France

Le coup de bluff de Nicolas Sarkozy sur la Libye

Il doit faire oublier sa gestion des révolutions de Tunisie et d'Egypte ainsi que la visite grotesque de Kadhafi à Paris en 2007. Quitte à gêner son ministre des Affaires étrangères et ses partenaires européens.

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Comme souvent quand les Vingt-sept ne sont pas d’accord, le Conseil européen du vendredi 11 mars consacré à la Libye s’est terminé par un compromis. Nicolas Sarkozy, qui s’était avancé très loin dans l’hostilité à Mouammar Kadhafi et dans le soutien aux insurgés libyens, a dû se contenter d’un communiqué aux formulations suffisamment vagues pour satisfaire tout le monde: les partisans d’une action musclée pour déloger Kadhafi –le président de la République pouvait compter sur le soutien du Premier ministre britannique David Cameron— et les tenants de la prudence, comme la chancelière Angela Merkel qui déclarait:

«Il ne faut pas commencer un processus que nous ne saurions pas terminer.»

L’activisme de Nicolas Sarkozy, manifesté par l’audience accordée jeudi à des représentants du Conseil national libyen de transition, en présence du philosophe Bernard-Henri Lévy de retour de Benghazi, avait pris de court ses partenaires. Au cours de sa conférence de presse à Bruxelles, le président de la République a involontairement souligné le contraste entre sa prudence face aux événements de Tunisie et d’Egypte, au début de l’année, et ses réactions au soulèvement en Libye:

«Je ne me suis pas précipité parce que la situation en Tunisie et en Egypte n’était pas claire.»

Elle l’est encore moins en Libye et pourtant Nicolas Sarkozy a donné l’impression de «se précipiter», y compris à son ministre des Affaires étrangères Alain Juppé, auquel il a rendu à plusieurs reprises un hommage appuyé comme pour faire oublier qu’il l’avait placé devant le fait accompli, en reconnaissant le Conseil national de transition et en envisageant des frappes ciblées sur des objectifs militaires libyens.

Pourquoi ce contraste?

La première explication tient dans la nécessité d’un double rattrapage. Nicolas Sarkozy se doit de compenser la tiédeur de la diplomatie française quand les foules de Tunisiens et d’Egyptiens manifestaient pour se débarrasser respectivement de Ben Ali et de Moubarak. Désormais, il emploie volontiers l’adjectif «historique» pour caractériser ces révolutions mais il a attendu plusieurs semaines avant de prendre la mesure des événements. Il ne veut pas encourir le même reproche concernant la Libye. Il a été un des premiers dirigeants occidentaux à exiger le départ de Kadhafi, quitte à se retrouver une nouvelle fois en porte-à-faux si ce dernier parvient à sauver son pouvoir.

Le président français doit aussi faire oublier les conditions grotesques de la réception qu’il avait réservée en décembre 2007 à Kadhafi quand le colonel libyen en mal de reconnaissance avait planté sa tente dans les jardins de l’Hôtel de Marigny, en face de l’Elysée. Il ne saurait aujourd’hui être soupçonné de quelque indulgence pour le dictateur de Tripoli.

Deux considérations tactiques justifient encore la position radicale prise par la diplomatie française. En brandissant l’éventualité de frappes aériennes ciblées, Paris accroît la pression sur le régime Kadhafi. Même s’il y a une part de bluff dans cette menace, elle s’ajoute aux diverses sanctions déjà décidées (embargo sur les armes, gel des avoirs, inculpation devant la Cour pénale internationale, etc.) et complète la panoplie des options militaires, fussent-elles condamnées à rester dans les cartons des stratèges.

Nicolas Sarkozy sait aussi que pour entraîner 27 Etats européens profondément divisés sur les questions de politique internationale, il est nécessaire de faire monter les enchères. Ce n’est qu’en plaçant la barre très haut qu’on peut espérer un minimum d’engagement. Entre la France qui reconnaît le Conseil national de transition (CNT) «comme représentant légitime du peuple libyen» et les sceptiques qui doutent de son autorité, le Conseil européen a trouvé un compromis: le CNT est un «interlocuteur politique», «digne de foi», alors que Kadhafi est décrédibilisé.

Les frappes aériennes envisagées par la France et dans une moindre mesure par la Grande-Bretagne ne sont pas mentionnées dans les conclusions du Conseil européen, mais elles ne sont pas exclues puisque les 27 ont décidé «d’examiner toutes les options nécessaires, à condition qu'il y ait un besoin démontré, une base juridique claire et un soutien de la région». Les partisans d’une intervention pourront toujours se référer à cette déclaration du Conseil européen.

Toutefois les conditions posées supposent une action dramatique de l’armée libyenne contre les populations civiles (utilisation de gaz ou bombardements aériens), une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies et un soutien de la Ligue arabe. Elles seront très difficiles à réunir alors que le temps presse pour les insurgés anti-Kadhafi, repoussés vers leurs bastions de l’Est.

Daniel Vernet

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