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Après son pays, le Kosovo veut son équipe de foot

L'ancienne province serbe n'est pas membre de l'ONU, ce qui l'empêche d'adhérer à l'UEFA, et donc à la Fifa.

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Coincée entre celles des clubs mythiques de Barcelone ou de Liverpool, une nouvelle écharpe jaune et bleue trône sur les étals de Pristina, capitale du Kosovo, aux couleurs de ce tout jeune Etat. Mais les amateurs de football n’ont que très peu d’occasions de la brandir dans les stades. Il y a bien eu une rencontre Kosovo-Albanie des moins de 19 ans jeudi 17 février 2011, pour le troisième anniversaire de l’indépendance du pays (2-0 pour le Kosovo), mais impossible de savoir quand aura lieu le prochain match. 

L’équipe du Kosovo n’existe pas. En tout cas pas officiellement. Ni la Fifa, ni l’UEFA ne reconnaissent ce petit Etat des Balkans, peuplé d’environ 90% d’Albanais et de minorités serbe, bosniaques et roms, qui a déclaré son indépendance début 2008. La fédération de football du Kosovo a présenté sa candidature la même année, mais la réponse de la Fifa a été sans appel: «Ils nous ont répondu: ‘Vous devez être reconnu par plus d’Etats’», raconte Eroll Salihu, secrétaire général de la fédération de football du Kosovo.

Au-dessus de son bureau, une photo montre Fadil Vokrri, président de la fédération et ancien grand joueur de l’ex-Yougoslavie, en pleine conversation avec Michel Platini, patron de l’UEFA, signe des démarches engagées. Sans résultats pour l’instant. Ne peuvent adhérer à l’UEFA que les pays membres de l’ONU, ce qui n’est pas le cas de l’ancienne province serbe. Et sans appartenir à l’UEFA, l’accès à la Fifa reste bloqué.

Tout était allé bien plus vite pour le Monténégro: le pays, qui avait déclaré son indépendance le 3 juin 2006, était devenu le 53e membre de l’UEFA quelques mois plus tard. Il est vrai que sa reconnaissance sur la scène internationale avait posé beaucoup moins de problèmes. A l’heure actuelle, seuls 74 Etats reconnaissent l’indépendance du Kosovo. A Belgrade, le pouvoir refuse toujours d’en entendre parler, considérant l’ancienne province comme le berceau de la nation serbe. Quant à la Russie et la Chine, membres du conseil de sécurité de l’ONU, elles y sont farouchement opposées.

Bien que privée de reconnaissance et donc de compétition internationale, une équipe de football du Kosovo tente d’exister. Mais la sélection nationale doit se contenter pour l’instant de quelques rencontres amicales. Et encore, elles sont difficiles à organiser. En juillet 2008, un match prestigieux a bien failli avoir lieu: la toute jeune équipe devait affronter le Brésil. Mais la Serbie a fait échouer le projet en rappelant à la fédération brésilienne que le Kosovo n’était pas membre de la Fifa et était donc interdit de match contre d’autres équipes nationales.

Depuis son indépendance, le Kosovo n’a pu jouer que contre des clubs, comme Malmo FF et Kalmar FF en Suède ou Neuchâtel en Suisse. A Pristina, la reconnaissance de la Fifa est devenue la priorité numéro 1 des dirigeants de la fédération. Fadil Vokrri aimerait «un peu plus de souplesse» de la part de la FIFA, au moins pour l’organisation des matchs amicaux.

Des joueurs émergent à l’étranger

Dans les années 1990, les conflits dans les Balkans ont contraint bon nombre de familles à l’exil. Des joueurs d’origine kosovare ont ainsi émergé à l’étranger et défendent aujourd’hui d’autres couleurs. L’équipe d’Albanie, le grand voisin, compte plusieurs joueurs nés au Kosovo, comme le gardien de but Arjan Beqaj ou le milieu de terrain Lorik Cana, ancien joueur de l’OM et du PSG et véritable star dans son pays natal.

A Pristina, les fans peuvent savourer quelques «qebapa», les spécialités locales, au «Cana», le restaurant au nom évocateur ouvert par l’un de ses oncles, entourés de maillots et de posters à l'effigie du joueur emblématique. Valon Behrami et le jeune espoir Xherdan Shaqiri, tous deux nés dans l’ex-province autonome, portent eux le maillot suisse, un pays où vivent près de 200.000 kosovars. 

Pendant que les meilleurs joueurs d’origine kosovare font des étincelles à l’étranger, des garçons prometteurs tentent de briller dans le championnat bien plus confidentiel du Kosovo. C’est le cas de Behar Maliqi, jeune milieu de terrain du FC Pristina, le club de la capitale. Avec son équipe, il s’entraîne dans le stade enneigé, sous l’œil vigilant de l’entraineur quelque peu mortifié par le froid. A 24 ans, Behar Maliqi est l’un des rares joueur de la première ligue kosovare (ou Super Ligue) à avoir été sélectionné dans l’équipe nationale.

