Culture

Fukushima, le téléfilm-catastrophe

L'enchaînement des événements dramatiques des derniers jours nous laisse bien seuls face à notre écran.

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Quand Nathalie Kosciusko-Morizet, à la sortie du conseil des ministres du 16 mars, déclare «Le scénario du pire est probable», ce qui me frappe, c’est que cette phrase, qui traitait de Fukushima, s’appliquerait parfaitement à la Libye, et peut-être à la prochaine élection présidentielle. Elle valide la loi de Finagle («Toute chose qui peut tourner mal, tourne mal»), loi très liée à celle de Murphy («S’il y a plus d'une façon de faire quelque chose, et que l'une d'elles conduit à un désastre, alors quelqu'un le fera de cette façon.»)

C’est l’un des risques qu’évoque Daniel Cohn-Bendit au sujet du nucléaire (pas de Fukushima mais d’autres potentiels accidents dans des centrales), la fameuse «erreur humaine». Ces fausses lois scientifiques sont des sujets de plaisanterie au même titre que la celle de la tartine beurrée mais elles sont souvent utilisées comme axiomes par les scénaristes. L’actualité de cette semaine semble les respecter scrupuleusement, leur donnant brusquement une connotation funèbre.

L’enchaînement «Marine Le Pen bientôt présidente de la République?» et «Fukushima, bientôt tous morts?» en passant par «les Libyens, bientôt tous massacrés» me donne l’impression de vivre dans la scène d’introduction d’un film catastrophe.

Je n’ai pas d’élément nouveau à apporter sur la centrale nucléaire. Je n’y connais rien. Ni sur la situation au Japon, je n’y suis pas. Je regarde les infos comme tout le monde. Plus précisément, je regarde les images de cette centrale. Des images qui ne nous montrent rien si ce n’est un bâtiment en béton, a priori d’un intérêt assez limité. La seule question qui compte c’est: l’image va-t-elle changer? La prochaine fois que j’allumerai ma télé, l’image sera-t-elle différente? Sous-entendu: la centrale aura-t-elle explosé, verra-t-on une brèche mortelle?

Le danger nucléaire est invisible, le seul marqueur physique de ce danger est donc ces murs en béton. En fait, devant ces images, je ne regarde plus les infos, c’est-à-dire l’événement. Je cherche l’inverse, l’absence de changement, le non-événement. Je suis comme un gardien devant son écran de vidéo-surveillance.

Le film catastrophe type commence justement souvent par une scène où quelqu’un regarde un écran de vidéo-surveillance. A ce moment-là, tout a encore l’air d’aller bien. Des petits points clignotent tranquillement. Il y a des zooms sur différents personnages pris dans leurs tourmentes personnelles (avec une obligation quasi morale pour les scénaristes d’y inclure un couple avec enfant en train de se séparer). Les images de leurs vies quotidiennes sont alternées avec celles de la catastrophe sur le point de se produire.

Et puis les premiers signaux alarmants sont perçus par certains personnages. (Dont le gentil scientifique, dont le couple est au bord de la rupture.) Ensuite, il y a une séquence très rapide entre «les gens comprennent que la fin du monde risque d’arriver» et «ils meurent par centaines».

Ces derniers jours, j’ai l’impression de vivre dans cette séquence précise d’entre-deux. Et qu’elle s’étire, qu’elle s’éternise.

Dans le film catastrophe, la catastrophe arrive. Mais le plus important, c’est que le monde en sort à jamais changé. La vie doit se réorganiser. Différemment. La hiérarchie habituelle est bouleversée. Le méchant général qui avait pris de méchantes décisions est limogé et le gentil scientifique que personne n’écoutait est enfin reçu par le Président du monde. La fin d’un monde qui-finalement-est-en-partie-sauvé permet même aux personnages de résoudre leurs conflits personnels et internes. «Je suis désolé ma chérie, j’ai négligé notre famille au profit de mon travail mais désormais je comprends l’importance des vraies valeurs comme l’amour.» «Moi aussi mon amour, je suis désolée, je comprends maintenant combien ton travail est important puisqu’il aide à sauver le monde.»

C’est une vision de l’histoire très biblique. Il faut une catastrophe pour que la rédemption ait lieu, que les hommes prennent conscience du bien et du mal, et ensuite tout ira mieux dans le meilleur des mondes.

Mais notre vie n’est pas un film catastrophe. On est toujours pris dans nos problèmes personnels et on zappe de pré-catastrophes en catastrophes, sans que fondamentalement rien ne change. L’année dernière, on frôlait la catastrophe avec la faillite de la Grèce, l’effet domino, la crise financière de l’Europe. Un tremblement de terre dévastait Haïti, la tempête Xynthia touchait la France. Comme si la pellicule dérayait et que la suite du film n’arrivait jamais. Ce non-dénouement perpétuel nous fait vivre dans un état d’angoisse et d’instabilité quasi continu, en sautant à cloche-pied au bord du gouffre.

Peu importe la nature de la catastrophe en question, on écoute des experts qui parlent, évaluent les risques possibles, probables, potentiels. Et on attend. Que la centrale explose ou pas, une chose est certaine, cette séquence sera bientôt suivie par une autre introduction à une autre catastrophe. Parce que les séquences catastrophiques se succèdent, on voltige près de l’abîme, parfois on y tombe, on se relève, et on attend que la série s’arrête. C’est peut-être aussi ça, cette attente latente qui favorise le vote Marine Le Pen, à l’heure actuelle sans doute plus que celui en faveur d’Eva Joly.

Pour l’instant, on est dans une séquence de 48h. 48h pour abaisser la température de la centrale. 48h avant que Kadhafi achève sa reconquête, montrant le chemin de la répression au Bahrein. Au bout de ce délai, les habitants de Benghazi seront massacrés. La centrale aura explosé, ou pas.

Et la vie continuera bizarrement comme avant, pour nous, en France.

Une autre catastrophe remplacera celles-là.

Peut-être une crise financière, conséquence de la chute du Japon. Je ne suis pas plus économiste qu’experte en nucléaire. Ce que je vois, c’est qu’on en tire un sentiment d’impuissance total et dévastateur. Pourtant, il était possible de mieux sécuriser la centrale nucléaire, comme le préconisait un sismologue en 2006. Pourtant, il était possible de soutenir la révolte en Libye. En réalité le tableau n’est pas si noir. Le monde change malgré tout, des peuples se soulèvent les dictatures, des décisions politiques importantes sont prises. Mais à l’échelle du spectateur confronté au flux d’informations, il ne reste, à cet instant précis, qu’un grand vide entre l’écran et soi.

Titiou Lecoq

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