urgente et complète de ces outils de l'Etat providence. Le désarroi des Français vient de cette confusion entre le but et les moyens. Elle est entretenue non par les discours des clercs mais par ceux, obscurs et hypocrites, des politiques.

Eric Le Boucher

Chronique également parue dans Les Echos

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