Il confie, enthousiaste, que «jouer pour son pays c’est formidable». Seulement, les rencontres sont rares, alors s’il était approché par l’Albanie pour jouer des matches internationaux, il ne dirait pas non à «la mère patrie». Plutôt doué selon son entraineur, il pourrait partir du Kosovo dès cet été pour rejoindre la ligue 2 allemande où il a été repéré. Et peut-être augmenter le nombre de vues de la petite vidéo qui compile ses passements de jambe sur YouTube.

Le football n’échappe pas à l’Histoire

Faute de reconnaissance, le Kosovo ne peut qu’assister, impuissant, au départ de ses joueurs les plus talentueux. Difficile de les retenir quand on ne peut leur offrir ni la perspective de jouer les grandes compétitions européennes, ni les salaires des gros clubs. Le salaire moyen d’un joueur au Kosovo est très faible comparé à ce qui se pratique ailleurs en Europe. A Trepça 89, un club du nord du Kosovo, les joueurs professionnels reçoivent entre 150 euros et 250 euros par mois. De l’aveu d’Eroll Salihu:

«Nous avons de jeunes joueurs talentueux mais nous n’avons pas les moyens de leur offrir les conditions optimales pour que ce talent murisse et s’épanouisse

La non-reconnaissance de la Fifa pèse sur le football kosovar. Les infrastructures sont plutôt dans un bon état, même si certains stades ne souffriraient pas d’une rénovation. Mais comment faire pour trouver l’argent pour investir? La manne financière ne viendra pas des sponsors, encore moins de la vente des droits télévisés pour la retransmission des matchs. Cela n’existe pas au Kosovo. Quant à l’affluence, elle reste assez limitée. Eroll Salihu estime qu’en moyenne 2.000 personnes viennent régulièrement assister aux matchs de championnat, et près de 10.000 lors des grands soirs

Yougoslavie

Le football au Kosovo a toujours été très marqué par le contexte politique. Jusqu’à la fin des années 1980, les équipes de foot de l’ex-Yougoslavie s’affrontaient dans des championnats régionaux, dans chaque république fédérée. Les meilleures d’entre elles rejoignaient les deux divisions supérieures yougoslaves. La saison 1990-1991 fut la dernière à fonctionner de la sorte. En déclarant leur indépendance en 1991, la Slovénie et la Croatie ont créé de facto leur propre fédération de football, indépendante de la ligue Yougoslave

Jusque là, le Kosovo était une province autonome rattachée à la république de Serbie, mais en 1990, Slodoban Milosevic met fin à ce statut. Les conséquences sont immédiates dans tous les domaines de la vie quotidienne et le football n’est pas épargné. La situation devient de plus en plus tendue entre Serbes et Albanais qui cohabitaient normalement auparavant. En août 1991, les joueurs albanais du FC Pristina décident de quitter la ligue yougoslave.

Fédération clandestine

Les semaines suivantes, les autres clubs du Kosovo leur emboîtent le pas et c’est ainsi que naît de façon clandestine la fédération de football du Kosovo, indépendante vis-à-vis de la Yougoslavie. Tandis que les Serbes reprennent en mains les clubs kosovars et jouent le championnat officiel, les joueurs albanais continuent de taper le ballon sur des terrains improvisés dans les champs, devant une poignée de supporters. Blerim Selimi, 42 ans, ancien joueur de football kosovar, se souvient:

«On mettait deux plots et ça faisait un terrain. Les matchs étaient souvent interrompus par la police serbe, invoquant une loi informelle qui interdisait de se retrouver à plus de dix dans un même endroit. Continuer à jouer au foot, c’était continuer à vivre une vie normale.

Aujourd’hui, les responsables de la fédération de football du Kosovo gardent le fol espoir de devenir membre de la Fifa rapidement. Mais en réalité, ils se confrontent en permanence au même obstacle: la nécessité d’être membre de l’ONU. Tant que la situation du Kosovo ne sera pas réglée sur la scène internationale, et que les différends avec la Serbie ne seront pas résolus, faibles sont les chances pour que cela se débloque auprès de l’UEFA et de la Fifa.

Seule satisfaction pour les officiels Kosovars: depuis cette saison, la fédération de foot appartient au système de régulation des transferts de la Fifa. Les joueurs sont désormais sous contrat et ne peuvent plus quitter le club sans une rupture en bonne et due forme. Un moyen pour les clubs kosovars de percevoir des commissions sur chaque transfert. Et de s’intégrer, timidement, sur l’échiquier du foot international. Même si, pour le Kosovo, la partie est encore loin d’être gagnée.

Claire Debuyser et Claire de Vregille

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