Économie

La défaite des politiques face aux marchés

La force de décision n'est plus du côté des États.

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En janvier, devant les parlementaires, Bob Diamond, le PDG de Barclays, déclarait que «l'époque des remords et des excuses» était finie. La crise est derrière nous, les marchés tournent gaiement la page. Pour l'année 2010, Diamond s'est fait octroyer un bonus de 6,5 millions de livres en plus d'une attribution d'actions pour une valeur actuelle de 14 millions. Les déclarations des politiques, de Sarkozy à Obama, contre «l'irresponsabilité honteuse» des banquiers qui se distribuent de tels bonus ne datent que d'un an.

«Si nous décevons les marchés financiers, cela va nous coûter cher.» Olli Rehn, le commissaire européen aux Affaires économiques, ne pouvait pas mieux dire le vrai rapport de force aujourd'hui établi entre les gouvernements et les marchés financiers. Il parlait du sommet européen de ce 11 mars, au cours duquel les gouvernements de la zone euro se sont mis d'accord sur «un pacte de l'euro» afin d'améliorer sa compétitivité. Mais les politiques ont perdu leur bataille contre les marchés financiers. Ils l'ont perdue pour trois raisons: pécuniaire, intellectuelle et politique.

Les «meilleurs» pour les banques

Commençons par l'argent. Les critiques de la gauche américaine contre la surpuissance des lobbys financiers dans les couloirs de Washington sont exagérées. Mais on est obligé d'admettre que les forces d'expertise ne sont plus du côté des Etats, les banques seules ont la connaissance des techniques pointues de leurs métiers. Il existe certes encore des fonctionnaires et des régulateurs intègres aux Etats-Unis comme en Europe. Heureusement! Mais les effectifs ne sont pas à proportion. Sans parler des «meilleurs» qui sont recrutés à un moment ou à un autre par Wall Street.

La raison intellectuelle. Comment réguler ses opérateurs nationaux de marchés sans les affaiblir face à leurs concurrents? A ce jeu, le moins exigeant l'emporte.

Les gouvernements n'ont pas trouvé l'unité mondiale qui imposera sa loi. Dans le contexte d'une régulation douce, la finance emploie les «meilleurs mathématiciens et juristes» qui sont payés des millions pour contourner, enjamber, ruser, détourner la réglementation.

Conséquence: le secteur non régulé, le Shadow Banking, ne s'est jamais porté aussi bien. Sans compter avec l'informatique: sur Euronext 50% des ordres de Bourse passent par trois traders algorithmiques. Chaque titre fait l'objet de 600 ordres par seconde, dont 99,5% sont annulés dans les 25 microsecondes qui suivent. Allez réguler ça!

Des réponses trop tardives

Venons-en à la principale faiblesse: la politique. L'impuissance des gouvernements européens à apporter une réponse satisfaisante aux interrogations des marchés sur l'existence et le type de solidarité au sein de l'eurozone fait peine à voir.

Depuis un an, les réponses sont toujours tardives et insuffisantes. Certes, les analystes, même britanniques, ont été convaincus que l'union monétaire est un projet politique fondamental et que, comme l'a dit Angela Merkel, les dirigeants feront «tout ce qu'il faut» pour sa survie. Il n'y a plus de danger de mort. Mais les marchés reviennent à la charge en soulignant, avec raison, que l'effort d'austérité demandé aux populations des pays concernés est trop rude et qu'il est donc impossible à soutenir longtemps. Les soulager passera par une inévitable restructuration.

Pourquoi hésiter? A cause des pertes des banques, justement! L'une pourrait mourir et en entraîner d'autres, nous reviendrions au lendemain de Lehman Brothers! A cause des opinions publiques surtout: le populisme contre «les aides aux Grecs» fleurit au Danemark, en Finlande et en Allemagne.

Angela Merkel, au début réticente, a fini par être convaincue de l'utilité de l'euro pour son pays mais elle bataille en défense. Elle a perdu le Land de Hambourg et risque d'être battue dans le Bade-Wurtemberg, ce qui serait catastrophique pour elle. Voilà pourquoi le gouvernement allemand, toujours traînant, ne cède que petit bout par petit bout et en retard.

Faute de disposer d'un grand discours europhile courageux, anticipateur et convaincant face à la crise des dettes, la classe politique européenne subit et les marchés financiers imposent leurs vues.

Le retour à bonne fortune de la finance serait une bonne nouvelle si les excès d'hier étaient corrigés. Mais les milliards de bonus, les marchés parallèles, l'inventivité spéculative, les bulles sont repartis de plus belle. Les risques aussi.

Eric Le Boucher

Chronique également parue dans Les Echos

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