Monde

Bombarder sur la pointe des pieds

La réticence d’Obama à intervenir en Libye est son meilleur atout tactique.

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Je ne sais pour quelle raison exactement Barack Obama a montré tant d’hésitation à intervenir en Libye, ni pourquoi il a manifesté de la réticence à s’étendre sur la question en public. Peut-être, comme l’avancent ses détracteurs, est-ce parce qu’il est indécis, ou qu’instinctivement il répugne à déployer la force militaire américaine. Peut-être est-ce parce qu’il pense que deux guerres suffisent amplement, et qu’en ces temps de réduction massive du budget nous ne pouvons pas nous permettre un troisième engagement qui ne soit pas obligatoire. C’est sans importance: quand les avions français et les missiles américains ont commencé à bombarder la Libye samedi, cette répugnance et ce silence sont soudain devenus ses atouts tactiques les plus importants.

Et si Barak Obama avait comparé Mouammar Kadhafi à Adolf Hitler?

Si vous ne me croyez pas, imaginez le scénario inverse. Imaginez que le président Obama ait passé les dernières semaines à tonner contre Mouammar Kadhafi, en utilisant le discours enflammé auquel il a déjà eu recours dans le passé. Imaginez qu’il ait comparé Mouammar Kadhafi à Adolf Hitler —ce qui n’est pas inenvisageable, dans la mesure où des hommes d’État américains l’ont déjà fait avec Saddam Hussein et Slobodan Milosevic— ou qu’il ait fait des allusions inquiétantes sur la menace que le régime libyen représente pour le monde libre. Imaginez que, puisant dans la terminologie de la constitution américaine, il ait décrété qu’il ne fallait rien moins que la démocratie en Libye.

S’il avait fait tout cela, les membres européens de la «coalition des volontaires» formée pour essayer d’empêcher Mouammar Kadhafi de pénétrer dans Benghazi auraient sûrement été moins nombreux. J’ai du mal à imaginer les Français ou les Espagnols se ranger derrière une campagne américaine au discours agressif. Et il n’y aurait sans doute pas de membre arabe de la coalition non plus d’ailleurs. En fait, presque à l’instant même où les avions américains sont apparus dans le ciel nord-africain (et que les photos des dégâts qu’ils ont causés ont commencé à apparaître sur Al-Jazeera), la Ligue arabe a annoncé qu’elle allait peut-être retirer son appui à la zone d’exclusion aérienne. Curieusement, son secrétaire général a semblé choqué d’apprendre que les bombardements avaient provoqué des victimes civiles.

Des démonstrations d’enthousiasme et un discours enflammé auraient également engagé les États-Unis et leurs alliés dans un mécanisme de promesses tacites. Comparer Mouammar Kadhafi à Adolf Hitler nous aurait obligés à l’éliminer. Si la démocratie était la seule option pour la Libye, nous serions contraints d’y rester jusqu’à ce qu’elle soit démocratique. Si le président n’avait pas parlé d’autre chose au cours des trois dernières semaines, sa présidence serait dorénavant mise en péril. Dans ces circonstances, le retrait du soutien de la Ligue arabe ne pourrait être interprété que comme un affront personnel à Obama.

Nous sommes intervenus. Et maintenant?

Maintenant que le bombardement de la Libye a commencé et que la zone d’exclusion aérienne a été mise en place, discuter du pour et du contre de l’intervention n’a aucun sens. Nous sommes intervenus, et, pour le meilleur comme pour le pire, nous serons en partie responsables de l’issue du combat. Et l’une des façons d’œuvrer pour la meilleure issue possible est de nous assurer que nos attentes restent raisonnables.

En fait, nous sommes sans doute sur le point d’être confrontés à une situation qu’un haut gradé militaire a récemment qualifiée du problème «Alors, quoi?» Si la chance est avec nous, les forces de Kadhafi vont s’écrouler après quelques jours de bombardements aériens, tout comme les talibans autrefois. Mais si cela ne se passe pas comme ça —alors quoi? Nous avons promis de ne pas envoyer de troupes au sol. Mais si la puissance aérienne s’avère insuffisante pour arrêter Kadhafi —alors quoi? Nous sommes engagés en Libye pour «protéger des civils», ce qui va être très difficile à faire si, par exemple, Kadhafi décide de se mettre à massacrer les gens dans les régions qu’il occupe déjà. Alors quoi?

Le scénario du pire

Si le scénario du pire se réalisait, le président américain ne devrait pas faire de fausses promesses ou prendre des engagements qu’il ne peut espérer tenir. Ceux qui ont critiqué sa décision d’accomplir le déplacement prévu en Amérique du Sud ont tort. Qu’il soit le fruit du hasard ou d’un calcul, qu’il soit cynique ou lâche, le silence du président Obama doit continuer, et lui doit poursuivre son voyage et ne pas offrir d’encouragement à quiconque s’attend à ce que nous partions la baïonnette au canon nous battre pour la démocratie et gagner la guerre.

Anne Applebaum

Traduit par Bérengère Viennot

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